"La France reste le pays le plus attractif d’Europe en nombre de projets d’investissements étrangers"
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Marc Lhermitte associé EY "La France reste le pays le plus attractif d’Europe en nombre de projets d’investissements étrangers"

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En dépit de la crise énergétique et du conflit ukrainien, la France est le pays européen captant le plus de projets d’investissements portés par des capitaux étrangers. Si des nuages se profilent à l’horizon, entre la stratégie industrielle américaine et la crise politique française, la France a de nombreux atouts en main pour conserver le leadership européen, estime Marc Lhermitte, associé EY.

Les entreprises contrôlées par des capitaux étrangers "représentent 13 % de l'emploi salarié, près de 25 % de la R & D privée et 35 % de nos exportations industrielles", indique Marc Lhermitte, associé EY — Photo : EY

Malgré la guerre en Ukraine, malgré la crise énergétique, les investissements étrangers en Europe sont toujours en croissance en 2022. Dans ce contexte, est-ce que la France continue de tirer son épingle du jeu ?

La France reste le pays le plus attractif d’Europe en nombre de projets d’investissements étrangers : avec 1 259 implantations ou extensions annoncées en 2022, elle conserve la première place européenne. Le nombre de projets est en croissance de 3 % en France, dans la lignée de la croissance en Europe (1 %). Mais les emplois apportés par les projets diminuent de 15 % entre 2021 et 2022 en France et de 16 % en Europe. La situation économique a créé une cassure, au printemps 2022 et qui s’est amplifiée avec l’envolée des prix énergétiques, dans ce qui allait être une très belle année, avec probablement une croissance à deux chiffres en France et en Europe.

Depuis 10 ans, le nombre de projets portés par des investisseurs étrangers en France a plus que doublé. Qu’est ce qui explique cela ?

La compétitivité a entraîné l’attractivité. Il y a un peu plus de 10 ans, le rapport Gallois montrait que la France avait un problème de compétitivité coût, que la France avait un énorme problème de prix et qu’elle ne le justifiait pas. Les coûts salariaux et la fiscalité sur les entreprises effaçaient tous les progrès qu’on pouvait faire sur la technologie ou l’innovation. La rentabilité des investissements en France était alors très faible. Progressivement, l’action publique a permis de corriger le tir : avec, en 2016, les premiers chèques du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) ainsi que la loi El Khomri sur le marché du travail.

Comme par magie, la courbe des investissements étrangers s’est mise à remonter. Et puis, cela s’est accéléré avec le début du premier mandat d’Emmanuel Macron, qui a mis au centre de son agenda politique les questions de l’attractivité de la France, la capacité à attirer l’investissement, à créer de l’emploi, à retenir des entreprises en France. Avec de nouvelles réformes du marché du travail et des arguments fiscaux, comme un engagement de réduction de l’impôt sur les sociétés qui a été tenu malgré les Gilets jaunes, le Covid et les milliards du plan de relance. À cela s’ajoutent la réduction des impôts de production et le maintien du crédit d’impôt recherche, qui reste le totem de l’innovation française à l’international. Enfin, il y a eu un travail d’image, de marketing de la France. À l’extérieur, cette image "made in France", "French tech" a très bien fonctionné.

Que pèsent les entreprises contrôlées par des capitaux étrangers en France ?

C’est environ 1 % des entreprises (16 800), dit l’Insee. Mais elles représentent 13 % de l’emploi salarié, près de 25 % de la R & D privée et 35 % de nos exportations industrielles. C’est une composante de l’économie française, que l’on voit moins que les emblèmes français que sont nos PME et nos ETI. Mais ces entreprises à capitaux étrangers aident à résoudre deux sujets importants pour l’économie française que sont l’innovation et l’exportation. Quelle serait la balance commerciale de la France sans la réexportation de Siemens, de McCain, de Coca, de Procter & Gamble, etc. ?

Deux secteurs sont particulièrement en forme : l’innovation et l’industrie…

Avec 144 projets en 2022, nous sommes en effet champions d’Europe des centres de R & D. Quand Intel, premier fabricant mondial de microélectronique, annonce 1 000 créations d’emplois de chercheurs à Saclay sur 10 ans, c’est formidable. Et j’insiste sur le fait que dans l’offre française, le crédit impôt recherche est un élément important. Le raboter – il y a des débats à ce sujet – constituerait selon moi la pire des idées.

"Beaucoup d’usines sont installées dans des zones rurales, des petites villes ou des villes moyennes"

Au niveau de l’industrie, on dénombre 547 projets en 2022, 13 % de plus qu’en 2021. Cela représente 4 projets sur 10. Beaucoup d’entreprises reviennent donc faire de l’industrie en France. Il faut s’en réjouir. D’autant que, de plus en plus, les investissements concernent des process ou des produits décarbonés. Autre motif de satisfaction : beaucoup d’usines sont installées dans des zones rurales, des petites villes ou des villes moyennes. Toutefois, il faut nuancer ce bon résultat. Il y a beaucoup plus d’extensions que de nouvelles implantations et ces agrandissements sont moins pourvoyeurs d’emplois. En France, on dénombre 33 emplois par projet – toutes activités confondues, mais il en est de même pour l’industrie. En Allemagne, un projet génère en moyenne 58 emplois, presque deux fois plus.

