Pays de la Loire
L'intelligence artificielle débarque dans les entreprises des Pays de la Loire
Enquête Pays de la Loire # Informatique # Stratégie

L'intelligence artificielle débarque dans les entreprises des Pays de la Loire

S'abonner

Comme la robotisation ou l'informatique il y a quelques décennies, comme internet ou la réalité virtuelle plus récemment, l'intelligence artificielle intègre peu à peu les entreprises. Même si en réalité, elle y est déjà présente. C'est son ouverture au grand public et son accessibilité qui en fait un sujet d'actualité, et bon nombre d'entreprises des Pays de la Loire s'en emparent.

Jean-Charles Rongère est l'un des trois cofondateurs et dirigeants de Cross Data, à Angers, qui développe des solutions utilisant l'IA pour les entreprises — Photo : Cross Data

Tout en l'ignorant parfois, nous utilisons tous directement ou indirectement l’intelligence artificielle. Il y a bien longtemps en effet, plus de soixante-dix ans, que l'IA est apparue… Mais aujourd’hui, elle est plus visible, se démocratise et ses usages se multiplient, intégrant de plus en plus le monde du travail et des entreprises. Dans les Pays de la Loire comme ailleurs, certaines d’entre elles s’en sont déjà emparé, d’autres y réfléchissent. Toutes ou presque s’interrogent sur ce qu'elle pourrait bien leur apporter.

Une récente démocratisation

"Le premier neurone artificiel a été créé en 1957, rappelle Jean-Charles Rongère, dirigeant associé de la société Cross Data, créée en 2019 à Angers, qui accompagne les entreprises dans la gestion des données et l’utilisation de l’intelligence artificielle. Les bases de l’IA ont été présentées pour la première fois lors d’une conférence en 1951."

En réalité, la démocratisation récente de l’IA générative, qui permet de générer des images et des textes, rend l'intelligence artificielle plus proche de chacun de nous. "L’IA est déjà là depuis longtemps dans nos vies", confirme Clément Guillon, fondateur de la société nantaise Verteego, qui se définit comme un laboratoire de compétences dédiées aux usages de l’intelligence artificielle en entreprise et travaille principalement pour le secteur du commerce. Mais elle était à la portée des experts, pas de monsieur et madame Tout le monde. "Avec ChatGPT notamment, poursuit le vice-président de l’association Naonedia, qui fédère 110 acteurs (chercheurs, académiques, entrepreneurs, particuliers...) de l’IA de la région nantaise, elle s’est démocratisée et elle est désormais à la portée de toutes et tous." À la portée de tous, mais pour quel usage ?

De nombreuses applications

En simulant l’intelligence de l’être humain, l’IA permet de l’assister pour un certain nombre de fonctions, de gagner en efficacité, en rapidité. Elle peut être vue alors comme ce que l’on nomme une "aide à la décision". Elle ne doit pas aller plus loin pour Pierrick Besnard, dirigeant de Datatim à Laval (Mayenne), qui propose des formations ou encore un accompagnement régulier dans la gestion d'une entreprise : "Il ne faut pas externaliser les prises de décision. Une prise de décision doit venir de l'homme."

Aujourd'hui, l'IA trouve sa place dans de nombreuses applications : "Dans la santé, indique Clément Guillon, l’IA permet d’analyser des radiographies et détecter des anomalies, liées à un problème médical. Elle peut aider à conforter le diagnostic. Dans la production industrielle, l’IA procède à la détection de pièces défectueuses et permet ainsi des tests de qualité. Dans mon entreprise, Verteego, l’IA permet l’optimisation de flux de marchandises. C’est une IA prédictive qui anticipe la commande des clients et aide les équipes à mieux organiser la logistique et le stockage."

Gain de temps pour Actual

Le groupe mayennais Actual (1,6 Md€ de CA, 4 100 collaborateurs) s'est mis, lui aussi, à utiliser l'IA. Opérant dans les métiers de l’emploi, du recrutement et des formations, ses équipes sont amenées à rédiger beaucoup d’annonces d'emploi. "Passer une annonce représente entre dix minutes et un quart d’heure de travail, explique le président du groupe lavallois Samuel Tual. Avec l’IA, 95 % de l’annonce est effectué en quelques secondes. Il n’y a plus qu’à vérifier le rendu et que toutes les informations essentielles sont bien présentes. Cela permet à un conseiller en agence de se consacrer à l’essentiel, c’est-à-dire échanger avec les personnes, les candidats". Actual affiche de manière régulière entre 3 500 et 4 000 annonces en ligne. Le gain de temps est donc considérable.

Le groupe Actual utilise l'intelligence artificielle pour un usage précis, comme beaucoup d'autres entreprises. Pour cette raison, il est encore bien difficile de quantifier le nombre d'entre elles qui en font l'usage. En amont, l'écosystème est aussi trop récent pour être mesurable. De plus en plus de sociétés travaillent exclusivement dans ce domaine, et des entreprises de services numériques intègrent aussi cette technologie dans leur activité.

