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Coronavirus : les festivals finistériens dans le brouillard
Enquête Finistère # Événementiel

Coronavirus : les festivals finistériens dans le brouillard

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Vieilles Charrues, Fêtes maritimes, Bout du monde, Petites Folies... Alors que le gouvernement annonce au compte-goutte les mesures pour encadrer les grands rassemblements de l'été, les organisateurs de festivals finistériens s'organisent comme ils le peuvent pour limiter la casse.

En 2019, le festival des Vieilles Charrues a rassemblé plus de 270 000 spectateurs sur quatre jours à Carhaix, dans le Finistère — Photo : © Festival des Vieilles Charrues

« L’annonce de l’interdiction de tous les grands rassemblements jusqu’à la mi-juillet nous a laissés dans l’incompréhension et, je dois dire, dans la colère car notre festival devait ouvrir ses portes précisément le 16 juillet », confie Jérôme Tréhorel, directeur général du festival des Vieilles Charrues depuis 2012. En 2019, le festival breton a attiré l’année dernière plus de 270 000 spectateurs à Carhaix (Finistère), pour un impact économique estimé à plus de 4,3 millions d’euros. « Nous ne pouvions plus attendre davantage pour annoncer le report du festival à notre public et nos partenaires car notre évaluation des risques était trop élevée », poursuit-il. Une décision lourde de conséquences pour l'association organisatrice de l'événement.

Sécuriser la structure et l'emploi

« Nous allons devoir assumer les pertes d’une année sans festival alors que c’est notre seule activité », s’inquiète le directeur. Il faut dire que les chiffres du festival breton, organisé sans subventions publiques, sont conséquents : 1,5 million d’euros de coûts de fonctionnement, 5,5 millions d’euros de budget artistique… Et enfin 2,2 millions d’euros de financements privés, les partenaires et mécènes représentant 20 % du budget global de 18 millions d'euros. « Notre priorité désormais, c’est de sécuriser notre structure, l’emploi de nos 12 salariés permanents ainsi que celui de tous les intermittents directs et indirects que nous faisons travailler chaque année, poursuit Jérôme Tréhorel. Nous sommes également en discussions avec les producteurs pour préparer le report et renégocier les cachets qui ont grimpé en flèche ces dernières années, ce qui ne sera d’ailleurs plus tenable à l’avenir. On sent un élan de solidarité de leur part car ils ont eux aussi besoin de se projeter sur 2021 pour organiser leurs tournées. Ce qui se profile, c’est que les contrats d’artistes annulés ne seront plus valables, et que les avances seront remboursées. »

« Le cas de force majeure doit être rétroactif pour sauver le secteur »

Quoi qu’il arrive, la lumière au bout du tunnel ne viendra pas des assurances pour le festival carhaisien. « Dans notre secteur, on attend généralement le mois qui précède la manifestation pour affiner les budgets avant de signer les contrats d’assurance. De notre côté, nous avons fait le choix d’annuler nos contrats d’assurance pour cette année. Mais la situation de chaque festival est différente et aucun d’entre eux ne doit rester sur le bord de la route, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on milite pour que le cas de force majeure soit rétroactif », insiste le directeur des Vieilles Charrues.

Faute d’assurance, le festival breton peut en revanche compter sur la solidarité d’un public fidèle. « Il est encore tôt, mais pour l’instant nous n’avons enregistré que peu de demandes de remboursement, et nous recevons énormément de messages de solidarité vis-à-vis de notre décision de reporter malgré le manque de soutien de l’État », poursuit Jérôme Tréhorel. Il espère que cette crise sera peut-être l’occasion de faire avancer un dossier que son association porte depuis trois ans auprès de la municipalité : pouvoir équiper le site d’installations pérennes afin de diminuer les coûts de production du festival.

