Dans la station de ski Les 7 Laux, l'activité économique tourne au ralenti
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Dans la station de ski Les 7 Laux, l'activité économique tourne au ralenti

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Comment la moyenne montagne, qui vit des sports d’hiver depuis 50 ans, absorbe-t-elle le choc de la crise et l’arrêt inédit des remontées mécaniques ? Radioscopie des entreprises du village de Prapoutel Les 7 Laux, un grand domaine skiable situé à proximité de Grenoble pouvant accueillir, en temps " normal " jusqu’à 15 000 skieurs par jour.

La crise sanitaire affecte les activités économiques de Prapoutel Les 7 Laux — Photo : Office du tourisme Prapoutel

À moins de 40 kilomètres de Grenoble, à 1 350 mètres d’altitude dans le massif de Belledonne, se dresse un chapelet de bâtiments bardés de bois : créée ex nihilo en 1971, Prapoutel Les 7 Laux est une station de moyenne montagne emblématique des stations dites de troisième génération, imaginées par le plan Neige déployé en France de 1964 à 1977. Riche de 120 kilomètres de pistes de ski alpin et d’une trentaine de kilomètres d’itinéraires nordiques, Prapoutel Les 7 Laux incarne une destination de proximité pour les Grenoblois et, dans une moindre mesure, un lieu de villégiature pour les vacanciers en quête d’une station à taille humaine. Cette destination a été fortement impactée par les restrictions générées par la crise sanitaire. Dans les stations de ski de l’Isère, l’office du tourisme mesure des taux d’occupation variant entre 20 % et 40 % en février. À mille lieues des 70 à 100 % observés lors des années "normales". L’office de tourisme du département estime que les stations vont perdre 800 millions d’euros de chiffres d’affaires pour la saison d’hiver.

La station des 7 Laux ne fait pas exception, mais tente, comme les autres, de jouer la carte de l’agilité. " Les stations de moyenne montagne ont développé une forte culture de l’adaptation aux aléas climatiques qui les aide à traverser cette crise ", confirme Nicolas Didry, maître de conférences à la faculté d’économie de l’Université Grenoble Alpes.

Aucune indemnité touchée

D’après une enquête du Cluster Montagne, la moitié des entreprises ont eu une perte de plus de 30 % de chiffre d’affaires en 2020 et s’attendent à une perte supérieure à 50 % en 2021. Propriété de la communauté de communes du Grésivaudan et gérée par la Société d’économie mixte des téléphériques des 7 Laux (SEMT7L), Prapoutel a, dès l’arrêt des remontées mécaniques, opté pour une ouverture très réduite des pistes et une diversification de son offre. Jean-François Genevray, directeur de la SEMT7L, estime " qu’il aurait été plus facile de tout arrêter ", mais qu’il était " essentiel de dynamiser le site et de proposer des alternatives au ski alpin pour ne pas être un lieu sinistré, totalement fermé ". Les clubs de ski locaux et écoles de ski ont ainsi permis aux enfants de dévaler quelques pistes, tandis qu’étaient valorisés les itinéraires de raquettes, les pistes de luge ou encore les activités en groupes restreints. " Nous encaisserons environ 150 000 € sur la saison alors que, compte tenu de l’enneigement et des conditions climatiques, nous aurions pu atteindre entre 9,5 et 10,5 millions d’euros. Les dégâts sont considérables ", estime Jean-François Genevray.

La Société d’économie mixte des téléphériques des 7 Laux, qui embauche 130 saisonniers, ne compte aujourd’hui qu’une quinzaine de salariés qui travaillent à tour de rôle — Photo : Office du tourisme Prapoutel

Habituellement employeur de 120 à 130 saisonniers, la SEMT7L ne compte aujourd’hui qu’une quinzaine de salariés qui travaillent à tour de rôle. " Nous avons néanmoins embauché nos saisonniers dès le mois de décembre, comme l’avait conseillé la ministre du Travail, afin de les soutenir grâce aux mesures d’activité partielle ", précise le directeur des remontées mécaniques. Mais la société doit faire face à des dépenses - pesant en moyenne 70 % du chiffre d’affaires - que les recettes générées par les rares forfaits ne suffisent évidemment pas à couvrir : 15 % de reste à charge sur les salaires des saisonniers en activité partielle, consommation énergétique des rares remontées ouvertes, fuel des dameuses, salaires du personnel, sécurisation des pistes… " A ce jour, nous n’avons touché aucune indemnité et nous attendons un soutien pour couvrir les charges fixes ", se désole Jean-François Genevray.

Des commerces qui jouent leur survie

Du côté des commerçants de la station, les solutions viennent souvent de l’État. Pour Philippe Chéné, gérant du magasin de location d’articles de sport PhilSport, l’absence de ski alpin se traduit par une baisse de 85 % de son chiffre d’affaires. Lors d’une journée normale en pleine saison, le parc de 700 paires de ski et 100 snowboards en location sortent dans sa totalité et génèrent de 10 000 à 11 000 € quotidiens. " Aujourd’hui, j’encaisse 600 à 900 € maximum ", constate Philippe Chéné qui a investi dans 20 paires de skis de randonnée en début d’hiver. " J’embauche habituellement cinq saisonniers. Là, je gère seul le magasin pour limiter les frais. " S’il n’a pas refusé le matériel commandé l’an dernier, les investissements 2021 seront nuls, les skis alpins flambant neufs n’ayant pas été déballés. " J’ai toujours veillé à alimenter une trésorerie me permettant de survivre à une année sans neige ", précise Philippe Chéné, installé sur le front de neige depuis 19 ans. " Je peux donc surmonter cette saison car les aides de l’État, 10 000 euros en novembre et en décembre, m’aident à assumer certaines charges. " Si la crise ne précipite pas la boutique vers la faillite, elle accélère l’envie de son gérant de changer d’horizon : " J’ai pris conscience que la vie ne se limitait pas à travailler. Je vais avoir 52 ans et je réfléchis à transmettre mon affaire. "

Un besoin urgent de travailler

Si PhilSport se relève de ce sombre hiver, La Grange aux Skis n’est pas certaine d’en sortir indemne. La petite boutique, nichée dans les jolis bâtiments construits récemment au bout de la station et créée en 2015, misait tout sur le ski alpin. " Nous avons acheté cinq paires de skis de randonnée et dix paires de raquettes ", indique Cathy Talon, propriétaire du commerce avec son mari. " Mais nous avons reçu les raquettes tardivement et on a si peu de matériel à proposer qu’on ne génère quasiment aucun chiffre d’affaires. Je suis très inquiète ". Également propriétaire du restaurant La Kaktuss et de l’Agence immobilière des 7 Laux, Cathy Talon estime à peine à 30 % le taux d’occupation sur les semaines de vacances et 15 % hors congés scolaires. Seule la vente de biens connaît une embellie inespérée avec une hausse de la demande et des clients pressés d’acheter au prix du marché.

Fermé, le restaurant n’engrange que 10 à 15 % des recettes habituelles grâce à la vente à emporter qui reste largement insuffisante. " Seules les aides de l’État, que nous attendons avec impatience, nous permettront peut-être de survivre ", confie Cathy Talon. " Nous ne prendrons pas de congés à l’intersaison et nous rouvrirons aussitôt que possible. Nous avons besoin de travailler, économiquement mais aussi psychologiquement. "

Cette situation, largement partagée dans l’Hexagone pourrait malheureusement perdurer au-delà de cette saison 2021. Jean-Luc Boch, président de France Montagnes, estime que " des dizaines, des centaines, des milliers de commerces vont fermer avec des dizaines de milliers d’emplois touchés " dans les stations.

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