La France en retard

Néanmoins, la France n'est pas en avance sur le sujet. Un rapport de la Commission de l'intelligence artificielle a été remis au Président de la République en mars dernier après six mois de travaux. Le rapport pointe le retard tricolore pris sur des pays comme les Etats-Unis. "Cette domination américaine s'explique notamment par des investissements bien supérieurs à ceux consentis par la France et l'Europe, indique le rapport. Les montants investis dans l'IA aux États-Unis sont ainsi 20 fois supérieurs à ceux investis en France. L'économie américaine est certes bien plus grande que la nôtre. Cependant, à richesse comparable, nous investissons environ trois ou quatre fois moins que les Américains", pointe la commission.

Elle estime toutefois que le retard français n'est pas irrattrapable. Elle formule pour cela 25 propositions pour faire de la France, et plus globalement de l'Europe, un acteur majeur dans le domaine de l'intelligence artificielle. Comme la création d'un fonds de 10 milliards d'euros destiné à financer l'écosystème de l'intelligence artificielle. "Notre continent dispose d'atouts qu'il ne faut pas négliger, poursuit le rapport. Des entreprises européennes sont positionnées sur l'ensemble de la chaîne de valeur et quelques-unes d'entre elles sont de tout premier rang. Par ailleurs, l'Europe et particulièrement la France peut compter sur des professionnels précisément formés aux technologies de l'intelligence artificielle. La qualité de la formation supérieure française dans le domaine conduit de nombreuses entreprises étrangères à recruter des ingénieurs et chercheurs formés dans notre pays."

"Parfois l'IA n'apportera rien, ne sera pas utile. Mais dans d'autres secteurs, le gain de temps pourra être important"

La balle est aujourd'hui aussi bien dans le camp du politique que des entreprises. "Quelle que soit leur taille, les entreprises peuvent utiliser l'IA", appuie Jean-Charles Rongère. Les 13 collaborateurs de Cross Data travaillent ainsi aussi bien pour des start-up, des PME, des ETI et des grands groupes. "L'important est de définir le besoin, le gain de productivité ou d'efficience, car l'IA doit répondre à une problématique précise. Nous créons et construisons alors des algorithmes sur mesure pour le client que nous adaptons à son usage. Si ces algorithmes existent déjà, on peut les recombiner et les adapter." Dans ce domaine où la technologie avance très vite, l'entreprise angevine investit plus de 10 % de son chiffre d'affaires en R&D. Et avec l'arrivée de chatGPT, Cross Data doit aussi faire face à des demandes accrues d'entreprises qui s'interrogent sur la manière dont elles peuvent s'en servir.

Reste que "le gain en efficacité sera variable d'un secteur à l'autre, met en garde Clément Guillon. Parfois l'IA n'apportera rien, ne sera pas utile. Mais dans d'autres secteurs, le gain de temps pourra être important. Cela permettra dans le cas de gain en efficacité de réduire les coûts, bien entendu", indique le dirigeant de Verteego.

Une exploration nécessaire

Dans ce marché en construction, mieux vaut explorer sans attendre les possibilités offertes par l'intelligence artificielle. C'est du moins ce qu'affirme Jean-Charles Rongère, estimant que les ETI et grands groupes, au moins, n'auront d'autre choix que de s'y engager et doivent se mettre en route, pour des raisons de compétitivité : "Dans un ou deux ans, assure-t-il, au moins pour les fonctions support et la comptabilité, elles auront été obligées d'investir." Pour gagner en productivité mais aussi pour pallier un manque : "Les entreprises veulent gagner en productivité mais il s'agit aussi pour certaines de remplacer des compétences qu'on ne trouve pas ou que l'on ne trouve plus", ajoute le dirigeant angevin.

Réflexion depuis plusieurs années

Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle dans les entreprises et le monde du travail, se pose en effet cette question des compétences et du devenir de certains métiers : En comptabilité par exemple, si elle permet de réaliser de nombreuses tâches, quid de la place de l’humain ? Cette question, Jean-François Trouillard, président d’In Extenso Centre Ouest (85 M€ de CA, 1 000 personnes), l’appréhende avec confiance. Basée à Cholet, la filiale lyonnais du groupe d’expertise-comptable (550 M€ de CA, 60 000 collaborateurs) a entamé une réflexion depuis déjà plusieurs années sur ce sujet. "C’est un travail à l’échelle du groupe, témoigne le dirigeant. Nous avons abordé l’IA avec de l’anticipation en l’intégrant dans nos solutions, puisque nous sommes propriétaires de notre logiciel de solution comptable et de notre logiciel de production de paye. Nous avons commencé par demander à nos différentes fonctions supports : Trouvez-nous une application IA qui va nous faciliter la vie."

