Pour Frédéric Brochard, directeur de recherche à l'Institut Jean-Lamour de Nancy, maîtriser la fusion nucléaire est à portée de main : "À la fin de la décennie 2030 ou au début des années 2040, c'est possible". Avec son équipe, le chercheur s'emploie à bâtir le projet Spektre : cette nouvelle machine de recherche, installée dans les locaux de l'institut Jean-Lamour, doit permettre d'avancer dans la compréhension des phénomènes qui se produisent lors d'une réaction de fusion nucléaire, soit la réaction qui se déroule au cœur du soleil. Des recherches qui ouvrent la voie à la maîtrise de quantité colossale d'énergie décarbonée, moins radioactive que le nucléaire actuel et sans risque d'emballement.
Un don de l'Institut Max-Planck
Aux 13 bobines de cuivre de 30 tonnes données par l'Institut Max-Planck de physique des plasmas de Garching, en Allemagne - soit un don de "plusieurs millions d'euros" -, viendront encore s'ajouter plus de trois millions d'euros d'équipement pour finaliser la machine. Fin 2023, les premiers galops d'essai seront menés, avant de "mener les premières études sérieuses au deuxième semestre 2024", précise Frédéric Brochard.
Devant la porte de l'Institut Jean-Lamour, une start-up piaffe déjà d'impatience. Fondée par Francesco Volpe en 2020 à Grenoble, Renaissance Fusion fait partie du club très fermé de la quarantaine de jeunes pousses qui travaillent sur la fusion nucléaire à travers le monde. Lauréate du programme French Tech 2030, Renaissance Fusion a levé 15 millions d'euros pour développer une idée : doter les futurs réacteurs nucléaires à fusion d'une paroi liquide, en lithium. "Aujourd'hui, ce qui se présente devant le plasma, c'est une paroi métallique", détaille Diego Cammarano, directeur des opérations de Renaissance Fusion. Mais le plasma, chauffé à 150 millions de degrés, endommage très rapidement le métal : "La brique technologique que nous cherchons à valider, c'est de remplacer cette paroi par du lithium liquide, paroi qui sera maintenue en place par un champ magnétique." Une option technologique qui pourra être validée par Spektre, avant d'envisager de monter à une échelle industrielle et de produire de l'électricité. "Spektre est une machine très versatile, qui nous permettra de tester ce genre de concept, sans pour autant produire du plasma, mais en reproduisant les conditions que l'on trouve entre la paroi et le plasma", précise Frédéric Brochard.
Collaboration entre recherche publique et privée
Dans une réaction de fusion, deux atomes légers fusionnent en libérant de l'énergie, soit l'inverse de la réaction à l'œuvre dans les 56 réacteurs nucléaires qui équipent le parc français. Là, les équipes d'EDF pilotent des réactions de fission : les noyaux d'uranium sont cassés par une particule légère, un neutron, pour libérer de l'énergie. Mais avant de maîtriser la fusion nucléaire, l'ensemble des chercheurs à travers le monde devront comprendre ce qui se passe dans le plasma, cet état de la matière qui survient quand un gaz est chauffé à très hautes température. "Avec Spektre, nous allons reproduire une partie des phénomènes qui sont à l'œuvre dans les grands instruments de recherche, de façon à pouvoir faire des comparaisons fiables, mais avec la facilité d'utilisation d'un équipement de laboratoire", détaille Frédéric Brochard, qui estime que les collaborations entre la recherche publique et les initiatives privées portées par les start-up sont la bonne méthode pour arriver à maîtriser la fusion nucléaire. Pour arriver à mettre en œuvre un premier réacteur, Renaissance Fusion devra rassembler entre "deux et trois milliards d'euros", estime Diego Cammarano.