Bretagne
Marie-Laure Collet (Apec) : "Les cadres doivent prendre le temps de se former"
Interview Bretagne # Emploi # Ressources humaines

Marie-Laure Collet vice-présidente de l’Apec "Les cadres doivent prendre le temps de se former"

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La cheffe d’entreprise rennaise Marie-Laure Collet vient de quitter la présidence de l’Apec, où elle reste membre du conseil d’administration. Également fondatrice du cabinet de conseil RH Abaka et ambassadrice du groupe Interaction, elle insiste sur l’importance de la formation pour rendre les cadres plus efficients. Notamment au vu des mutations liées à la transition écologique et à l’intelligence artificielle.

Marie-Laure Collet vient de quitter la présidence de l’Apec. Elle a défendu pendant son mandat la voix des territoires et des TPE-PME — Photo : Marie-noelle GILLES

Pouvez-vous nous rappeler la mission première de l’Apec ?

L’Association pour l’emploi des cadres (Apec), qui compte 12 délégations régionales et 1 100 collaborateurs, est une association loi 1901 qui est encadrée depuis 2011 par un mandat de service public, réécrit tous les quatre ans. Sur la période 2022-2026, il y a trois grands axes majeurs : accompagner tous les cadres (en activité ou non) pendant leur vie professionnelle pour leur garantir leur employabilité ; aider les entreprises à réussir leurs recrutements, en particulier les TPE-PME qui n’ont pas de structures RH ; travailler à toutes les études prospectives pour le marché des cadres. On doit être visionnaire sur les grandes filières, l’évolution des métiers, les formations, les pôles de compétitivité… L’Apec a notamment été partie prenante dans le cadre des travaux de préfiguration à la loi France Travail.

"On va peut-être avoir un frein sur l’emploi en 2024, voire un retournement de marché"

Dans le contexte économique déprimé du moment, comment se porte l’emploi des cadres ? Et à quoi peut-on s’attendre pour cette nouvelle année ?

Le chômage des cadres est assez décorrélé de la tendance globale du chômage. Il oscille entre 3,8 % et 4,2 % depuis 15 ans. Au début de l’été 2023, on a sorti le chiffre de 3,6 %. Sauf que nous, les spécialistes de l’intermédiation privée de l’emploi, nous savons par nos deux grands syndicats (Le Prisme pour l’intérim et le Syntec pour le conseil en recrutement, NDLR) que les choses ne vont pas si bien que ça depuis l’été 2022. Nous avons enregistré, dans nos entreprises, des baisses de commandes, de recrutements et de sollicitation de l’intérim. Des signaux nous font dire qu’on va peut-être avoir un frein en 2024, voire un retournement de marché. Depuis l’été 2023, on assiste en tout cas à une diminution du volume des offres d’emploi cadre.


Quels types d’entreprises sont le plus atteints ?

Davantage les TPE-PME qui ont été touchées par de multiples facteurs : la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, l’augmentation de la masse salariale, pour répondre aux attentes des collaborateurs sur l’inflation, et le ralentissement des marchés. Face à ces phénomènes, les petites et moyennes entreprises ont moins de chance de pouvoir augmenter les tarifs de leurs services ou de leurs produits.

Marie-Laure Collet, aux 30 ans du réseau d’entreprises Produit en Bretagne à Saint-Malo — Photo : Gaël Le Saout


Et en Bretagne, spécifiquement ?

Sur les TPE-PME, on est sur quelque chose d’assez similaire que le national. Certaines situations d’entreprises, pas très confortables, ont pu être masquées avec le PGE (Prêts garantis par l’État). En 2022, nous avions un président du tribunal de commerce de Rennes qui s’inquiétait de constater que son tribunal était devenu quasiment désert. Il a passé la main à son successeur (Clément Villeroy de Galhau, NDLR), qui a vu ressurgir quelques dossiers. Néanmoins, face au chômage, la Bretagne conserve les atouts qu’elle avait déjà avant la crise Covid. À savoir une multiplicité de secteurs d’activité qui invite au rebond et qui permet de transférer des compétences d’un secteur à un autre. Si Stellantis Sochaux tousse, c’est toute l’industrie là-bas qui va mal. Quand cela arrive chez Stellantis Rennes, les fournisseurs ont d’autres solutions de repli. Cette richesse-là permet à la Bretagne d’être plus résiliente que d’autres régions face aux crises.