Transformation des métiers

Le travail est mené notamment sur les outils de production comptable, de production de paye, de supervision, de révision, et le groupe a s’est associé avec une start-up, Keeper, en région Rhône-Alpes, qui l’accompagne dans l’utilisation de l’IA. "Ce qui va être fortement impacté, selon Jean-François Trouillard, ce sera la facturation électronique. Au fur et à mesure, l’IA va réduire les temps d’intervention sur la gestion de l’intégration des données et nous allons pouvoir passer plus de temps en accompagnement de nos clients." Pour le président d’In Extenso Centre Ouest, l’IA ne va pas faire disparaître les différents métiers de son secteur d’activité. Elle va selon lui les transformer : "Nous avons ciblé des métiers ou des applications métier qui pouvaient être intéressantes pour nos collaborateurs, explique-t-il. Si on mesure mal quel va être l’impact RH c’est tout de même un bonus. Cela va transformer des tâches répétitives à faible valeur ajoutée et nous allons gagner en valeur conseil."

"Sans l’IA, VoltR n’existerait pas"

Chez In Extenso et plus généralement du secteur de l’expertise-comptable, l’IA va probablement transformer certains métiers. Ce sera le cas aussi dans d’autres secteurs. Et pour certaines entreprises, cela va même plus loin : "L'IA permettra aussi d'inventer de nouveaux modèles d'affaires, créer de nouveaux revenus, générer de nouveaux", indique Clément Guillon. C'est la trajectoire suivie par VoltR à Angers.

Créée il y a un peu plus d’un an, cette jeune entreprise a pour ambition de structurer en Europe une filière du reconditionnement des batteries. Elle en utilise les cellules pour refabriquer des batteries qu’elle destine à un nouvel usage: "Sans l’IA, VoltR n’existerait pas!, indique tout de go Alban Régnier, cofondateur et président de la start-up de 25 personnes qui dispose à Angers d’une usine pilote et d’un laboratoire de recherche à Saint-Ouen-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis. Nous avons intégré cela dès le lancement du projet. Elle nous permet de prédire la fin de vie des cellules que l’on traite pour fabriquer de nouvelles batteries."

Avec l’IA VoltR sait que ses nouvelles batteries, assemblées avec des cellules qui ont déjà servi pour un autre usage, vont garder leur niveau de performance pendant une durée précise. "Il existe d’autres procédés mais ils sont moins performants, explique Inès Jorge, responsable Innovation et R & D de VoltR. On peut mettre en place des modèles physiques mais cela demande trop de calculs et reste très imprécis, car le vieillissement d’une cellule va dépendre de beaucoup de paramètres."

La data, un actif majeur

VoltR utilise l’intelligence artificielle à la fois pour prédire la durée de vie des cellules et améliorer et accélérer les conditions de test. "L’outil s’affine et la variété des modèles augmente, précise Inès Jorge. Plus on a de données et plus on reçoit de cellules différentes, plus on peut améliorer la puissance du modèle et sa précision." VoltR continue d’étoffer sa base de données pour aller vers des mesures de prédiction de plus en plus précises. Tout le travail a été réalisé en interne "Cela nous permet d’avoir la propriété intellectuelle sur cette activité centrale, indique Alban Régnier. La base de données est un actif majeur qui a une valeur très importante."

L'IA qui création d’emplois

Si elle ne remplace pas l’intervention humaine, l’indispensable utilisation de l’intelligence artificielle dans " le projet VoltR ", comme aime encore à le nommer Alban Régnier, va même contribuer fortement au développement de la filière : "Grâce à l’IA, affirme le dirigeant, on va revaloriser des batteries et on va créer de l’emploi. " L’objectif de la start-up est en effet ambitieux : de 25 collaborateurs, elle devrait atteindre un effectif de 40 à 50 personnes en fin d’année, de 130 à 150 l’an prochain et surtout d’environ 500 en 2030, avec le déploiement de quatre usines de reconditionnement en Europe. "Nous travaillons sur le projet d’une première usine en Maine-et-Loire de plusieurs milliers de mètres carrés", confie Alban Régnier.

"La période que nous connaissons aujourd'hui est celle que l'on a connue à la naissance du web : une euphorie, des peurs, et du désordre"

La montée en puissance de l'IA soulève de nombreuses problématiques : l'intelligence artificielle remet en question l'avenir de certains métiers, n'est pas sans impact sur l'empreinte carbone, interroge en matière de transparence, d’éthique et de confidentialité des données. "D’une certaine manière, analyse Clément Guillon, la période que nous connaissons aujourd’hui est celle que l’on a connue à la naissance du web : une euphorie, des peurs, et du désordre. Mais tout cela va s’organiser progressivement et surtout se réguler car c’est indispensable. La première régulation sera celle de l’utilité. Si l’IA s’avère inutile dans certains secteurs, si elle n’apporte pas de valeur, elle n’y prospérera pas. Il y aura une régulation par l’éthique, car certains usages ne seront pas acceptables et pas autorisés. Mais il y aura aussi une régulation liée à l’impact écologique. L’IA demande de la puissance de calcul, et donc une énorme consommation d’énergie. Ce n’est pas un enjeu mineur pour l’avenir de ses usages." Des usages qui nécessiteront avant tout d’informer et de former, pour que cette intelligence, qui demeure artificielle, ne reste qu’un outil au service de l’intelligence humaine qui en conservera la maîtrise.

Pays de la Loire # Informatique # Stratégie