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Les perspectives se brouillent pour les entreprises françaises en Chine
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Les perspectives se brouillent pour les entreprises françaises en Chine

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Les entreprises françaises en Chine auraient-elles un coup de blues ? Elles font les frais de la politique sanitaire zéro Covid menée depuis trois ans par les autorités chinoises. Malgré un récent infléchissement, celle-ci entrave le business, freine les projets d’investissement et brouille les perspectives de la deuxième économie de la planète.

Les 25 millions d’habitants de Shanghai ont été éprouvés par les deux mois de confinement décrétés au nom de la politique de "zéro Covid" — Photo : Mattias Isaksson

Selon le Wall Street Journal, Apple réfléchirait à délocaliser une partie de ses capacités de production en Chine vers l’Inde et le Vietnam. Si aucune annonce officielle n’a été faite, un départ, même partiel, de la marque à la pomme constituerait un coup dur pour l’économie chinoise. La seule usine d’Apple à Zhengzhou emploie 200 000 salariés, selon France Info. Plus grave pour la Chine, les interrogations du géant américain sont partagées par de nombreuses entreprises étrangères, inquiètes de la politique "zéro Covid" menée par les autorités depuis trois ans.

Stop-and-go sanitaire

Le 7 décembre dernier, la Commission nationale de la santé chinoise a certes annoncé un allègement des mesures sanitaires. Les personnes contaminées asymptomatiques ou ne présentant que des symptômes légers de Covid-19 pourront désormais effectuer leur période d’isolement à domicile plutôt que dans un centre spécifique. Par ailleurs, le pays devrait réduire la portée et la fréquence des tests. Est-ce un tournant dans la politique sanitaire chinoise ou des mesures de circonstance destinées à apaiser la colère populaire qui a éclaté, fin novembre, à travers tout le pays, dans les villes confinées, de Lhassa, à Canton, en passant par Zhengzhou ? Il est encore trop tôt pour le dire, d’autant que l’allègement des restrictions pourrait faire repartir en flèche l’épidémie et un nouveau cycle de stop-and-go. Des incertitudes qui, ajoutées à la guerre en Ukraine et à la crise du secteur immobilier chinois, altèrent le climat des affaires en Chine.

Image détériorée

La situation inquiète jusqu’à l’ambassade de France en Chine. Pratique inhabituelle, celle-ci a posté, le 24 novembre 2022, depuis son compte officiel, sur le réseau social chinois Weibo un message critiquant la stratégie de la Chine face à la pandémie de Covid-19. En chinois, elle souligne : "La politique chinoise du zéro Covid dynamique a des répercussions sur les entreprises françaises présentes en Chine. […] Afin de maintenir et de développer le commerce et les investissements bilatéraux entre la Chine et la France, un environnement commercial transparent, prévisible et équitable est indispensable." Avec plus de 2 100 filiales employant 445 000 personnes, la France est le premier investisseur européen en Chine par le nombre d’entreprises. La CCI France Chine a sondé leur moral à travers deux enquêtes réalisées au printemps, puis à l’automne 2022. 79 % des répondants considèrent que l’image de la Chine est détériorée par la situation sanitaire.

Investissements différés

Cette situation affecte la stratégie d’investissement de la plupart (58 %) d’entre eux. Ainsi, 43 % des entreprises françaises n’envisageaient pas à l’automne d’accroître leur présence en Chine durant les trois prochaines années (contre 27 % en mai) et 16 % réfléchissaient même à réduire leur présence dans le pays. La politique zéro Covid du gouvernement est le facteur qui pénalise le plus les décisions d’investissement. Il est mis en avant par 89 % des entreprises (contre 80 % en mai). Le ralentissement de l’économie chinoise représente également pour plus de la moitié des entreprises interrogées (53 %) un motif pour différer leurs investissements dans le pays.

