Auvergne Rhône-Alpes
La région Aura veut prendre son envol sur l’aéronautique
Enquête Auvergne Rhône-Alpes # Aéronautique # Écosystème et Territoire

La région Aura veut prendre son envol sur l’aéronautique

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La région Auvergne-Rhône-Alpes ambitionne de jouer un rôle majeur dans l’aéronautique de demain. Un tissu industriel riche et dense, 2 500 postes à pourvoir en 2023, un cluster dédié, une académie de l’aéronautique… La filière, identifiée comme clé et stratégique par l’administration Wauquiez, possède plusieurs des atouts, à condition de résoudre certaines faiblesses qui se font jour.

Quand on parle d’aéronautique, on pense généralement aux régions Occitanie, Île-de-France et Nouvelle-Aquitaine. Pourtant avec son important tissu de sous-traitant de ses nombreux savoir-faire, la région Auvergne-Rhône-Alpes a une carte à jouer sur un secteur en pleine mutation — Photo : Elo Vall Test

Devenir "les champions de l’avion ultra-sobre". Tel est le cap qu’a fixé le président Emmanuel Macron, lors de sa visite en juin de l’usine Safran Aircraft Engines de Villeroche (Seine-et-Marne). Visite au cours de laquelle, il a annoncé, dans le cadre de France 2030, une enveloppe de deux milliards d’euros pour l’aéronautique. Si cette enveloppe doit bénéficier principalement à Safran et General Electric pour leur moteur Rise, à Airbus Toulouse pour leur recherche d’alternative au titane russe, ou encore à Daher Tarbes pour son travail sur la propulsion hybride électrique (projet conjoint avec Safran et Airbus), les TPE et PME devraient elles aussi pouvoir prétendre à leur part du gâteau.

Dans cette optique, Auvergne-Rhône-Alpes ne cache pas son appétit. Première région en nombre d’entreprises présentes en juin au salon du Bourget, la région n’a pas hésité à montrer les muscles. La délégation de 160 entreprises menée par Franck Colcombet, président du cluster Aérospace, a profité de l’occasion pour agrandir son carnet d’adresses et se positionner comme un acteur crédible de la décarbonation de l’aéronautique.

Des entreprises déjà à la manœuvre

Au sortir de l’évènement, plusieurs annonces ont d’ailleurs été faites. Le célèbre fabricant de pneus Clermontois, Michelin, a présenté l’Air X Sky Light, un nouveau pneu de 10 à 20 % plus léger et dont la durée de vie est de 15 à 20 % plus élevée. Il équipera le Falcon 10X et sera proposé à l’aviation commerciale. La start-up grenobloise Limatech, qui fabrique des batteries aéronautiques lithium-Ion, a signé un accord de distribution de ses batteries dans le monde avec OEMServices, qui fournit à l’ensemble de l’industrie aéronautique des composants d’aéronefs, des solutions de MRO, de logistique et d’ingénierie. Ce dernier proposera aux compagnies aériennes les batteries de Limatech dès janvier 2024.

Dans le Puy-de-Dôme, Constellium a annoncé une collaboration avec le spécialiste du démantèlement des avions, Tarmac Aerosave, sur un projet de recyclage de l’aluminium aéronautique. Les deux entreprises ambitionnent de récupérer l’aluminium au sein des avions en fin de vie avec l’objectif de le réutiliser dans la chaîne de valeur du secteur. L’utilisation d’un aluminium recyclé pourrait être 95 % moins gourmand en énergie, que la production primaire de métal.

"Pas un avion ne vole sans une pièce de la région"

Même si les principales régions de l’aéronautique sont celles des grands constructeurs telles l’Occitanie où se trouve le siège principal d’Airbus ou encore l’île de France où tous les grands groupes du secteur conservent leurs implantations, suivies de la Nouvelle-Aquitaine, la région Auvergne-Rhône-Alpes, avec sa prometteuse 4e place, se positionne donc comme un challenger crédible de l’aéronautique de demain.

De la Vallée de l’Arve à Clermont-Ferrand, Saint-Etienne et Grenoble en passant par Lyon, tout le territoire aurhalpin est investi par l’aéronautique, qui représente quelque 350 entreprises et pèse 17,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires (contre 62,7 milliards d’euros au niveau national), et 7 200 emplois directs (45 000 indirects). Sur les cinq acteurs majeurs du secteur, trois sont par ailleurs présents en Auvergne-Rhône-Alpes : Safran, Thalès et Dassault Aviation. Franck Colcombet, président du cluster Auvergne-Rhône-Alpes Aerospace (215 adhérents) le confirme : "pas un avion ne vole sans avoir au moins une pièce venant de la région ".