"Les entreprises ont du mal à recruter parce qu’elles doivent faire face à des transitions de plus en plus rapides"

En Bretagne, comme ailleurs, les entreprises affichent toutes des difficultés à recruter des profils cadres en adéquation avec leurs besoins. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Les entreprises ont du mal à recruter, tous secteurs d’activité et toutes CSP confondus, parce qu’elles doivent faire face à des transitions de plus en plus rapides. Que ce soit la transition écologique ou l’intelligence artificielle, qui fait que les métiers se transforment et que d’autres apparaissent. L’Apec a un rôle majeur à jouer sur la transformation des métiers. C’est une nécessité pour nous de renseigner les cadres et les employeurs de cadres sur les compétences attendues les uns par rapport aux autres, pour que tout le monde soit au même niveau. Nous devons être force de proposition pour permettre aux cadres d’ajouter de nouvelles compétences à leurs métiers. Sur le sujet de la transition écologique, une étude de l’Apec sur les métiers verts (parue en septembre 2023) montre que les offres d’emploi à finalité environnementale augmentent. Et que pour 2 cadres sur 3, le verdissement aura un impact important sur leur métier. Ça veut dire que tout le monde ou presque va devoir se former. Si on prend un exemple breton, le rennais Sweetch Energy, future licorne verte, travaille sur une nouvelle filière autour de l’énergie osmotique. Demain, ils seront amenés à créer de nouvelles formations et de nouveaux métiers de techniciens, d’agents de maîtrise, d’ingénieurs et de docteurs. C’est la transition écologique et environnementale qui occasionne ce changement.

Marie-Laure Collet a été décorée de la Légion d’honneur, le 8 juin 2023 à Rennes, des mains de l’ex-ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian — Photo : Gaël Le Saout


Quelles réponses apporter face à ces nouveaux défis ?

Toutes les parties prenantes de l’emploi des cadres doivent s’emparer du sujet de la formation pour accompagner les entreprises dans leur mutation. Que ce soit France Travail (qui a succédé à Pôle emploi le 1er janvier 2024, NDLR), les branches professionnelles ou les Opco (Opérateurs de compétences). Et pour nous, à l’Apec, ça doit être un élément de formation de nos conseillers qui interviennent auprès des cadres actifs ou en recherche d’emploi. Pour garantir leur employabilité, les cadres doivent prendre le temps de se former pour avoir cette couche de compétences supplémentaires. Sur les métiers "verdissants" ou sur l’IA. Je prévois d’organiser prochainement, à Rennes, une grande conférence sur les métiers de demain au deuxième trimestre. Toutes les parties prenantes de l’écosystème breton seront invitées à témoigner sur les changements en cours au travail. Que ce soit à l’hôpital ou dans des métiers administratifs, par exemple.

"Le chef d’entreprise doit investir dans la formation de son collaborateur pendant la période d’essai"

Les chefs d’entreprise doivent-ils aussi changer leur attitude lors du recrutement ?

Oui, ils doivent accepter de recruter quelqu’un qui n’a pas forcément en temps réel toutes les compétences adaptées à leurs besoins. L’entreprise a encore du mal à ouvrir son cahier des charges, par rapport à des gens disponibles. Or, nous avons encore 7,4 % de chômage et 3,7 % de chômage des cadres. Il y a donc des gens disponibles… C’est aux patrons qu’il revient d’investir dans la formation de leurs collaborateurs, pendant leur période d’essai, pour les rendre efficients le plus rapidement possible. Il y a un enjeu pour l’État à comprendre ce sujet-là et à mettre en place un dispositif de tutorat ou de mentorat interne pour donner du temps à la personne qui arrive de se former. Il faut aussi avoir une approche prospective de la formation en continu, en sachant interroger ses collaborateurs sur leurs envies d’évolution. C’est là que le conseiller en évolution professionnelle à tout son sens.

Vous venez d’achever un mandat de deux ans à la présidence de l’Apec. Quel bilan en faites-vous ?

J’ai voulu donner une couleur à mon mandat, qui soit en cohérence avec ce qu’est Marie-Laure Collet, représentante du Medef et du Syntec. En tant que dirigeante de TPE-PME, je voyais bien que tout ce qui était fait au niveau des politiques de l’emploi en France était réfléchi avec et pour les grandes entreprises. Au bureau de l’Apec, j’ai fait en sorte que les TPE-PME aient aussi voix au chapitre, parce qu’elles ont des réalités et des contraintes qui ne sont pas celles des grands groupes. Ensuite, je suis une femme des territoires. J’ai voulu rendre compte de ces spécificités territoriales, liées à une multiplicité des bassins d’emploi et des géographies différentes. On ne peut pas tout décider depuis Paris, on doit aussi laisser de la latitude aux régions pour qu’elles puissent adapter les questions de l’emploi et du travail à la physionomie économique territoriale. Les territoires sont encore trop considérés comme quantité négligeable…

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