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"Devenir has been, ça me fait flipper"
Interview Gironde # Services

Philippe Capdevielle fondateur et dirigeant de Capdevielle Traiteur "Devenir has been, ça me fait flipper"

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Il a essayé de libérer son entreprise, tente aujourd’hui de combattre son paternalisme naturel, désire plus que tout susciter un sentiment d’appartenance chez ses collaborateurs, leur concocte un nouveau laboratoire aux petits oignons : Philippe Capdevielle est un dirigeant profondément humaniste et soucieux de la jeune génération. Devenu l’un des leaders de la réception haut de gamme en Aquitaine, le traiteur s’apprête à déménager, toujours à Bruges, pour suivre la cadence de son développement et répondre aux mutations du métier.

Photo : Caroline Ansart

Etes-vous soumis à une saisonnalité ?

Philippe Capdevielle : C’était le cas pendant une vingtaine d’années, d’avril à octobre, la saison des mariages. Il fallait la combattre. On a lissé le travail, notamment en structurant le service commercial. Les particuliers ne représentent plus que 20% au lieu de 50%. On a aussi créé Livraisons gourmandes (plats, cocktails, plateaux). Le e-commerce, il faut y être. Les vieilles recettes ne marchent plus, ou alors pour les vieux traiteurs (sourire)... Ce que je suis, mais j’ai des jeunes qui me boostent, je suis vigilant et je regarde.

Votre métier évolue-t-il beaucoup ?

P.C. Il est en train de muter. Les repas ne représenteront plus que 20% de notre activité, au profit des cocktails à thème et des livraisons d’ici 10 ans. Les “cagouilles”, ces jeunes à vélo avec des plats derrière, doivent interroger les restaurateurs. Tout change. Mes trois enfants, de 20 à 25 ans, m’encouragent à me bouger. Si je ne le fais pas je vais tomber dans ce qui me faisait peur quand je me suis installé : devenir has been, ça me fait flipper vous n’imaginez pas. Je veux partir un jour (j’ai du temps, hein!) la tête haute quand ça marche bien, pas quand tout le monde est pressé que vous partiez.

Où en est la construction de vos nouveaux locaux ?

P.C. On déménagera début mai. Ce labo (2 000 m2, plus de 3 millions d’euros, à une centaine de mètres de l’actuel à Bruges, ndlr, “parce qu’à 5 ou 15 km c’est la fuite du personnel et la démotivation, on ne se rend pas compte”), je le fais pour mes employés mais aussi pour moi, ça me force à penser à l’avenir de mon entreprise. Ici, on a déjà agrandi trois fois. On manque de place pour dresser, notamment pour Livraisons gourmandes (objectif à terme: 25% du CA, contre 17% aujourd’hui, ndlr). Je veux mettre mon entreprise en ordre de marche pour les vingt prochaines années. Donner les moyens pour qu’on fasse du mieux possible, avec du bon matériel.

Votre déménagement va-t-il s’accompagner d’embauches ?

P.C. En 30 ans, on a toujours été rentable. Être le plus connu, le plus fort, le plus grand, ça ne m’intéresse pas. Je veux faire les choses comme je le sens, sans brûler les étapes. Forcer les gens à faire plus de chiffre avec moins de marge, c’est le début de la fin. Mon
directeur commercial me reproche de ne pas lui donner d’objectif précis; on fera du mieux possible en gardant nos critères.

Vous considérez-vous dans une niche, à votre niveau haut de gamme ?

P.C. Je n’ai pas de chance mes confrères sont bons ! Contrairement à beaucoup de villes en France, à Bordeaux nous avons d’excellents traiteurs. C’est pénible!

Entreprendre, c’est ne pas dormir la nuit.

Est-ce une aubaine la “mode Bordeaux” ?

P.C. Quand j’investis plus de 3 millions d’euros, c’est que j’ai une fenêtre de 10 ans. Si je ne la prends pas, d’autres le feront. Quand on sait que la ligne LGV arrive, qu’on n’est pas trop bête, qu’on va à Marseille et qu’on y entend que lorsque le TGV est arrivé les congrès ont augmenté de 30%...

En quoi consiste la démarche environnementale que vous annoncez ?

P.C. En tant que “traiteur de France”, on a déjà la possibilité de donner nos commandes annulées à des oeuvres caritatives, pourvu qu’elles ne soient pas encore sorties de nos frigos. Par ailleurs, nos déchets vont être mis dans un composteur et nourrir notre futur potager, destiné aux employés. On va aussi faire un poulailler. J’imagine même pouvoir nourrir un cochon, mais pas dans nos locaux. Les clients pourraient le nourrir et repartir avec une boîte de pâté!

Que peut-on vous souhaiter pour 2018 ?

P.C. Qu’on ne rajoute pas des ennuis où il n’y en a pas. Entreprendre, c’est ne pas dormir la nuit.

Qu’est ce qui est le plus difficile en tant que chef d’entreprise ?

P.C. Rien. Tout est motivant. Reste que, parfois, ce que l’on fait pour les autres n’est pas perçu comme tel. C’est compliqué d’impliquer les gens. C’est aussi pour cela que je fais le labo : retrouver ce sentiment d’appartenance qui est très important. Il faut un lieu propice. On a un coach qui vient pour gérer le codir, pour qu’on puisse avancer ensemble. On en a déjà fait venir, ça ne s’est pas bien passé. On en fait revenir un autre. Quand il y a un problème dans une équipe, c’est le chef d’entreprise qui est fautif. Peut-être a-t-il raison - je pense que c’est souvent le cas parce que si l’entreprise en est là c’est grâce à lui - mais il a mal expliqué. Il ne faut plus être paternaliste, mais c’est dur de déléguer. Le management participatif ne se fait pas tout seul. Vous vous mettez à poil et vous donnez les vêtements à tout le monde. J’ai beau essayer, ce n’est pas simple. Mais j’ai envie, on va le faire. On ne gère plus une entreprise comme on le faisait avant. Sans tomber dans l’utopie non plus des entreprises libérées, j’ai essayé il y a une dizaine d’années, j’ai voulu croire que tout le monde se prendrait en main mais c’est une connerie. Il faut savoir placer le curseur. Un chef d’entreprise est vraiment bon quand il accepte que des décisions soient prises contre ses convictions, quand bien même il a raison. Mais qu’il le fait pour le bien-être de la boîte.

Gironde # Services # Agroalimentaire