France
Contraintes administratives : le ras-le-bol des PME et ETI
France # Économie

Contraintes administratives : le ras-le-bol des PME et ETI

Alors que le ministre de l’Économie Bruno Le Maire lance une série de consultations sur tout le territoire dans le but de simplifier la vie des entreprises, la grogne monte dans les PME et ETI. En dépit des promesses, la multiplication des normes et réglementations met les dirigeants au bord de la crise de nerfs.

Entre 2011 et 2020, les ETI françaises ont dû composer avec 700 nouveaux décrets ou arrêtés par an, selon une étude du Meti — Photo : Hasselblad H5D

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, et Olivia Grégoire, ministre déléguée en charge des PME, lancent ce jeudi 16 novembre les "Rencontres de la simplification", à La Ville-aux-Dames, en Indre-et-Loire. Ces consultations, qui se dérouleront sur tout le territoire jusqu’au début de l’année 2024, ont pour but de recueillir les témoignages des dirigeants d'entreprise sur les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien, afin de définir une série de mesures destinées à leur simplifier la vie.

En effet, malgré la volonté affichée des gouvernements successifs, rien ne semble pouvoir enrayer l’inflation normative en France. En juillet 2017, une circulaire enjoignait bien à chaque ministère de dresser un inventaire et d’adopter le principe de "One in, one out", selon lequel "toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression, ou en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes."

Un stock de 400 000 normes

Cependant, si "de 2017 à 2020, le Journal officiel s’est bien amenuisé de 6 109 pages, le bilan de la présidence s’élevait, en 2021, à 8 049 pages supplémentaires effaçant ainsi tous les efforts de simplification effectués depuis le début du quinquennat", relève la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap). Le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) a également dressé un état des lieux des paysages normatifs en France et en Europe. Il estime ainsi à 400 000 le stock de normes pesant sur les ETI, stock qui a grossi au rythme effréné de 700 nouveaux décrets ou arrêtés par an entre 2011 et 2020. La France fait ainsi partie des pays ayant la charge normative la plus élevée au monde (18e sur 148). "Quand on parle de simplification, on ne sait pas ce que ce terme recouvre. C’est pourquoi, nous avons voulu objectiver les choses en étudiant l’ensemble du cycle de vie de la norme depuis la création, en passant par l’intégration et le contrôle. Des difficultés ont été relevées à chaque étape", indique Alexandre Montay, délégué général du Meti. L’étude pointe, notamment, l’empilement de nouvelles normes sans suppression des anciennes, la surtransposition en France des normes européennes, le manque de cohérence entre les normes, la complexité de leur interprétation… Autant d’éléments qui complexifient l’activité des PME et ETI.

Le fiasco du guichet unique

Les déboires du guichet unique, qui ont perturbé la vie des entreprises pendant des mois, illustrent ces difficultés. Lancé le 1er janvier 2023, le Registre national des Entreprises (RNE) était censé faciliter les déclarations de création, modification et cessation des entreprises, en regroupant toutes ces formalités dans un guichet unique, opéré par l’Institut national de la propriété intellectuelle (Inpi). Les dysfonctionnements ont été tels que le gouvernement a suspendu le service pour ne le rétablir que fin juin. Malgré des améliorations, il suscite encore la colère des usagers : chefs d’entreprise, mais aussi professionnels du chiffre et du droit. "Dans les cabinets, nous étions à la limite du burn-out à la mise en place du guichet unique. Aujourd’hui, même si nous commençons à discerner l’ergonomie du site, nous ne voyons pas la simplification. Nous constatons un surcroît d’activité non productif et un transfert des tâches de l’administration vers les entreprises et leurs conseils, via un outil rigide dont les rubriques sont mal adaptées. Nous estimons à 30 à 40 minutes le temps supplémentaire nécessaire pour effectuer une formalité. C’est colossal", s’insurge Valérie Giet, avocate associée chez Oratio-Baker Tilly et vice-bâtonnier du barreau de Lyon. À Lyon, comme dans d’autres villes, avocats, notaires et experts-comptables, se sont associés pour mettre en place une cellule de crise qui fait remonter les dysfonctionnements du guichet unique.

Un coût exorbitant de 28 milliards d’euros

Le Meti a, pour sa part, fait les comptes. L’accumulation normative coûte au moins 28 milliards d’euros par an aux ETI, soit 2,6 % de leur chiffre d’affaires. Cette somme recouvre le temps et les emplois mobilisés sur l’intégration, l’adaptation, le respect et le contrôle des normes, ainsi que les dépenses engagées et la perte de chiffre d’affaires engendrées pour accomplir ces tâches bureaucratiques. Dans le viseur des 1 200 dirigeants d’ETI interrogés, 22 corpus totalisant 480 normes qui, à eux seuls, feraient perdre 20 milliards d’euros par an aux ETI. Cette liste noire des procédures les plus coûteuses est dominée par les textes à connotation sociale et environnementale. Y figurent également les études d’autorisation des travaux pour les installations classées protection de l’environnement et le Code du travail, en particulier pour ses procédures de recrutement. Une analyse partagée par Bénédicte Caron, vice-présidente en charge des affaires économiques à la CPME et directrice générale d’un Super U en Normandie, qui dénonce : "Qu’il s’agisse de droit, de fiscalité, d’environnement, on ne cesse, depuis des années, de complexifier les règles administratives. Le top reste les entretiens professionnels à faire tous les deux ans et le bilan tous les six ans. Ce sont des formalités très lourdes, inadaptées à de nombreuses PME qui ne peuvent pas proposer des évolutions de carrière. Il y a aussi les innombrables enquêtes de l’Insee, Pôle Emploi, etc. auxquelles on nous demande de répondre. Ces formalités prennent du temps. On n’en voit jamais la fin. C’est usant ! Les chefs d’entreprise sont fatigués."

Perte de compétitivité

Outre la fatigue des dirigeants, les contraintes administratives ont pour conséquence de dégrader la compétitivité des entreprises. "Le Meti était déjà à la manœuvre pour réduire les impôts de production ou le coût du travail qualifié. Nous avons mené cette étude sur ce que nous appelons la cascade normative avec la même volonté de lutter contre les facteurs de non-compétitivité du site France", avance Alexandre Montay. Une préoccupation partagée par les gouvernements français et allemands qui se sont engagés à réaliser un état des lieux des réglementations superflues qui freinent l’investissement et empêchent les entreprises européennes de faire jeu égal avec leurs homologues chinoises ou américaines.

Pour répondre à cette problématique, les organisations patronales proposent des solutions. "Nous plaidons pour une proportionnalité de la norme en fonction de la taille de l’entreprise, des études d’impact précises, une vision globale et consolidée du flux de normes chez le législateur et une stabilité de la norme. Nous proposons une norme garantie cinq ans quand le retour sur investissement est long, comme c’est le cas pour les normes environnementales", argumente Alexandre Montay. "Nous demandons un allègement des normes, qu’on s’interroge sur leur utilité et leur applicabilité dans les PME, leurs conséquences en termes de coûts et de temps passé et que le législateur prenne conscience que, si chaque norme prise isolément ne représente pas une charge importante, leur accumulation est invivable", conclut Bénédicte Caron.

France # Économie # Services de l'Etat # Syndicats patronaux # PME # ETI