Peu de nouveaux entrants

Si le montant global des investissements européens en Chine a plutôt bien résisté ces dernières années, cela tient à une poignée de grands groupes, allemands pour la plupart. Ainsi, "les dix premiers investisseurs européens en Chine au cours des quatre dernières années ont représenté en moyenne 80 % du total des investissements européens directs dans le pays", pointe une étude réalisée par le cabinet Rhodium. À eux seuls, les allemands Volkswagen, BMW, Daimler et BASF totalisent un tiers des sommes investies depuis l’Europe. En revanche, indique Rhodium, "de nombreuses autres entreprises présentes en Chine retiennent leurs nouveaux investissements. Pratiquement aucune n’a choisi d’entrer sur le marché chinois ces dernières années et les acquisitions d’entreprises chinoises sont au point mort. Il y a un écart grandissant dans la manière dont les entreprises européennes perçoivent l’équilibre entre les risques et les opportunités sur le marché chinois." De fait, de plus en plus d’entreprises réduisent leur exposition au risque chinois en cherchant des alternatives dans d’autres pays d’Asie.

Délocalisations hors de Chine

"Nous percevons un mouvement de délocalisation des entreprises françaises, et même chinoises, vers des pays comme le Vietnam, le Cambodge ou encore l’Indonésie. Nous travaillons beaucoup à Hô Chi Minh au Vietnam, où nous voyons se développer des zones d’activité à une vitesse galopante. Le Cambodge est très prisé des Chinois. Nous constatons également de nombreux investissements européens en Indonésie qui dispose d’un énorme marché intérieur et est une porte ouverte sur l’Océanie", témoigne Vincent Olangua, représentant Asie pour la CCIR Pays de la Loire et dirigeant de Groupe Huit, filiale du groupe nantais Keran, spécialisée dans l’accompagnement des pays émergents sur les problématiques d’aménagement urbain.

Ralentissement économique

La politique sanitaire chinoise, outre les investissements, a grippé la consommation des ménages, les chaînes logistiques et la demande des entreprises. L’activité dans les services, en particulier, s’est effondrée plus qu’attendu, en raison des restrictions qui pèsent sur le tourisme, l’hôtellerie-restauration et les transports. L’indice des directeurs d’achat, calculé par le cabinet IHS Markit, s’est établi à 46,7 points en novembre (contre 49,3 en septembre), un niveau inférieur à 50 traduisant une contraction de l’activité. Dans ces conditions, les profits des entreprises sont impactés. Selon l’enquête menée par CCI France Chine, c’est le cas pour 62 % des entreprises françaises, qui relèvent, par ailleurs, des conséquences sur leur politique de recrutement. 70 % soulignent avoir besoin de collaborateurs expatriés pour assurer la bonne conduite de leurs affaires en Chine. Mais plus de 50 % ont enregistré une baisse de leur proportion dans leurs effectifs et leur remplacement est compliqué par la difficulté d’attirer des talents étrangers dans le pays pour 66 % des entreprises. Même fondée sur des salariés chinois, l’organisation des entreprises peut être perturbée. "Le matin, quand j’arrive au bureau, je ne sais pas sur combien de salariés, je vais pouvoir compter. En fonction des confinements décrétés au niveau d’un quartier ou d’un immeuble, certains de mes collaborateurs se retrouvent bloqués chez eux pour une durée indéterminée. Nous n’avons aucune visibilité", peste le dirigeant français d’une entreprise de services, installée à Shanghai.

L’épopée des enneigeurs de WeSnow

L’improbable épopée de la société savoyarde WeSnow illustre, quant à elle, de façon frappante les difficultés engendrées par la politique sanitaire chinoise sur les entreprises exportant depuis la France. La TPE de 10 salariés, qui fabrique des enneigeurs, décroche en 2021 un contrat pour livrer et installer 11 de ces équipements dans un gigantesque ski dôme de 91 000 m² à Taicang, une ville située à 160 kilomètres de Shanghai et choisie par le conglomérat Fosun, principal actionnaire du Club Med, pour y implanter l’Alpin Snow World. Pour WeSnow, qui réalise un chiffre d’affaires de 2,3 millions d’euros, ce contrat de 1,4 million d’euros représente un marché important et une première en Chine. Mais la désorganisation du fret maritime et le retour des mesures restrictives transforment vite ce succès commercial en casse-tête. "Nous avons dû transborder trois fois nos enneigeurs, car les bateaux changeaient de destination au dernier moment. Lorsqu’ils sont enfin arrivés à Shanghai, fin mars 2022, ils se sont retrouvés immobilisés à quai deux mois supplémentaires. En termes de trésorerie, cela a été très compliqué pour nous. Nous avions plus de 700 000 euros dehors et nos interlocuteurs chinois ne pouvaient pas nous payer avant la réception de la commande", raconte Bertrand Lambla, président de WeSnow. Le contrat n’a finalement été soldé que fin 2022 lors de la mise en service des enneigeurs.

