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Patrick Martin (Medef) : "Il ne faut pas perdre de vue l’objectif de compétitivité de nos entreprises"
Interview France # Politique économique

Patrick Martin président du Medef "Il ne faut pas perdre de vue l’objectif de compétitivité de nos entreprises"

La simplification administrative est un chantier majeur pour les entreprises françaises qui supportent des dépenses inutiles dans un contexte de coût du travail alourdit. Le président du Medef met en garde contre la tentation des pouvoirs publics de réglementer à outrance la vie économique sans études d’impacts et sans faire confiance aux entreprises pour négocier le virage de la responsabilité sociétale et environnementale.

Patrick Martin, président du Medef : "Il faut accompagner la révolution environnementale par des conditions financières adéquates" — Photo : Medef - Romuald Meigneux

Depuis quelques mois, les défaillances d’entreprises augmentent, certains secteurs sont particulièrement en difficulté comme le BTP et l’immobilier… Faut-il s’inquiéter pour les entreprises françaises ?

Tous les secteurs d’activité ne sont pas logés à la même enseigne mais nous alertons depuis l’automne sur le taux de croissance qui sera d’environ 1 % cette année. Je suis d’ailleurs très préoccupé de voir, qu’au dernier trimestre de 2023, l’investissement des entreprises françaises a baissé du fait de la frilosité des entrepreneurs qui ne sont pas confiants dans les perspectives économiques.

Le gouvernement va présenter d’ici à l’été un projet de loi pour faciliter la vie des entreprises. Pourquoi est-ce important ?

Alors que la compétition internationale s’intensifie très brutalement, notamment avec les États-Unis, et que la conjoncture ralentit, il ne faut pas perdre de vue l’objectif de compétitivité de nos entreprises. D’autant que le coût du travail est en train d’augmenter en France avec notamment l’écrêtement des allégements de charges sur les salaires de 2,5 à 3,5 Smic, ou la hausse du versement mobilité qui augmente de 400 millions d’euros en Île-de-France et pourrait se propager dans toute la France.

"Il faut imposer de manière beaucoup plus stricte de véritables études d'impact en amont de toute nouvelle loi, de toute nouvelle réglementation"

Dans ce contexte, la simplification administrative s’avère un sujet d’autant plus intéressant qu’il est indolore politiquement et budgétairement. La multiplication de la réglementation génère une perte de temps et d’argent incroyable. L’OCDE a ainsi chiffré que les charges administratives coûtaient 3 à 4 % du PIB en France, soit 60 à 80 milliards d’euros de dépenses inutiles supportées chaque année par les entreprises. La simplification est donc surtout une question de bon sens !

Quel chantier de simplification faut-il lancer en premier ?

Il faut imposer de manière beaucoup plus stricte de véritables études d’impact en amont de toute nouvelle loi, de toute nouvelle réglementation. Prenez la loi Climat et résilience par exemple. Jamais on n’a mesuré en amont ses conséquences économiques, sociales, environnementales et territoriales. Résultat : des gens très motivés par les enjeux environnementaux se cabrent aujourd’hui contre les ZFE (zones à faibles émissions, NDLR), contre le "zéro artificialisation nette", contre l’obligation de rénovation thermique des logements… Il faut donc rendre la réglementation plus intelligente, plus pertinente et plus efficace et dresser des bilans d’étapes pour vérifier que les objectifs sont atteints sans effet de bord. À défaut, on laisse perdurer pendant des décennies des réglementations qui créent de la confusion, de la complexité, des coûts et qui sont parfois contradictoires entre elles.

Partagez-vous les propositions de la CPME visant à réduire les seuils et à soumettre toute nouvelle loi à un test PME ?

Non seulement nous soutenons le test PME, mais c’est le Medef via Business Europe, qui représente les entreprises au niveau européen, qui a fait valoir l’idée de ce test PME auprès de la Commission européenne. Au-delà de la question des seuils, il y a bien d’autres sujets très concrets, par exemple concernant les guichets uniques ou le "dites-le nous une fois" (partage de l’information entre les administrations, NDLR).


La complexité administrative est-elle un mal très français ?

En tout cas, je constate qu’il existe des différences entre l’Europe et les États-Unis, qui déploient leur programme IRA (Inflation Reduction Act, NDLR) à une vitesse phénoménale. Aux États-Unis, entre le dépôt d’un dossier et la décision de subvention, il ne se passe que quatre mois. Les délais d’instruction des dossiers de France 2030 ou de ceux qui remontent au niveau de la Commission européenne peuvent prendre deux à trois ans ! Par rapport aux États-Unis, l’Europe, et particulièrement la France, sont très complexes et cette complexité est discriminante. Elle freine l’énergie de nos chefs d’entreprise, elle disperse les efforts, limite notre impact.

Une réglementation européenne inquiète d’ailleurs beaucoup les entreprises : la directive CSRD, qui définit de nouvelles obligations pour les reportings de durabilité des entreprises. On pensait qu’elle ne concernerait au départ que les grands groupes. On s’aperçoit qu’en fait toutes les entreprises vont être impactées…

L’État envoie parfois aux entreprises des signaux contradictoires : quinze jours après avoir lancé le chantier de la simplification administrative, il a transposé en droit français la directive CSRD, qui est un monument de complexité.