Que faut-il en déduire ?

Il y a toujours une prudence de la part des investisseurs vis-à-vis du coût du travail et des procédures en France. Notre performance pourrait donc être plus importante. Il y a un deuxième sujet : c’est que les procès, parfois légitimes et souvent un peu irrationnels, que l’on fait à la logique commencent à toucher l’industrie. Alors que l’e-commerce explose, on a moins de plateformes logistiques qui s’implantent en France. Beaucoup d’aménageurs, de collectivités, d’élus essaient de mettre une barrière à l’entrée sur les plateformes logistiques, à la fois pour des questions d’acceptabilité locale mais aussi de procédures. L’an passé, le rapport Guillot a montré que le délai d’implantation pour une activité logistique est de 9 mois en France, mais seulement de 3 mois en Allemagne. Processus d’autorisation longs et complexes, barrières administratives, principe de précaution, nouveau langage politique sur l’acceptabilité des implantations économiques : les entreprises commencent à déposer des autorisations, sans aucune assurance que leurs projets puissent aboutir. C’est un vrai problème qui se multiplie ces dernières années en France, dans la logistique, mais aussi désormais dans l’industrie.

Au niveau des centres de décisions, la France fait moins bien que le Royaume-Uni pourtant chahuté par le Brexit. Vous appelez à un plan d’urgence. Que faut-il faire ?

Si Paris se défend pas mal sur les banques, on constate qu’on n’arrive pas à gagner des parts de marché au Royaume-Uni, affaibli par le Brexit sur ce type d’activités ayant une valeur d’influence pour toute l’économie française ainsi qu’une valeur fiscale. Par rapport à nos compétiteurs - le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays Bas ou l’Irlande -, nous avons un déficit sur la fiscalité des plus-values, des dividendes et le traitement des prix de transfert. Un écart qui s’est créé avec certains de nos compétiteurs sur ces sujets. Autre sujet, la fiscalité des équipes de management et de leurs collaborateurs. Managements package, stock-options : on n’est pas compétitifs en France.

Dans quelle mesure les subventions massives de l’Inflation Reduction Act américain peuvent impacter les décisions d’investissement en Europe ?

Le Reduction Act et le plan Biden sont très incitatifs et troublent beaucoup d’entreprises qui ont les moyens de faire des arbitrages entre l’Europe et les États-Unis. Notre enquête montre que le taux de confiance dans l’attractivité de la France à trois ans a chuté de 10 points. En 2022, 63 % des dirigeants étrangers estimaient que l’attractivité de la France allait s’améliorer dans les trois ans. Ils ne sont plus que 53 % à le dire cette année. Le chiffre reste positif, mais on sent quand même que l’inquiétude monte. La question est de savoir comment l’Europe va pouvoir répondre pour rester dans la course, dans cette période d’intenses transformations et d’arbitrages industriels où il faut faire tout en même temps : travail hybride, technologique, décarbonation…

Pensez-vous que la crise politique et sociale générée par la réforme des retraites peut refroidir les investisseurs ?

Les dirigeants d’entreprise que nous avons interrogés durant le conflit social disent qu’ils vont continuer à développer leurs activités en France en 2023. Si l’indicateur à 3 ans chute de 10 points, celui sur 2023 reste stable, voire progresse même légèrement. Les investisseurs étrangers gardent la tête froide et nous disent : malgré tout, la France, ça compte ! En Espagne, au Royaume-Uni, en Allemagne, il y a aussi des problèmes - on ne s’en rend pas compte - qui sont pires que les nôtres. Le Royaume-Uni continue de souffrir du Brexit. L’inflation y est beaucoup plus forte, les moyens de protéger l’économie beaucoup plus faibles.

"En France, nucléaire aidant, notre mix énergétique est très décarboné. C’est un énorme atout pour faire de l’industrie"

De son côté, l’Allemagne est assez handicapée sur l’atteinte de ses objectifs carbone. Elle a récemment inauguré une centrale au charbon, qui produit autant de carbone que tout le transport aérien français en une année. Cela pose problème aux nouveaux industriels qui ont des objectifs et des exigences énormes en matière de trajectoire carbone. Alors qu’en France, nucléaire aidant, notre mix énergétique est très décarboné. C’est un énorme atout pour faire de l’industrie. Certes, personne n’a aimé ce qu’il s’est passé dans les rues de nos grandes villes ces derniers mois. Certes, nous avons encore des efforts à faire pour améliorer notre économie internationale en matière de fiscalité, de droit, d’investissement dans les infrastructures… Mais la France est capable de rassurer, de se projeter, d’être finalement un îlot de relative stabilité et de décarbonisation. Dans ce climat complexe, il y a des opportunités. Il faut en être conscient, tout en s’occupant sérieusement de nos fragilités.

# Industrie # Recherche et développement # International # Fiscalité # Attractivité # Investissement