Risque géopolitique

Ces incertitudes n’ont pas dissuadé le concepteur et fabricant angevin de cartes électroniques Eolane (310 M€ de CA en 2022, 2 400 collaborateurs) d’inaugurer, en novembre 2022, une nouvelle usine chinoise de 4 000 m² à Suzhou, près de Shanghai. Cet investissement d’un montant de 50 millions d’euros doit permettre au groupe d’accompagner sa croissance dans le pays. Celle-ci a atteint 30 % sur la période 2020-2021 pour un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros et s’élèvera à 21 % sur la période 2021-2022. Les usines chinoises d’Eolane, qui fabriquent et intègrent des puces électroniques pour les marchés chinois (70 %) et export (30 %) dans l’industrie, la santé, le ferroviaire et les véhicules électriques, ont réussi à limiter l’impact de la politique sanitaire stricte en vigueur depuis trois ans. "Nous n’avons pas arrêté un seul jour la production. Notre supply chain a été impactée, mais nous avons anticipé les risques de rupture en nous dotant, grâce à une trésorerie solide, d’un stock de composants critiques. Notre équipe de R & D locale a également travaillé sur la nomenclature de nos produits pour identifier les composants à risque et leur trouver des produits de substitution. Pour un client dans le domaine médical, nous avons ainsi été en mesure d’en proposer 182. Pour éviter aux opérateurs d’être contaminés dans les transports en commun, nous avons loué des chambres dans des dortoirs à proximité de l’usine qui, par chance, ont été épargnés par l’épidémie", raconte Grace Lingja-Colin, directrice générale Eolane en Chine. Si Eolane connaît une belle croissance en Chine, celle-ci aurait toutefois pu être supérieure sans la prise en compte du risque géopolitique qui aggrave la crise sanitaire en incitant les clients, étrangers, comme chinois, à diversifier leurs approvisionnements. "Les confinements ont fait peur. Les risques géopolitiques aussi. Auparavant, nous étions le seul fournisseur de nos clients. Désormais, ils cherchent à ménager l’avenir et mettent en place des plans B. Ce qui a suscité l’arrivée de nouveaux concurrents. Sans ces facteurs, nous aurions pu faire une croissance de l’ordre de 50 %", explique la dirigeante d’Eolane en Chine, qui laisse entendre à mots couverts qu’Eolane pourrait investir dans de nouvelles capacités industrielles en Asie, mais en dehors de la Chine. C’est également la prise en compte du risque géopolitique qui a conduit l’actionnaire américain d’une entreprise industrielle, implantée en France, à lui demander de chercher des alternatives à ses fournisseurs chinois, au cas où l’invasion de Taïwan par la Chine, exposerait celle-ci à des sanctions de la part des États-Unis.

Miser sur le "vert"

Dans ce contexte, la prudence est de mise pour les entreprises françaises souhaitant s’aventurer en Chine. Certains secteurs restent néanmoins porteurs. "Nous avons gagné en 2022 une dizaine de clients européens et chinois dans le domaine du photovoltaïque, du stockage de l’énergie ou encore des équipements médicaux mobiles", indique ainsi Grace Lingja-Colin. Ce que confirme Irène Tchedre, responsable d’Altios pour la Chine et Hong Kong : "Certains secteurs offrent encore de belles opportunités aux entreprises françaises, notamment tout ce qui permet de produire vert, toutes les technologies vertes liées à l’environnement, à l’eau, au traitement des déchets, à la mobilité durable…"

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