"La réglementation CSRD est particulièrement traumatisante pour les chefs d'entreprise de PME, avec un effet de sidération quand on voit les 1 168 critères auxquels il faudrait répondre"

En réalité, il y a deux textes : la directive CSRD, qui a déjà été transposée en droit français et qui n’impactera pas seulement les grandes entreprises et les ETI ; et un projet de directive "Devoir de vigilance", pire que la CSRD, qui imposerait aux entreprises de vérifier si toute leur chaîne de valeur, c’est-à-dire l’ensemble de leurs fournisseurs et sous-traitants, respecte les standards environnementaux et sociaux européens. Ce qui est matériellement rigoureusement impossible. Avec nos homologues allemands et italiens, nous nous sommes battus auprès de nos gouvernements respectifs et de la Commission européenne pour faire corriger ce projet de directive, qui prévoit des sanctions, y compris pénales, pour les dirigeants.

Il faut donc revoir cette réglementation CSRD ?

Oui, il faut la revoir. Elle est particulièrement traumatisante pour les chefs d’entreprise de PME, avec un effet de sidération quand on voit les 1 168 critères auxquels il faudrait répondre… Mais c’est vrai pour toutes les entreprises. Dans la mienne, qui est une ETI, cela va occasionner deux ou trois créations de postes, "improductifs", pour dire les choses.

Pour autant, il faut bien amener les entreprises vers la transition écologique et la RSE en général. Comment faire sans les assommer de contraintes administratives ?

Notre conviction, c’est qu’il faut faire confiance aux entreprises. Dans la quasi-totalité des cas, les 190 000 entreprises adhérentes du Medef sont totalement conscientes qu’elles doivent répondre à un certain nombre de standards environnementaux. Faute de quoi leurs salariés, leurs clients, leurs fournisseurs, se détourneront d’elles.

"On évolue à bas bruit, peut-être même inconsciemment, vers une société qui est de moins en moins libérale, une société de défiance"

Or, il y a une forme de brutalité dans la contrainte, à travers tous ces textes qui, j’en suis convaincu, sont en bonne partie superflus et qui se traduisent pour les entreprises par des coûts, des complexités, de la paperasse. Cela envoie un message à la fois infantilisant et culpabilisant, presque offensant, pour un chef d’entreprise. On évolue à bas bruit, peut-être même inconsciemment, vers une société qui est de moins en moins libérale, une société de défiance. La liberté raisonnée, responsable sur le plan environnemental, moteur de notre société aujourd’hui, c’est aussi le moteur de l’entreprise.

Quel autre chemin emprunter ?

Il faut accompagner la révolution environnementale par des conditions financières adéquates. L’enjeu principal, c’est le prix. Si nous ne sommes pas allés suffisamment vite et suffisamment fort jusque-là, c’est parce qu’il y a une rationalité économique. Si ArcelorMittal ne produit pas déjà de l’acier vert à Dunkerque et Fos-sur-Mer, c’est parce que l’acier vert coûte beaucoup plus cher et que le marché n’est pas prêt à accepter ce surcoût. Nous avons tous des contradictions dans nos comportements d’achats. Les Français consomment moins de bio parce que le bio est plus cher et ils font leurs achats sur des sites marchands chinois qui ne respectent pas les contraintes réglementaires européennes parce que c’est moins cher. Les entreprises doivent avoir les moyens d’assumer les investissements nécessaires et cela suppose que la puissance publique les accompagne, le temps qu’il faudra. Le programme IRA aux États-Unis, initialement prévu pour 370 milliards de dollars, va sans doute injecter 1 000 milliards de dollars dans l’économie pour inciter au verdissement de la production et à sa relocalisation. ArcelorMittal Dunkerque, c’est 1,5 milliard d’euros d’investissement pour verdir la production, dont 800 millions de subventions. Sinon, c’est économiquement impossible.

Du coup, faut-il davantage taxer les produits aux frontières ?

Oui, mais sans que cela tourne au protectionnisme – c’est toute la difficulté de l’exercice. Notre principe, c’est qu’il faut de la concurrence et que la concurrence soit équitable. Nous étions par exemple favorables à l’origine à un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Mais on découvre qu’il a des effets pervers. Autant pour les cimentiers, c’est un excellent dispositif, autant pour la sidérurgie, l’aluminium et tout l’aval industriel de ces filières, il peut avoir des conséquences terribles : si vous importez de l’acier brun chinois, vous subissez une taxe, mais si vous importez des portières de voitures fabriquées en Turquie avec de l’acier brun chinois, vous ne subissez pas de taxes. La taxe carbone vise à réindustrialiser l’Europe et à gagner en souveraineté, mais en réalité elle peut conduire à sa désindustrialisation.

Sans transition, quelles conséquences peuvent avoir pour les entreprises françaises la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation sur la prise en compte des périodes d’arrêts de travail pour motif non professionnel pour le calcul du nombre de jours de congés payés ?

C’est un enjeu à plus de 2 milliards d’euros par an pour les entreprises françaises. Certes, le gouvernement n’a pas d’autre choix que de transposer la directive européenne qui date de 2003. Nous travaillons donc en bonne intelligence avec lui pour traiter trois points qui réduiraient les conséquences financières de cette directive. D’abord, ne pas raisonner sur cinq semaines de congé mais au maximum sur quatre semaines, car il y a plus de congés payés en France que dans le reste de l’Europe. Ensuite, limiter la capacité d’accumulation de ces congés payés sur arrêt maladie afin qu’ils ne puissent pas être consommés au-delà de 15 mois. Enfin, il y a un énorme enjeu sur la question de l’antériorité. Si on doit reprendre l’antériorité sur la période de prescription salariale - trois ans - cela coûtera 6 à 7,5 milliards d’euros aux entreprises. Si on doit remonter à 2009, ce sera catastrophique, pour les entreprises, pour le pays.

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