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La chute de Casino, un tsunami pour l'emploi local
Enquête Loire # Distribution # Fusion-acquisition

La chute de Casino, un tsunami pour l'emploi local

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Le démantèlement en cours du distributeur stéphanois Casino ne sera pas conséquences sur l’emploi pour la Loire. Salariés des magasins qui basculeront à la concurrence, employés du siège social à Saint-Etienne ou des entrepôts de la filiale logistique, tous sont aujourd’hui suspendus à la restructuration financière du groupe qui risque également d’entraîner dans sa chute sous-traitants et fournisseurs locaux. Enquête sur ce qui pourrait bien ressembler à un tsunami économique pour la région stéphanoise.

Magasins historique du distributeur stéphanis, l'Hyperfrais Casino de Saint-Etienne Monthieu basculera sous enseigne Auchan courant avril — Photo : Gilles Cayuela

Les 50 000 salariés de Casino en France en sauront plus sur leur avenir le 26 février. C’est à cette date que le tribunal de commerce de Paris doit donner sa décision sur les plans de sauvegarde accélérée du distributeur stéphanois et de ses filiales.

Si la juridiction commerciale valide le plan de sauvetage du groupe, plus rien ne s’opposera à sa restructuration financière et à sa reprise par le Consortium composé par les milliardaires Daniel Kretinsky et Marc Ladreit de Lacharrière (Fimalac), adossés au fonds d’investissement britannique Attestor.

À la faveur d’une augmentation de capital de 1,2 milliard d’euros, ledit Consortium prendra courant mars/avril le contrôle de Casino (avec 53,7 % du capital), reléguant l’actuel PDG et actionnaire majoritaire (via Rallye) Jean-Charles Naouri au rang de "petit actionnaire". La cession des 288 hypermarchés et supermarchés du groupe à Auchan, au groupement Les Mousquetaires (Intermarché) et Carrefour, sera elle aussi entérinée. Avec à plus ou moins long terme des conséquences sur l’emploi. "Les repreneurs se sont engagés à maintenir les contrats des salariés des magasins aux conditions Casino pendant 15 mois, mais après ?", s’inquiète le député de la Loire LREM, Quentin Bataillon.

1 200 à 1 400 salariés au siège menacés

Si l’avenir est indécis pour les salariés des hypermarchés et supermarchés qui basculeront à la concurrence, il l’est aussi pour les salariés du siège social de Casino, situé à Saint-Etienne. Sur les 1 800 à 2 000 salariés que compte encore le siège stéphanois (difficile d’obtenir un chiffre précis), "1 200 à 1 400 d’entre eux sont affectés à la gestion des magasins grand format et donc directement menacés par la cession des hypermarchés et supermarchés", précise Jean Pastor, délégué CGT du groupe Casino et porte-parole de l’intersyndicale. Les autres, gèrent les enseignes de proximité (6 313 magasins repartis sous les enseignes Spar, Vival, Petit Casino et Sherpa) et "ne sont pour l’heure pas impactés par le démantèlement en cours du groupe".

Pour Quentin Bataillon, la question est de savoir "combien sur les 1 200 salariés menacés, pourront être reclassés chez Intermarché, Auchan, Carrefour, en interne au sein des autres entités du groupe qui vont subsister (Franprix, Monoprix, etc.) ? Et combien pourront être reclassés au cœur du bassin d’activité local ?" Autant d’interrogations pour l’heure sans réponses, qui amènent à une question encore plus anxiogène : Saint-Etienne va-t-elle conserver le siège social de Casino ?

Casino et Saint-Etienne, une histoire commune qui a démarrée en 1898. Le siège social du groupe y emploie toujours entre 1 800 et 2 000 salariés. — Photo : Gilles Cayuela

Quel avenir pour le siège social stéphanois ?

"Dans son premier plan de reprise, Daniel Kretinsky promettait de conserver le siège à Saint-Etienne en le reboostant même avec 400 emplois supplémentaires. En gros, il fermait le siège administratif de Vitry et rapatriait toute la comptabilité et les RH du groupe à Saint-Etienne. Il prévoyait même d’y implanter un centre d’innovation", rappelle Quentin Bataillon.
Mais ça, c’était avant la cession de la quasi-totalité du périmètre des magasins grand format du groupe. "Là, on ne sait pas où l’on va et ce que va devenir le siège stéphanois. Je me suis renseigné auprès des propriétaires du siège (le promoteur lyonnais DCB International, NDLR), Casino leur a demandé de mensualiser les locations ainsi que le droit de pouvoir sous-louer", précise le député de la Loire.