Pour le président du cluster, Auvergne-Rhône-Alpes propose une grande variété de métiers et de compétences et surtout, les entreprises sont à la pointe de leur savoir-faire. Un discours auquel adhère David Arragon, PDG du fabricant de composants mécatroniques Crouzet. "Nous parlons souvent de l’Occitanie, mais notre région a une vraie filière d’excellence aéronautique par la technicité des entreprises présentes. 60 à 70 % de nos sous composants proviennent de la région notamment de STMicroelectronics", souligne le dirigeant qui réalise 45 % de son chiffre d’affaires dans l’aéronautique.

L’ETI drômoise (1 300 salariés ; 250 M€ de CA en 2022), qui a perdu 35 millions d’euros de chiffre d’affaires au plus fort de la crise Covid qui a stoppé net l’aéronautique, reste néanmoins optimiste. "L’aéronautique n’est pas morte ni hors sol. Elle va s’adapter aux contraintes environnementales. Son évolution qui tend vers plus d’électronique à bord d’avions électriques, toujours plus légers, nous promet une belle croissance, nous qui travaillons sur déjà des composants plus légers", affirme David Arragon. Un optimisme partagé par Franck Colcombet qui voit dans "la culture de l’innovation de la région due à son historique industriel, que ce soit dans le secteur de la chimie, le textile ou encore la plasturgie" un atout "qui lui permet d’être en pointe dans le domaine des composites".

Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation et Laurent Wauquiez, président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes lors de la signature du protocole d’accord Aeroprint au Salon du Bourget 2019 — Photo : DR

Savoir-faire uniques et innovation

Le tissu industriel régional couvre par ailleurs toute la chaîne de valeur de l’aéronautique. À l’image de Sunaero, qui propose un service et de la technologie de maintenance globale (MRO) à destination des acteurs de la filière. La PME lyonnaise (70 salariés) se déploie des États-Unis à l’Asie en passant par l’Europe. Avec 23 brevets déposés, Sunaero revendique être la seule entité à proposer une solution à l’hélium dans la maintenance de fuites de carburant grâce aux appareils qu’elle a développés et qui sont les seuls référencés dans les modes d’emploi des aéronefs. "Nous sommes en capacité de gagner 2 à 3 jours d’immobilisation d’appareil. Pour une fuite de carburant, nous avons besoin de 16 heures. Grâce à notre système de polymérisation nous avons divisé jusqu’à 40 fois le temps de séchage", se félicite le président de Sunaero, Jean Roussel.

Parmi les innovations qui devraient impacter l’avenir de l’aéronautique, on trouve la fabrication additive (impression 3D). Et dans ce domaine, Auvergne-Rhône-Alpes a également une belle carte à jouer. Dès 2020, Dassault Aviation a lancé la première machine additive titane sur son site d’Argonay, en Haute-Savoie, faisant de celui-ci un site pilote pour la région Auvergne-Rhône-Alpes avec dans la ligne de mire le projet de R & D baptisé Aeroprint. Ce projet qui regroupe neuf partenaires (industriels, centres de recherche et laboratoires universitaires) vise à développer et maîtriser le procédé de production allant de la poudre (métallique ou titane) à la pièce aéronautique certifiée. Une technologie innovante qui promet au secteur de diminuer ses coûts de production tout en produisant moins de déchets et en allégeant les avions grâce à des pièces plus légères. Ce démonstrateur préindustriel pourrait permettre de positionner la région sur l’échiquier européen de l’impression 3D métal.

Lors d’un discours en 2021, en marge d’une visite du site d’Argonay et face à Florence Parly, alors ministre des Armées, le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, avait d’ailleurs loué la "compétence unique" de son site d’Argonay et le savoir-faire des Haut-Savoyards "remarquable en matière d’industries de précision comme le décolletage ou l’horlogerie".

Des freins au décollage

Penser les avions de demain, c’est aussi ce que fait Eenuee. Fondée en novembre 2019 par Erick Herzberger, la start-up (5 salariés ; 408 000 € de CA en 2020) a posé ses valises à Saint-Etienne avec la ferme intention de réinventer le transport aérien régional. Comment ? En déployant un réseau de transport de personnes et de biens respectueux de l’environnement et qui participent au désenclavement des territoires. Un réseau qui repose sur une innovation majeure : la création d’un avion électrique de 30 mètres d’envergure, capable de transporter 19 personnes sur une distance allant jusqu’à 700 km, avec l’équivalent de deux packs de batteries Tesla, et de se poser sur de petits aérodromes ou sur l’eau grâce à des hydrofoils. Eenuee qui a déjà mis au point trois démonstrateurs, dont le dernier à l’échelle 1/7e, ambitionne de boucler une levée de fonds de 4 millions d’euros pour se rapprocher progressivement de la taille réelle avant de réaliser son premier prototype (20 M€ de budget estimé).

