Un leitmotiv pour garder le cap et tracer sa route. "Il n'y a qu'un seul patron, c'est le client", martèle Nicolas Guyamier, aux commandes depuis 2012 de l'entreprise familiale de transport routier du même nom, créée par sa grand-mère en 1948 à Ambès (Gironde). La citation de l'homme d'affaires américain Sam Walton, fondateur de l'empire Walmart, placardée au-dessus du bureau du jeune dirigeant en nourrit allègrement le propos. "Nous sommes une entreprise, une équipe familiale, forte de ce statut qui donne le sens à tout ce que nous déployons. Cela se traduit par un management positif qui permet à toute critique d'être posée, si elle est constructive pour apporter du service aux clients. Nous sommes des prestataires de services, à ce titre, nous sommes dépendants du client. Et si nous nous sommes industrialisés et professionnalisés dans notre métier, nous devons rester humbles et garder les pieds sur terre", poursuit l'énergique PDG.
Achats en série
À la manœuvre une citation, un esprit d'équipe et des valeurs familiales donc, pour conduire une stratégie de croissance externe commencée en 2019, avec le rachat des Transports Lacassagne. Ce spécialiste du transport industriel en lot complet jusqu'à 29 tonnes est historiquement identifié sur le territoire pour les activités bois, papiers et carton. En avril 2021, c'est la société Atlantic Europe Express (18 salariés, 3,6 M€ de CA) spécialisée dans les liaisons transmanche, créée par Hafid Derideche, qui rejoint le groupe de Nicolas Guyamier. La quatrième roue de l'attelage est raccrochée en janvier 2022. La société SMME Transport, dirigée par Hubert Filaudeau, devient SMGE Transports suite à son rachat par le groupe ambésien. Basée à Mérignac, experte dans le transport d'engins et le transport exceptionnel en porte chars, la nouvelle venue élargit ainsi l'offre de service du groupe qui affiche désormais 500 cartes grises, 24 000 mètres carrés d'entrepôts, 300 collaborateurs, pour un chiffre d'affaires de 32 millions d'euros. Une croissance menée tambour battant, mais non sans peine, qui a pu être engagée après une période tourmentée : en juillet 2014, les Transports Guyamier étaient placés en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Sauver l'entreprise
"Pendant des années, j'ai pensé à sauver l'entreprise. Après l'avoir restructurée, redynamisée, j'ai pu concevoir que ces entreprises à vendre constitueraient autant de contraintes en devenant une concurrence supplémentaire. Nous n'avions pas besoin de ça sur nos marchés. C'est plutôt dans ce sens-là que j'ai essayé de les reprendre. C'est l'occasion qui a fait que je me suis positionné", rappelle le PDG
Pas question pour autant de foncer tête baissée. Les entreprises convoitées carburent aux mêmes valeurs. "J'en comprends le métier, je m'identifie, je connais les dirigeants et ces derniers peuvent nous accompagner", poursuit-il. C'est ainsi que l'ancien patron de Lacassagne, Erick Picquenot, reste une précieuse ressource pour le groupe. Même chose pour Atlantic Europe Express. "Hafid Derideche est toujours avec nous. Pour moi, l'ADN de ces sociétés vient aussi de leur dirigeant. La passation doit se faire en douceur, les équipes doivent être formées, sans limite, sans pression. Je ne suis pas capable de reprendre une entreprise du jour au lendemain", explique Nicolas Guyamier.
Valeurs sportives
Humilité, respect et engagement sont au cœur du management voulu par le dirigeant, par ailleurs président du club de rugby de Floirac depuis sept ans. "J'ai compris que l'énergie des sportifs de haut niveau était indispensable à la cohésion de nos équipes. Lorsque j'ai repris l'entreprise en 2012, j'ai essayé tous les séminaires et audits imaginables pour renforcer l'esprit d'équipe des collaborateurs. Ça a coûté une fortune, mais servi à rien", s'amuse-t-il. Aujourd'hui, trois joueurs du club de Floirac sont sur le terrain opérationnel de Guyamier sur le site d'Ambès, siège du groupe. Baptiste Cadiou, demi de mêlée, est l'un d'entre eux. "Il amène de la dynamique et de la simplicité dans les échanges, ce qui permet d'en faire un véritable pilier alors même qu'il a découvert le métier voilà seulement un an dans le cadre du rachat d'Atlantic Europe Express", se félicite le président.
La cohésion permet aussi la mise en place d'outils communs au sein du groupe qui poursuit sa restructuration, notamment informatique et la migration vers le logiciel conçu par LIS France. "Les sociétés qui nous rejoignent passent sur l'ERP qui permet en outre la mise en place des statistiques en instantanée. Nous leur apportons des outils, du contrôle de gestion, de la comptabilité analytique. Cela affiche également notre volonté de moderniser les quatre sociétés, de faciliter le travail des collaborateurs en leur proposant des outils plus ergonomiques pour améliorer leur productivité mais aussi la satisfaction de nos clients", se félicite ce féru de tableaux de bord et d'indicateurs de performances.