Si, pour l’heure, aucune sous-location n’a été notifiée, cette information tend à montrer que Casino anticipe déjà des pertes d’effectifs au siège.

Or, qui dit moins de salariés au siège, dit aussi moins d’activité pour le quartier de Châteaucreux. "Le quartier d’affaires a été entièrement construit autour de Casino. Il y a aura forcément des conséquences pour les restaurateurs, les hôteliers, les commerçants. On risque d’avoir aussi des difficultés à terme à conserver des TGV directs depuis Paris. C’était en partie les gens de Casino qui les remplissaient. Or, arriver en 2 h 50 depuis la capitale ou en 3 h 30 avec une correspondance TER à Lyon, ce n’est pas la même chose pour un chef d’entreprise. Il y a un vrai risque de sentiment de déclassement et à terme de fuite de certaines entreprises", estime Quentin Bataillon, qui craint "un effet de boule de neige à la chute de l’empire Casino".

Vers "un tsunami économique pour Saint-Etienne et sa région" ?

Actionnaire minoritaire du groupe Casino et arrière-petit-fils du fondateur Geoffroy-Guichard, Xavier Kemlin a les mêmes craintes. "Avec ce démantèlement, je vous prédis un tsunami économique pour Saint-Etienne et sa région. Casino, ce sont des ramifications dans toute l’économie ligérienne", lance celui qui a déjà saisi à plusieurs reprises l’autorité des marchés financiers (AMF) et le parquet national financier (PNF) pour les alerter sur le mécano financier, monté par Jean-Charles Naouri. Mécano à l’origine de l’endettement record du groupe (7,9 Md€ à fin 2023).

Éviter ce tsunami économique, c’était l’ambition du "Collectif Casino", imaginé par Quentin Bataillon pour regrouper toutes les forces vives du territoire autour de Casino et de la bataille pour l’emploi qui en découle. Ce collectif, qui à l’origine devait être piloté par la CCI Lyon Métropole Saint-Etienne Lyon, a été pour l’heure mis de côté. Ce qui n’empêche pas la chambre consulaire de continuer de travailler en étroite collaboration avec la préfecture de la Loire pour identifier les sous-traitants et fournisseurs de Casino qui pourraient directement être impactés par la restructuration du groupe.

Une cinquantaine de sous-traitants déjà identifiés

Pour l’heure, une cinquantaine de sous-traitants avec des degrés de dépendance différents ont déjà été identifiés par cette cellule qui œuvre dans la plus grande confidentialité. "Le danger, c’est que certaines informations, si elles étaient amenées à sortir, entraînent une dégradation des cotations de la Banque de France sur des sous-traitants déjà en difficulté. Et que ces baisses de cotations se traduisent, in fine, par des difficultés pour ces mêmes entreprises à se faire financer ou refinancer par les banques. On ne mesure pas les effets en chaîne qui pourraient se démultiplier", explique Nicolas Bonnet.

Peu prolixe sur le nom des entreprises locales impactées par le démantèlement en cours de Casino, le directeur général de la CCI Métropolitaine l’est aussi sur l’ampleur de la vague de défaillances qui pourraient subvenir dans les mois à venir. "La question sur un sujet comme celui-ci, c’est de déterminer à quel niveau de dépendance à Casino, l’impact va être fort ? Est-ce que c’est 20, 30, 40, 50 % du chiffre d'affaires ?

Le deuxième point, "c’est que l’on ne sait pas encore si les repreneurs des hypermarchés et supermarchés vont passer systématiquement par leur propre centrale d’achat où s’ils vont s’appuyer sur des sous-traitants de Casino", développe l’intéressé, qui n’entend pas sombrer dans le fatalisme. "Saint-Etienne et l’économie ligérienne ne se résument pas à Casino. Notre objectif va aussi être de porter ce message auprès de Bercy pour aller chercher des budgets supplémentaires pour valoriser certaines filières porteuses comme le nucléaire ou l’armement, accélérer sur des formations, et contrebalancer un peu l’effet Casino", poursuit Nicolas Bonnet.

