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Coronavirus : Comment les biotechs nancéiennes recherchent un traitement contre le Covid-19
Nancy # Santé

Coronavirus : Comment les biotechs nancéiennes recherchent un traitement contre le Covid-19

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Banook Group, Rondol Industrie ou encore Harmonic Pharma sont mobilisées dans les recherches sur des traitements contre le coronavirus depuis Nancy. La première biotech contrôle l’impact cardiovasculaire des traitements à base d’hydroxychloroquine, un traitement espéré contre le Covid-19. La deuxième cherche à optimiser la formulation de ce médicament. La troisième a identifié une trentaine de molécules susceptibles de s’y substituer.

Le trio fondateur d’Harmonic Pharma (de gauche à droite), Stéphane Gégout, Arnaud Sinan Karaboga et Michel Souchet — Photo : © Harmonic Pharma

Le secteur de la santé et ses plus de 23 000 emplois dans l’agglomération nancéienne, a vu émerger de nombreuses sociétés innovantes. Parmi elles, Harmonic Pharma, Rondol Industrie et Banook Group ont mis ces dernières semaines leurs compétences au service de la recherche de traitements contre le Covid-19.

« La recherche d’un vaccin contre le coronavirus n’aboutira pas avant 2021 et le déconfinement demeure un casse-tête. Les populations et les pouvoirs publics seraient rassurés si un traitement parvenait à démontrer son efficacité », expose Arnaud Sinan Karaboga, directeur scientifique d’Harmonic Pharma.

La start-up fondée en 2009 à Nancy est spécialisée dans la réorientation de médicaments existants dans de nouvelles applications thérapeutiques. Pour présenter son domaine d’intervention, elle cite volontiers le viagra, un médicament initialement utilisé contre l’hypertension.

Trente molécules à tester

La montée en puissance de la pandémie a conduit la société à puiser dans sa base de données de 10 000 molécules thérapeutiques. Objectif : identifier des substances actives potentiellement intéressantes pour traiter le Covid-19. Harmonic Pharma a ciblé deux catégories. Tout d’abord les molécules capables d’empêcher le virus d’infecter une cellule. Ensuite celles qui ralentissent sa réplication, autrement des molécules semblables à celles actuellement testées dans le cadre de l’essai clinique européen Discovery (lopinavir, remdesivir et hydroxychloroquine). « Dans ce dernier cas, nous recherchons des molécules disposant d’un effet meilleur ou équivalent mais avec moins d’effets secondaires », pointe Stéphane Gégout, directeur d’Harmonic Pharma.

« La recherche d’un vaccin contre le coronavirus n’aboutira pas avant 2021 »

L’entreprise qui utilise des modèles mathématiques, a d’ores et déjà identifié une trentaine de molécules. La société strasbourgeoise Prestwick Chemical (Domain Therapeutics) fournit à la start-up les poudres à tester. Il s’agit maintenant d’organiser les tests in vitro en partenariat avec l’Institut Pasteur.

Le « repositionnement thérapeutique » exploré par la start-up de 6 salariés permet d’économiser les quinze à vingt ans d’études cliniques nécessaires à la mise sur le marché de nouvelles molécules. Les effets secondaires des médicaments sont en effet déjà connus. La société issue des travaux du Laboratoire lorrain de recherche en informatique (Loria), s’appuie pour ce faire sur une approche originale qui a notamment intéressé le chimiste lyonnais Seqens, entré à son capital il y a deux ans. Il s’agit des « harmoniques sphériques » qui permettent de comparer rapidement les formes et les propriétés physico-chimiques des molécules.

Extrudeuse miniaturisée

Rondol Industrie s’attache pour sa part à optimiser la formulation de l’hydroxychloroquine, une des trois molécules testées dans le cadre de Discovery. Elle s’appuie pour ce faire sur un procédé bien connu dans la plasturgie, l’extrusion. La miniaturisation de cette technologie et son application au domaine pharmaceutique lui permettent de transformer des matières coûteuses, disponibles en petites quantités. Concrètement, la start-up lorraine espère grâce à elle améliorer l’assimilation de l’hydroxychloroquine, tout en diminuer les effets secondaires et en réduisant le coût de fabrication du médicament. « Un comprimé associe une substance active à un excipient qui l’aide à atteindre sa cible. Si le mélange manque de précision, la dose de substance active doit être augmentée, afin d’assurer une efficacité minimale du médicament. Il en résulte un coût de traitement plus élevé et une augmentation des risques d’effets secondaires. Notre technologie permet de doser très finement les proportions de la formulation et de tester différents excipients. Nous comptons ainsi proposer une hydroxychloroquine optimisée pour le traitement du coronavirus et non pour le traitement du paludisme ou du lupus comme c’est le cas des formulations actuelles », livre Victoire de Margerie, présidente et cofondatrice de Rondol.