Pour un assouplissement des règles de mécénat

Les Vieilles Charrues peuvent également compter sur des liens forts avec leurs partenaires privés, sponsors et autres entreprises mécènes comme le Crédit Mutuel de Bretagne, Quéguiner, Cozigou, Coreff… « Nous les contactons régulièrement pour les tenir informés de l’évolution de la situation, et eux nous envoient des messages de soutien. Pour l’instant ils sont inquiets pour leurs entreprises et leurs salariés. On espère qu’après le confinement, on pourra leur témoigner davantage notre attachement et notre soutien ». Chaque année, ce sont en effet pas moins de 5 000 VIP qui se rassemblent autour de sept offres à destination des entreprises et mécènes, ou encore du West Web Festival, un événement alliant numérique, business et musique adossé au festival des Vieilles Charrues depuis sept ans.

« Pour les entreprises, les Vieilles Charrues sont un véritable salon qui permet de nouer des contacts privilégiés avec les collaborateurs, les clients et les prospects. On sait que ce type de lien pourra contribuer à repartir après la crise », estime Jérôme Tréhorel, qui milite également « pour un assouplissement des règles du mécénat afin de limiter l’impact de la crise. Nous pensons aussi beaucoup à nos commerçants, fournisseurs et artisans locaux qui vont être fortement impactés. Notre objectif est de leur proposer au plus vite des intentions de commandes pour 2021 qui leur serviront de garantie vis-à-vis des banques », souligne le directeur.

Les Fêtes maritimes internationales de Brest naviguent à vue

Les Fêtes maritimes internationales de Brest attirent tous les quatre ans plus de 700 000 visiteurs à Brest — Photo : © Franck Seurot

Autre événement majeur de la saison estivale finistérienne, les Fêtes maritimes internationales de Brest ont, elles aussi, été « reportées », même si aucune date n’a encore été révélée. Avec « une immense déception », le conseil d’administration de Brest Événements Nautiques (BEN), organisateur des fêtes prévues du 10 au 16 juillet 2020, a pris sa décision le 17 avril en prenant en compte les nombreuses incertitudes qui règnent sur le contexte sanitaire, social et économique.

Comme tous les quatre ans, plus de 700 000 visiteurs étaient attendus sur les quais de la Cité du Ponant pour admirer des navires venus des quatre coins du monde. Les partenaires financiers comme de l’organisation ont été tenus au courant de l’évolution de la réflexion, et BEN a par ailleurs décidé de rembourser intégralement les billets vendus, y compris les locations de bateaux par des entreprises. « Mais si elles veulent considérer cela comme une avance sur la prochaine édition, nous accueillerons cela avec intérêt ! », glisse François Cuillandre, maire de Brest et président de BEN. Le Crédit Agricole du Finistère, l’un des principaux partenaires de Brest 2020 et des Fêtes maritimes de Douarnenez, a quant à lui décidé de maintenir ses soutiens avec tous les événements dont il est sponsor ou partenaire. « Qu’ils aient lieu ou non », précise Jean-Paul Kerrien, le président de la caisse régionale.

Des vagues de questions en suspens

Restent de nombreuses questions, et notamment celle de la date à laquelle pourra se tenir la prochaine édition des fêtes maritimes. L’année prochaine ? La suivante ? À quelle échelle ? Les navires étrangers pourront-ils venir ? « On n’en sait rien ! », soupire le maire de Brest. Inédite, la situation pose aussi des questions juridiques complexes. Et là encore, les organisateurs ne pourront pas se reposer sur les assurances. « Elles ne prennent jamais en compte les pandémies », indique-t-on chez BEN, qui compte sur l’État pour édicter au moins quelques règles générales avec les assureurs. BEN doit aussi se pencher sur une autre question : garder le nom Brest 2020 pour une édition en 2021, voire 2022 ? « J’en plaisantais avec Jean-Guy Le Floc’h », sourit François Cuillandre d’un air amer. Le patron d’Armor Lux étant l’un des principaux fournisseurs du merchandising des fêtes. « Ou alors on en fait des collectors… ».

