Les vins d'Alsace à la reconquête du marché local et national
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Les vins d'Alsace à la reconquête du marché local et national

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Les vins d’Alsace ne sont pas à la fête et tendent à perdre des parts de marchés. Pour moderniser leur image et dynamiser la filière, le Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace vient de lancer une vaste campagne de communication. Bien mais pas suffisant, selon certains viticulteurs.

Ces dernières années, les vins d'Alsace enregistrent des résultats commerciaux en demi-teinte. Ils perdent notamment du terrain à l'international — Photo : © ZVARDON

Ils veulent éviter d’avoir la gueule de bois. Ces dernières années, les vins d’Alsace affichent des résultats commerciaux en demi-teinte, avec la perte de nombreuses parts de marché, notamment à l’export qui représente un quart des ventes. L’enjeu est de taille pour la région. Car, pesant environ 500 M€ de chiffre d’affaires, la filière viticole alsacienne emploie pas moins de 15 000 personnes.

Pour y faire face, le Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace (Civa), qui réunit 4 000 viticulteurs et 850 metteurs en bouteille, a investi un million d’euros dans une grande campagne de communication, qui prévoit notamment de l’affichage dans le métro et les gares parisiennes. En Alsace également, des villes telles que Strasbourg, Mulhouse ou Colmar devraient bénéficier de cette campagne visuelle. « En outre, une vaste opération de marketing va être lancée auprès des restaurateurs et de la grande distribution par le biais de dégustations et d’animations », détaille Philippe Bouvet, le directeur marketing du Civa. Un hashtag, #AlsaceRock, a également été lancé sur les réseaux sociaux pour séduire les jeunes, Alsaciens ou non.

Cette campagne vise à dynamiser la filière des vins alsaciens, le blanc en particulier qui représente 90 % du volume produit. « Nous souhaitons créer le raccourci Alsace = vin blanc », détaille Philippe Bouvet.

La carte du bio

Pour regagner le cœur des consommateurs, l’Alsace possède de nombreux atouts. « Nous sommes la seule région au monde à proposer une telle diversité de vins blancs », argumente Séverine Schlumberger, du domaine du même nom. L’Alsace est par ailleurs la deuxième région de France en termes de part de vignobles labellisés Agriculture Biologique. Un argument de poids car le marché du vin bio connaît une croissance enivrante et, selon une étude de l’institut IWSR, devrait quasiment doubler de taille d’ici à 2022.

Sa route des vins, qui sillonne l’Alsace en traversant plus de 300 domaines viticoles sur 170 km, participe également à sa renommée en étant l’une des plus connues et anciennes de France.

S’ils saluent l’opération marketing lancée par le Civa, de plus en plus de viticulteurs finissent cependant par ne plus se retrouver dans la ligne prônée par leurs représentants. Pour Thierry Muller, à la tête d’un domaine viticole à Marlenheim, trois raisons peuvent expliquer la crise que traversent les vins alsaciens. À commencer par l’augmentation des paperasses administratives – et du temps passé dans les vignes - notamment pour obtenir la certification bio.

Des « réserves qualitatives » à l’alsacienne ?

La gestion des stocks est aussi pointée du doigt. « En Alsace, on estime qu’une année de grand rendement est une année de mauvaise qualité pour le vin. Ce n’est pas vrai ! Il faudrait mieux réguler notre volume d’une année sur l’autre, en faisant ce qu’on appelle en Champagne des réserves qualitatives. Ce à quoi nos représentants sont réticents », regrette le viticulteur, membre de l’association des Vignerons indépendants d’Alsace. Selon lui, les vignerons alsaciens ont mis les doigts dans un engrenage qui nuit - in fine - à la commercialisation de leurs vins : « Une année de petit rendement, nous ne sommes pas en mesure de répondre à toutes les demandes. Que fait un client qui n’obtient pas le vin qu’il souhaite ? Il va chez un concurrent. Mais il ne reviendra pas forcément chez nous l’année suivante. On perd ainsi progressivement des parts de marché », regrette le vigneron, partisan de développer en Alsace des vins d’assemblage, qui permettrait, en complément des autres vins, d’assurer un volume constant d’une année sur l’autre. C’est ainsi qu’a vu le jour l’Argentoratum, une cuvée de blanc sec lancée en juin dernier par dix vignerons membres de l’association « Le vignoble de la Couronne d’or » - correspondant au début de la route des vins, en périphérie de Strasbourg.

Ces vins d’assemblages permettraient de reconquérir des consommateurs, par ailleurs souvent rebutés par le nombre de cépages et la variété des vins alsaciens. Tout autant que leur prix : des vins de base atteignent parfois le prix de grands crus. Et les vins alsaciens disparaissent ainsi des tables. 40 % des restaurateurs alsaciens les auraient rayés de leur carte, selon Xavier Muller. « Il faut arrêter de croire que simplifier signifie perdre en qualité. On peut se faire une belle image en allant vers la simplicité », estime le vigneron.

« Il faudrait entrer dans le système des bag-in-box », avance-t-il également. D’autres régions se sont lancées sur ce créneau des fontaines à vins de 3 litres, qui répondent notamment à une demande des restaurateurs. Ainsi, le Riesling au pichet aujourd’hui servi dans la plupart des restaurants alsaciens n’est plus alsacien mais… allemand ! « Nos représentants estiment que l’Alsace vaut mieux que cela. Je pense au contraire qu’à force de se considérer au-dessus de ces problématiques, on a perdu beaucoup de parts de marché au profit d’autres régions françaises et même des vins étrangers », s’agace Xavier Muller.

En finir avec la cigogne

Le renouveau des vins alsaciens passe également par une refonte des canaux de distribution. Pour Vanessa Kleiber, la directrice marketing de la cave coopérative Bestheim (70 salariés, 43 M€ de CA), « 70 % à 80 % des achats de vin s’effectuent dans la grande distribution. C’est donc un circuit de distribution que les acteurs alsaciens auraient tort d’ignorer. ». Pourtant, nombreux sont les viticulteurs alsaciens à émettre des réserves quant à ce circuit de distribution, synonyme de mauvaise qualité et de prix bon marché. Les vins d’assemblages pourraient représenter une porte d’entrée sur ces marchés.

Si la sommelière Marielle Kubik s’enthousiasme des très bons crus classés en Alsace, elle regrette qu’« ils soient trop souvent associés à la gastronomie alsacienne. Les vignerons devraient communiquer sur le fait que leurs vins peuvent aller avec tous les plats, conseille-t-elle. Il faut sortir de l’image de la nappe à carreaux et de la cigogne ».

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