«La France devrait réduire ses charges et sa bureaucratie»

«La France devrait réduire ses charges et sa bureaucratie»

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Son groupe est implanté des deux côtés du Rhin. Pour le patron allemand Daniel Hager, la France doit bel et bien revoir son modèle. En ligne de mire: dialogue social, administration et interventionnisme politique.
— Photo : Le Journal des Entreprises



Quelles ont été les différences d'approche des gouvernements français et allemand face à la crise économique?

La réponse de la France face à la crise, c'est un grand emprunt de 50milliards dont on se demande ce qu'il est devenu aujourd'hui. Où est-il passé? À qui a-t-il profité? Je n'en ai aucune idée. En Allemagne, on a plutôt joué sur la fiscalité pour adoucir la situation. On a par exemple accéléré la possibilité d'amortissement des entreprises, ce qui permet de payer moins d'impôts. Cela a un effet sur les recettes de l'État, là aussi aux alentours de 50milliards. Mais le principe est plus démocratique: tout le monde peut bénéficier de l'allégement, TPE, PME ou grands comptes. Pas besoin de remplir des dossiers, d'avoir un système bureaucratique, de décisions prises à Paris. Cet exemple illustre bien l'approche française: «Je suis politique, mais je vais inventer un nouveau dispositif pour relancer l'économie».


L'intervention du gouvernement dans le temps de travail ou le versement des dividendes, ça n'arriverait donc pas en Allemagne?

Cette histoire des dividendes, c'est scandaleux! Que les politiques se permettent de décider comme cela une redistribution, c'est aberrant. Ce genre de position affaiblit la position française vis-à-vis des investisseurs étrangers.


Les politiques français seraient donc des «apprentis sorciers»?

D'un côté, ils disent «achetez français» et, de l'autre, ils augmentent l'impôt sur les sociétés. Il n'y a aucune cohérence! Comment voulez-vous pousser à la consommation de produits français alors que la hausse des impôts impliquera un coût plus élevé des produits français et donc moins de compétitivité? C'est la même chose pour certains dispositifs comme le Crédit impôt recherche: à quoi cela rime de donner un allégement lié à toute une bureaucratie et qui bénéficie surtout aux grandes entreprises qui ont le temps et les équipes pour candidater? Il suffirait de baisser les charges, de diminuer les difficultés administratives et les entreprises seraient plus performantes. Évitons les actions au coup par coup!


Que pensez-vous du dialogue social en France?

Il y est beaucoup plus difficile. Vous ne négociez pas avec un syndicat, mais avec cinq, au mieux! Ces cinq syndicats peuvent être d'accord avec ce que propose l'entreprise, mais ne pas vouloir signer un accord de peur de perdre aux prochaines élections syndicales. En Allemagne, vous avez en face un seul syndicat, ce qui permet d'harmoniser son intérêt et celui de l'entreprise. Un vrai dialogue s'enclenche et on arrive à prendre des décisions équilibrées. Ce modèle marche bien.


Il y a donc un problème de gestion en France?

Il y a une dette réelle, non? La France doit maîtriser son déficit à tous les niveaux. Il y a notamment trop de niveaux de décision. Région, département, communautés de communes, communes, c'est n'importe quoi, cela a un coût! Vous avez des gens qui font double ou triple emploi. On ne peut plus financer cela. Mais c'est difficile de bouger les choses: demandez à une dinde de voter pour Noël, elle vous dira non!


Est-ce que vous pensez que la lourdeur de l'administration et de la loi française pénalise l'économie nationale?

Sur ce sujet, un seul exemple: dans notre entreprise, nous avons ramené une machine de travail du métal d'un de nos sites allemands vers un de nos sites français. Pour la mettre en conformité avec la loi du travail française, nous avons dû investir plus de 150.000euros. Je ne pense pourtant pas qu'une machine allemande soit là pour blesser les gens qui l'utilisent! Je suis bien évidemment d'accord qu'il faut prendre soin de la sécurité de ses salariés, mais cet exemple précis m'interpelle.


Pourquoi l'Allemagne est-elle aussi performante à l'export?

Il y a le tissu industriel, le coût du travail. Mais il y a aussi une dimension culturelle. Un Français regarde d'abord vers la France, vers Paris, car c'est là que tout se joue. C'est le centralisme industriel hérité de l'époque des rois de France. À la même époque, en Allemagne, il y avait des cités-Etats qui avaient des spécificités différentes, avec des régimes différents. Il fallait donc être davantage ouvert et comprendre chaque marché. Aujourd'hui, les provinces sont extrêmement actives, il n'y a pas qu'un seul centre de décision. Cela explique peut-être une culture plus tournée vers l'export, vers la compréhension de besoins différents. Cette différence se sent encore aujourd'hui sur la façon d'attaquer les marchés: les industriels français imaginent qu'en accompagnant Sarkozy ou un ministre en Chine, ils vont y faire des affaires. Alors qu'un industriel allemand, il va à la rencontre du marché, des clients.


Tout est-il si paradisiaque chez vous?

Non. Un des grands problèmes, c'est que nous avons également un lourd déficit public. Le budget de l'État est de 300milliards d'euros dont 20 sont financés par des dettes neuves. C'est important et inquiétant. De même, nous avons un gros débat autour de l'éducation, avec une harmonisation qui n'existe pas dans les 16 Lander et que nous devons amener. Enfin, il y a la problématique de la démographie, qui pourrait poser un problème de main-d'oeuvre à moyen et long terme.


Pensez-vous qu'il existe de la germanophobie en France?

Non: l'amitié franco-allemande fonctionne et nous avons atteint une maturité dans nos relations. Après, dans une communauté, on se tourne souvent vers le plus fort à l'instant T afin que ce soit lui qui mène la marche. Aujourd'hui, c'est l'Allemagne, mais il y a sept ans, nous étions le patient malade de l'Europe. Je pense que la France n'a pas à copier à 100% le modèle allemand. Ses recettes sont nées d'une autre culture. Pourquoi ne pas regarder d'autres modèles et y prendre ce qui convient à la situation. Les Allemands ne sont pas les Français et les Français ne sont pas les Allemands. Et heureusement!