Très en vue lors du dernier salon du Bourget, le modèle disruptif d’Eenuee tarde pourtant à trouver des appuis. "Depuis le passage du président Wauquiez sur notre stand au Bourget, la Région a pris conscience de notre potentiel. On commence à nous aider en essayant notamment de nous mettre en relation avec des investisseurs mais du côté de Saint-Etienne Métropole nous attendons un signe. Nous avons besoin d’un aéroport pour nous installer et assembler et tester nos démonstrateurs et, à terme, notre prototype. On nous a parlé de faire redécoller l’aéroport de Saint-Etienne avec une pépinière. Mais pour l’instant rien ne bouge pas", constate Eric Herzberger. Et d’ajouter : "quand je vois que d’autres régions débloquent des sommes considérables pour accompagner les projets innovants dans l’aéronautique et qu’elles nous sollicitent pour venir nous installer, ça fait réfléchir".

Quant aux aides de l’État, Eenuee semble être passée en dehors des radars. "Nous avons déjà joué au plan France 2030. Nous avions des labos de recherches et des partenaires industriels avec nous. Mais notre dossier d’aéronef bas carbone a été jugé trop ambitieux", explique le dirigeant.

Écartée une première fois, la start-up stéphanoise dénonce la direction insufflée par les gros de l’aéronautique. "À un moment, on nous a dit que la décarbonation passerait par l’hydrogène et là, depuis un an, on nous parle des carburants durables d’aviation (SAF). Mais en ne mettant l’accent que sur ces carburants, on se prive d’autres solutions alternatives", estime le dirigeant.

Franck Colcombet est lui beaucoup plus modéré. "Je ne me permettrais pas de juger France 2030 mais je n’ai pas le sentiment que l’on s’oriente vers une solution unique. La décarbonation de l’aéronautique passera forcément par une pluralité de solutions", estime le président du cluster Aérospace.

Eenuee entend révolutionner le transport aérien régional avec son aéronef 100 % électrique. Sur la photo, le démonstrateur de la start-up stéphanoise avec les ailes repliées — Photo : Eenuee

Une problématique de formation

Autre frein au décollage d’Auvergne-Rhône-Alpes, la pénurie de main-d’œuvre alors que les besoins de recrutements sont estimés à 2 500 postes à pouvoir dans l’aéronautique en Aura sur 2023. "La filière reste encore méconnue et souffre d’un manque de formation qui vient s’ajouter au manque de valorisation des métiers techniques", relève le PDG de Crouzet. "Nous avons remarqué un écart entre la formation et la demande des entreprises qui étaient contraintes de reformer les personnes embauchées", admet Stéphanie Pernod, la première vice-présidente de la Région, déléguée à l’économie, à la relocalisation, à la préférence régionale et au numérique.

Pour apporter une réponse à cette problématique, la Région a créé en 2021 l’académie aéronautique et spatiale Auvergne-Rhône-Alpes. Cette académie a déjà permis de labelliser 227 formations aux couleurs de l’aéronautique. Cette labellisation assure aux entreprises du secteur que le contenu référentiel réponde à leurs besoins. D’ici cinq ans, le directeur général de l’académie, Jean Fromion, espère labelliser six lycées dans l’académie de Lyon et cinq dans celle de Grenoble.

Après Aulnat (Ain), un deuxième campus des métiers et des qualifications devrait voir le jour en 2026 à Ambérieu-en-Bugey (10 à 15 M€ d’investissement). Cet établissement de 3 100 m² permettra d’accueillir 50 personnes en formation à la fois réparties sur 2 ou 3 plateaux techniques. Les formations seront dispensées par les entreprises qui embauchent et sur leurs machines. "Le but est de finir le module le vendredi et de commencer à travailler dès le lundi, mais aussi de former 150 à 200 personnes par an", indique Stéphanie Pernod.

Un programme de montée en compétences sera également disponible pour les salariés. L’administration Wauquiez a promis de financer entièrement les formations pour les entreprises qui recrutent, ainsi que les outils d’entreprises souhaitant augmenter leur production. En parallèle, la Région travaille à augmenter le quota d’ingénieurs et de techniciens en partenariat avec les grandes écoles dont l’ECAM ou encore l’INSA. Elle espère passer de 6 400 ingénieurs diplômés actuellement à 8 000 et de 10 000 à 12 500 pour les techniciens d’ici à 2028.

Le troisième volet concernera la recherche et l’innovation, les entreprises pourront venir travailler ensemble sur l’avion de demain. Ces "lieux totem", comme les qualifie la première vice-présidente permettront de faire connaître la filière, d’adapter les métiers traditionnels et de développer les nouveaux métiers au projet d’avion bas carbone. "Notre réflexion sur la conception du campus d’Ambérieu-en-Bugey coïncide avec les objectifs de décarbonation de l’aéronautique du gouvernement ce qui va nous permettre de construire un projet en parfaite adéquation avec les enjeux du secteur", conclut Jean Fromion.

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