Forte inquiétude pour les festivals prévus en août

Incertaine, la situation l’est encore plus pour les festivals prévus plus tard dans l’été. C’est le cas notamment du festival du Bout du Monde, qui réunit chaque année 60 000 festivaliers du 31 juillet au 2 août sur la presqu’île de Crozon. « Pour l’instant, le festival est maintenu », confie Jacques Guérin, son directeur. L’annonce d’Emmanuel Macron, le 21 avril, devant les représentants des cultes, de l’interdiction des grands rassemblements avant la fin de l’été ne l'a pas vraiment rassuré. « Nous n’avons toujours pas vu passer de décret ni d’information du ministère de la Culture : nous attendons des éléments concrets pour savoir réellement à quoi nous en tenir », indique prudemment le patron de Quai Ouest (5 salariés, 3 M€ de CA), le producteur de spectacle brestois qui, au-delà du Bout du Monde, organise notamment chaque été les Jeudis du Port, à Brest, ainsi que les Mardis de Plouescat et de Morgat.

À Lampaul-Plouarzel, les Petites Folies veulent encore y croire

L'année dernière, le festival Les Petites Folies a rassemblé plus de 24 000 spectateurs sur trois jours — Photo : © Altiview

Plus modeste avec ses 24 000 festivaliers sur trois jours à Lampaul-Plouarzel, le festival Les Petites Folies navigue lui aussi à vue, lui qui devait se tenir du 289 au 31 mai. « Nous avons pris la décision de reporter l’édition au 28, 29 et 30 août », indique Yann Autret, qui dirige le festival au sein de NeoNovo, sa société qui emploie cinq salariés à Lanester. « Dés le début du mois de mars, du fait de la localisation de notre siège social dans le Morbihan qui a été l'un des premiers clusters en France, nous avons pris très au sérieux la dégradation rapide de la situation et les risques que nous encourions vis-à-vis du confinement et de la fermeture de nombreux espaces publics. Nous avons donc pris des mesures pour "geler" nos dépenses et nous mettre dans une veille quotidienne sur l’évolution de la situation », retrace le directeur, qui gère chaque année un budget de près de 800 000 euros et travaille avec une centaine de partenaires locaux et régionaux. « Nous avons veillé à ne pas nous mettre en concurrence avec d’autres festivals comme l’Îlophone à Ouessant, et travaillons pour maintenir l’affiche artistique et technique », précise le directeur des Petites Folies, dont l’affiche est exclusivement francophone.

Une situation peut encore évoluer

Yann Autret, le directeur du festival des Petites Folies à Lampaul-Plouarzel — Photo : © Pascal Moign

Pour Yann Autret, reporter le festival à fin août est une décision mûrement réfléchie. « La prise en compte du risque sanitaire est évidemment primordiale et constitue la base de notre réflexion. Mais il est aussi essentiel que l’on ne recule pas trop en matière de culture. Au même titre que le sport ou l’éducation, c'est une composante essentielle de notre société et elle participe à la santé mentale du public. Nous avons une expertise en matière de gestion de foules et de contraintes de sécurité, et nous devrons évidemment nous faire accompagner pour les mesures sanitaires… Mais la situation peut énormément évoluer d’ici quelques semaines, et il est impératif et urgent qu’on se mette tous autour d’une table, organisateurs et autorités gouvernementales, pour poser le débat et prendre des décisions lucides et rationnelles ».

« En tout état de cause, nous ne prendrons aucun risque sanitaire et la décision que nous prendrons sera commune à celle de l’État, de maires et des préfets », poursuit le directeur. « Si tous ces ingrédients ne sont pas réunis, nous annulerons et la pérennité du festival sera alors en grand danger. Car à l’heure actuelle, si nous sommes parvenus à reporter certaines échéances financières, les aides à venir et notamment celles de la Région, ne sont toujours pas identifiées ni fléchées. C’est le flou total : on se sent abandonnés par un ministère de tutelle aux abonnés absents, et un Centre National de la Musique qui semble lui aussi éloigné de nos réalités ». Le public sera-t-il selon lui au rendez-vous ? « La question est légitime, mais il est encore un peu trop tôt pour y répondre. A ce jour, nous n’avons eu que très peu de demandes de remboursement. Beaucoup de festivaliers ont envie de nous retrouver et nous encouragent à maintenir cette édition. Sont ils prêts à venir avec un masque et en respectant certaines règles de distanciation sociales ? », interroge Yann Autret, qui reste certain d’une chose : « nous ne jouerons pas avec la santé du public ».

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