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Olivier Salleron (FFB) : "Il faut une vraie politique du logement en France"
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Olivier Salleron président de la Fédération française du bâtiment "Il faut une vraie politique du logement en France"

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Réélu en mars à la tête de la Fédération française du bâtiment (FFB), Olivier Salleron se veut résolument optimiste sur l’état du marché du bâtiment. Si le neuf souffre, la rénovation énergétique offre de belles perspectives à un secteur qui a toutefois besoin d’une "vraie politique du logement" et de stabilité.

Pour Olivier Salleron, président de la FFB, les promoteurs et entreprises du bâtiment spécialisées dans le logement neuf vont devoir se diversifier ou réduire la voilure. — Photo : Arthur Maia

Quel est l’état du marché du bâtiment ?

À fin juin, l’activité du bâtiment se maintenait, à la fois en rénovation et en construction neuve. Sur la rénovation énergétique, nous sommes plutôt optimistes : le marché devrait continuer à progresser, notamment sur le marché du logement chez les particuliers grâce au coup de pouce de MaPrimeRénov' qui passe de 2,4 à 4 milliards d’euros en 2024 et permet un effet de levier considérable. Ou encore sur celui des bâtiments publics grâce aux mesures pour la rénovation énergétique des écoles et des bâtiments tertiaires. Autre activité qui se maintient, voire qui progresse, celle des commandes publiques, suite aux élections municipales il y a trois ans. Malgré cela, nous nous attendons à une stagnation de la croissance du secteur cette année qui devrait osciller entre 0,7 et 1, ce qui est faible.

Cela peut s’expliquer en partie par la crise du logement neuf ?

Le logement neuf s’écroule réellement depuis trois ans avec une chute dramatique de plus de 50 % des permis de construire. En cause de l’effondrement du logement collectif neuf, le renchérissement des prix des matériaux dans le bâtiment, les prix de l’énergie et les réglementations diverses et variées qui ont fait augmenter le prix de la construction de 20 à 25 % en trois ans. Ajouté à cela du foncier plus difficile à trouver avec l’application du Zan (NDLR : doctrine du zéro artificialisation nette des sols) et l’élection de maires d’Europe Écologie Les Verts (EELV) qui ont provoqué une stagnation, voire une décroissance des constructions dans les grandes villes. En parallèle, les permis de construire pour les maisons individuelles ont chuté de 45 % depuis un an et demi, suite à la RT2020, à la réglementation applicable aux maisons neuves individuelles et au resserrement des obligations pour obtenir un crédit du Haut conseil à la stabilité financière. En conséquence, beaucoup de primo-accédants ou d’investisseurs voient leur crédit refusé par les banques. Pour toutes ces raisons, mathématiquement, cela va être compliqué sur ce secteur.

En parallèle, le marché de la rénovation présente de belles perspectives. Peut-il réussir à compenser la perte d’activité sur le logement neuf ?

Pas totalement. La rénovation énergétique est plus importante que la construction neuve et prend le pas sur notre activité : elle représente plus de 51 % du chiffre d’affaires global du bâtiment en 2022 – qui était de 166 milliards d’euros. En termes de rénovation énergétique, nous avons 30, 40, voire peut-être 50 ans d’activité devant nous. C’est pourquoi nous restons optimistes.

Les sociétés spécialisées sur le neuf vont-elles être contraintes de mettre la clé sous la porte ?

Oui, à commencer par les promoteurs et les entreprises de construction spécialisées dans le neuf. Si elles ne se diversifient pas et n’ont pas les compétences pour faire de la rénovation énergétique, elles vont devoir ajuster la voilure donc la réduire. Néanmoins, il faut continuer à construire du neuf puisqu’il y a un besoin et que la démographie française est positive. Quatre millions de personnes cherchent à se loger ou attendent des logements plus adaptés à leurs besoins. À côté des gigafactory annoncées un peu partout en France, il faut également pouvoir loger les salariés. Pour y parvenir, il faudra se montrer plus malins qu’il y a une dizaine d’années sur le logement neuf. Soit, pour économiser les sols, utiliser les friches industrielles, les endroits déjà imperméabilisés dans les grandes et moyennes villes, les zones déjà artificialisées. Et déconstruire et reconstruire les logements qui sont de vraies passoires thermiques et coûteraient plus cher à rénover, surélever les bâtiments, construire des surfaces plus petites au sol, soit densifier la ville pour ne pas prendre sur les terres agricoles.

Est-ce possible de tripler le rythme de baisse des émissions de CO2 comme le souhaite la Première Ministre ?