Une flotte d'identités
Selon le trentenaire, la réussite des reprises tient également à la préservation de l'identité de chaque entité. Encore une question d'humilité insiste-t-il. "Chez Guyamier tout est bleu, chez Lacassagne rouge, chez Atlantic noir, chez SMGE c'est jaune. Ces identités doivent être gardées au maximum, au sein d'une structure et en y apportant de la nouveauté. Ce sont des entreprises connues et reconnues sur le territoire local qui nous rejoignent. Je cherche à reprendre des entités aux identités fortes comme Lacassagne, et, ou, expertes, associée à un métier très spécialisé", ajoute Nicolas Guyamier. En outre, à chaque rachat, l'ensemble des collaborateurs de chaque entité est intégré, favorisé par un matériel poids lourds commun, de type tautliner.
La nouveauté vient des portes chars de SMGE. "Approcher des métiers de niche ne me dérange pas, à condition d'avoir les professionnels en face", insiste le dirigeant qui rappelle que des engagements ont été pris par des clients historiques pour la location de ces transporteurs de matériel de chantier, de nacelles, d'élévateurs, etc. Pierre Julien, associé, en charge de GLJ Affrètement (pour Guyamier Lacassagne Julien), la filiale dédiée à l'affrètement, en convient : ce nouveau marché est porteur. " Nous disposons désormais de 6 camions porte chars, dont trois en location chez Loxam, sur son agence de Bègles. Des clients il y en a à Mérignac, et on peut en trouver beaucoup d'autres, il y a un pouvoir d'évolution extraordinaire de cette activité", projette le directeur général. À condition de trouver des chauffeurs. "Nous pourrions en embaucher dix immédiatement", avance le président.
Les cours des énergies qui flambent
"Le manque de chauffeur constitue l'écueil principal. Nos métiers souffrent d'une communication négative. Le camion est mal vu en France, peut-être un peu moins depuis la crise du Covid qui nous a placés en première ligne", rappelle Nicolas Guyamier. Autre ombre au tableau : la dépendance vis-à-vis des constructeurs. "Nous pâtissons de discours réducteurs au sujet des camions au gasoil. Il faut bien comprendre qu'actuellement aucun des constructeurs n'est capable de nous proposer un camion électrique avec une autonomie de 500 kilomètres. Il ne s'agit pas seulement d'annoncer une prime gouvernementale à 150 000 euros pour l'achat de camions électriques, s'il n'y en a pas. Pour l'heure ce matériel conviendrait convient à de petits marchés de niches, aux derniers kilomètres, mais pas aux distances de nos clients, ni aux charges transportées", souligne-t-il.
Au-delà de ces difficultés, le groupe entame une nouvelle étape. Mars 2022 vient de voir la sortie du plan de redressement dans lequel se trouvait Guyamier depuis 2014. "La société redevient in bonis. C'est une très belle actualité qui va nous permettre d'écrire une nouvelle page", note le dirigeant. Sans excès de réjouissances toutefois. "Nous allons avancer pas à pas. Selon les opportunités. Après les Gilets jaunes, le Covid et maintenant la flambée des prix du carburant, nous allons devoir une nouvelle fois faire preuve de beaucoup d'agilité", s'alarme-t-il, le regard rivé sur la trésorerie et les cours menaçants des matières premières. Alors que l'actualité, tels que les événements en Ukraine, pousse le prix des carburants à la hausse, le dirigeant s'avoue fébrile. "Le poste du carburant dans nos comptes d'exploitation varie habituellement entre 27 et 30 % de notre chiffre d'affaires. Là, on est passé à 35-36 %. Le gasoil est bien parti pour représenter le premier poste de charges des entreprises de transport ", poursuit-il. Pour faire face, il lui faut contacter en urgence les clients, leur faire comprendre qu'il n'y a pas d'autre choix que de revoir les prix à la hausse en conséquence. La revalorisation concerne 100 % des tarifs. "L'ensemble des équipes est mobilisé. Il n'y a plus de négociations possibles. À plus de deux euros le litre en cette mi-mars, nous n'avons plus d'autres moyens", reconnaît le PDG. "La grande majorité de nos clients nous comprennent, mais à quel prix !".
"Si nous avons tant fait pour nous en sortir, et que nous y retournons dans un mois, à quoi bon ?", interroge Nicolas Guyamier, alors que la sortie du plan de redressement vient tout juste d'être actée.
Les prochaines opérations de croissance externes attendront et l'esprit d'équipe est plus que jamais convoqué…