288 hypermarchés et Supermarchés Casino basculeront sous enseignes Auchan, Intermarché et Carrefour si la restructuration financière du groupe va à son terme — Photo : Gilles Cayuela

Une "onde de choc terrible" pour PrevH Group

Si le territoire entend bien démontrer sa capacité à rebondir pour ne pas avoir à revivre un nouveau Manufrance (4 000 emplois perdus pour Saint-Etienne à l’époque), certaines entreprises s’attendent déjà à passer des heures difficiles.

C’est le cas de PrevH Group, basé à Andrézieux-Bouthéon, et spécialisé dans les formations en santé et sécurité au travail. "Pour nous, l’onde de choc risque d'être terrible. L’une de nos sociétés, PrevH Gestion assure la gestion externalisée des plans de formation de Casino. Nous avons un contrat-cadre avec le groupe jusqu’à fin 2025, ce qui nous laissait le temps de diversifier notre clientèle pour sortir de notre dépendance. Nous n’aurons pas le temps de mener à bien cette diversification. C’est 100 % du chiffre d’affaires de cette société que l’on risque de perdre et 60 % sur PrevH Hom, qui intervenait sur l’ensemble du parc des magasins et entrepôts du groupe partout en France pour les formations en santé et sécurité au travail", développe François Loppin, le PDG de PrevH Group, qui est aujourd'hui en négociation avec Casino pour tenter de trouver une sortie de crise. "Nous discutons avec eux pour voir s'ils ne peuvent pas pousser notre activité auprès des repreneurs".

Si une issue favorable n'est pas trouvée, la PME ligérienne, qui emploie une trentaine de salariés, risque de perdre "a minima 10 à 15 salariés", confie le dirigeant. "J’ai fait des projections avec mon expert-comptable et mes avocats. Nous n’éviterons pas la procédure de sauvegarde. Mais j'ai bon espoir que les négociations avec Casino aboutissent. Ils sont à l'écoute", confie-t-il.

Aliace, Dom Sécurité et Gutenberg aussi dans la tourmente

Spécialiste du marketing par l’objet, le groupe de La Talaudière Aliace (sociétés Codina et Treelogi) à Saint-Etienne, risque aussi de connaître des heures difficiles. "Nous ne sommes pas dans une situation de dépendance mais Casino est un client historique. On va continuer à travailler avec Franprix, mais on va perdre facilement 20 % de notre chiffre d’affaires sans parler du stock que l’on gère pour eux. Nous avons des produits marqués Casino qui vont partir à la poubelle si les magasins de proximité ne les reprennent pas", raconte Samira Terfous, la dirigeante d’Aliace, qui a réalisé 1,4 million d’euros de chiffre d’affaires en 2023.

D’autres entreprises pourraient, elles aussi être emportées par la lame de fonds Casino. Parmi elles, on peut citer l’entreprise de sécurité d’Andrézieux-Bouthéon (Loire) Dom Sécurité (15,3 M€ de CA en 2022) pour qui le distributeur est un très gros client. Son dirigeant, et maire de la commune de Villars, Jordan Da Silva, n’a pas souhaité s’étendre sur le sujet. Idem du côté de Gutenberg Agency à Saint-Etienne (Gutenberg Network), qui accompagne le géant ligérien sur de nombreuses opérations de communication liées au parcours clients : "création, déploiement, production des opérations commerciales et de signalétique et packagings MDD des marques Casino, Naturalia et Monoprix", peut-on lire sur leur site internet.

Basé à Levallois-Perret (siège de l’agence), le président Mustapha Zaouali n’a pas répondu à nos sollicitations mais selon nos sources, Casino est incontestablement leur plus gros client. En interne, les salariés ne cachent pas leur inquiétude et s’attendent déjà à une vague de licenciements. En 2020 et 2021, les salariés de Gutenberg Agency avaient déjà essuyé deux plans sociaux.

Des ricochets inévitables

Chez Webqam l’inquiétude est moindre. L’agence de communication globale et digitale a réduit considérablement son niveau de dépendance à Casino ces dernières années. "À une époque, Casino était notre plus gros client. Aujourd’hui, ils sont sortis du top 10. Nous ne craignons donc pas grand-chose directement mais nous avons peut-être des clients qui sont eux-mêmes fournisseurs de Casino, et qui vont peut-être aussi être en difficulté. Par ricochet, nous risquons d’être impactés nous aussi. C’est toute une économie locale qui vit autour de ce gros porteur qu’est Casino. Et les supermarchés et hypermarchés représentent un périmètre énorme. Il y aura donc forcément un impact pour notre territoire", résume le directeur général de Webqam, Baptiste Cacheleux.

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