C’est possible à partir du moment où il y a des budgets. Si l’État ne montre pas l’exemple par des coups de pouce, cela ne se fera pas. C’est pourquoi nous sommes satisfaits d’avoir obtenu gain de cause sur l’augmentation du budget alloué à MaPrimeRénov'. Si l’on veut atteindre la politique de décarbonation en 2030 et 2050, il faut mettre des moyens pour qu’il y ait des effets de levier et que particuliers et entreprises investissent dans la rénovation énergétique. Au même titre que les transports, le bâtiment est en première ligne : il faut rénover énergétiquement les dizaines de millions de logements qu’il y a en France pour économiser l’énergie – la consommation d’énergie dans les logements représentant 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Nous sommes à 2 % par an de croissance sur le marché de la rénovation. Avec des coups de pouce, nous pourrions monter à 5 %. Près de 40 % des effectifs du bâtiment, soit 600 000 salariés, travaillent dans une entreprise dite RGE (reconnue garant de l’environnement). Ainsi, c’est 85 milliards d’euros qui sont réalisables sur le marché de la rénovation énergétique. Nos salariés sont formés. Nous sommes prêts.

"On avance à petits pas alors qu’il faudrait une planification sur cinq ou dix ans, a minima sur un quinquennat"

Quels sont vos besoins en termes de recrutement ?

Depuis deux ans et demi nous avons embauché 120 000 salariés supplémentaires sur le marché de la rénovation énergétique. Le secteur compte ainsi 1 350 000 personnes, un record depuis 25 ans. Malheureusement si le marché se contracte et s’il n’y a pas de mesure prise, 135 000 postes pourraient être sur la sellette fin 2024. Nous ne pensons pas progresser en termes d’effectifs en 2023, notamment à cause du logement neuf qui est en décroissance et des incertitudes qui pèsent sur le marché. Si des mesures viennent booster le logement neuf ou la rénovation énergétique, nous pourrions embaucher 200 000 à 300 000 salariés de plus jusqu’en 2030.

Qu’attendez-vous du gouvernement ?

Une politique stable. Nous ne savons pas comment les clients vont être aidés, les aides changent presque tous les ans. Si tel est le cas, cela ne marchera pas et les entreprises n’investiront pas dans l’humain et dans la modernisation et la numérisation de leurs outils. L’instabilité ne fait pas progresser le secteur. Plus il y aura d’aides, plus les clients vont consommer et lutter contre les consommations d’énergie. C’est mathématique et psychologique. Par ailleurs, si aucune mesure n’est prise sur le logement neuf, nous risquons d’avoir un chiffre négatif, une décroissance du bâtiment dans son ensemble qui sera tiré vers le bas. Il faut une vraie politique du logement en France, à la fois dans le neuf et dans la rénovation énergétique. On avance à petits pas alors qu’il faudrait une planification sur cinq ou dix ans, a minima sur un quinquennat. Mais il semble que le secteur du logement n’intéresse pas beaucoup de monde au sommet de l’État.

Depuis le 1er mai 2023 le secteur a l’obligation de recycler ses déchets. Comment vous acquittez-vous de cette nouvelle obligation ?

Nous avons beaucoup travaillé sur la responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du bâtiment (REP Bâtiment). Ce qui devait être mis en place au 1er janvier 2023 a finalement été repoussé au 1er mai dernier. Mais les éco-organismes ne sont pas prêts et il n’y a ni structure pour contrôler ni d’agent de régulation nationale. On paye une taxe sur le recyclage sur les produits que l’on achète mais derrière il n’y a pas le service de récupération, de recyclage ou de traitement gratuit car les collectes dans les départements ne sont pas encore effectives. Nous allons travailler avec le gouvernement et les éco-contributeurs dès septembre pour tout installer progressivement. S’il n’y a pas d’avancée significative dans le courant de l’automne, nous allons faire du bruit pour que cela soit effectif. Nos adhérents ne vont pas payer deux fois !

Quid des problèmes d’approvisionnement de ces derniers mois ?

Côté approvisionnement, il n’y a plus aucun problème de rupture de matériaux aujourd’hui. Même si les prix de beaucoup d’entre eux sont restés à des niveaux très hauts.

"Avec trois années de crises successives, nos chefs d’entreprise sont stressés"

Quel est l’état d’esprit des chefs d’entreprise du bâtiment ?

Avec trois années de crises successives – pandémie, crise des matériaux, crise de l’énergie, inflation, taux d’intérêt et la crise du logement neuf -, nos chefs d’entreprise sont stressés sur l’avenir. Je dis aux adhérents de garder leur optimisme car nous avons un avenir radieux dans nos métiers. Nous avons tout pour réussir. Le bâtiment est au centre de tout aujourd’hui : transitions écologique, énergétique, numérique, démographique. Il fait tourner l’économie et ne fait pas de trou dans la balance commerciale de la France. Mais il faut investir pour l’avenir.

Vous venez d’être réélu pour un mandat de trois ans à la FFB. Quelle est votre ambition ?

Je souhaite poursuivre et accélérer le mouvement de transformation de nos métiers et de notre image envers le grand public car nous devons être attractifs et montrer les réalités du bâtiment, qui est à la fois environnemental, technique, technologique et numérique. La FFB est toujours en première ligne avec le gouvernement pour échanger et faire des propositions. Une commission Europe a d’ailleurs été intégrée au comité exécutif de la FFB pour travailler avec Bruxelles sur les normes et réglementations sur les produits du bâtiment. Nombre d’entre elles sont déclinées et parfois amplifiées en France et nous avons intérêt à être au plus près pour les anticiper.

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