Formule à disposition des laboratoires

La mise au point de cette « recette » repose sur une micro-extrudeuse pharmaceutique brevetée en 2019, en cours de déploiement commercial et dans laquelle la société a investi 4 millions d’euros. Cette extrudeuse a été initialement développée par Rondol en vue de généraliser la chimiothérapie par voie orale grâce à la réalisation de petites séries de médicaments rendue possible par son faible encombrement au sol dans les salles blanches (50 cm2). L’épidémie de Covid-19 a conduit la start-up à stopper la vente d’une de ses machines et à l’utiliser dans le cadre d’essais sur l’hydroxychloroquine. La Queens University de Belfast et la School of Pharma de Birmingham ont aidé à la mise au point d’un protocole. BASF Pharma et Sanofi Active Ingrédient Solutions (groupe Sanofi) ont offert respectivement les excipients et le sulfate d’hydroxychloroquine. Enfin, la Région Grand Est assure une prise en charge partielle des coûts du projet engagé le 13 avril.

« Dans le cadre du Covid-19 les molécules sont combinées avec d’autres médicaments et administrées dans l’urgence »

La start-up « deeptech » de 5 personnes fondée en 2012 compte ainsi être prête au moment où l’étude clinique Discovery en cours livrera ses conclusions ; a priori d’ici fin avril. Elle compte mettre sa formulation gracieusement à la disposition des groupes pharmaceutiques, universités et start-up intéressées par cette technologie. Le 24 avril, elle a publié ses premiers résultats. Installé à Nancy à l’Institut Jean Lamour, un laboratoire de recherche sur les matériaux, Rondol est soutenue par un business angel de Boston (États-Unis), William Darling, entré il y a deux ans à son capital à la faveur d’une levée de fonds de 800 000 euros.

Innocuité cardiaque

Photo : © Banook Group

Enfin, Banook Group à Nancy contrôle les risques de pathologies cardio-vasculaires susceptibles de survenir chez les patients atteints du Covid-19 et soignés avec de l’hydroxychloroquine. Cette PME spécialisée dans le contrôle de la toxicité cardiaque des médicaments a été sollicitée dès le mois de mars par l’Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP), le CHU de l’Ile-de-France.

« Il y a indéniablement une volonté de ne pas écarter ce traitement, tout en vérifiant dans le même temps son innocuité cardiaque. À ce titre, nous avons collaboré avec l’AP-HP dans le cadre d’un contrat de mécénat. La trentaine d’équipements mis en place nous permet de recueillir 1 000 électrocardiogrammes par semaine, un chiffre qui pourrait doubler voire tripler dans les prochaines semaines. L’objectif serait de compiler ces données d’ici le mois de mai dans une étude scientifique en collaboration avec les équipes de recherche », analyse Alexandre Durand-Salmon, directeur-général de Banook.

L’entreprise fondée en 1999 par le cardiologue Pascal Voiriot, son président, a développé une expertise dans les études d’innocuité cardiaque des nouveaux médicaments testés dans le cadre d’essais cliniques par les laboratoires pharmaceutiques, les sociétés de biotechnologie, les sociétés de recherche, etc.

Études compilées pour l’OMS

Elle connaît bien les traitements à base de chloroquine pour travailler depuis dix ans sur les maladies tropicales en lien avec la Fondation Bill-et-Melinda-Gates. Il y a trois ans, elle a ainsi contribué à compiler pour le compte de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) une dizaine d’études cliniques évaluant la toxicité cardiaque de ces médicaments antipaludéens.

« Les études en cours avec l’AP-HP sont importantes, car dans le cadre du Covid-19 les molécules sont combinées avec d’autres médicaments et administrées dans l’urgence à des patients dont la moyenne d’âge est plutôt élevée », poursuit le directeur-général.

Cette collaboration intervient alors que l’entreprise de 46 salariés pour un chiffre d’affaires de 8,5 millions d’euros en 2019 vient tout juste d’être recapitalisée, avec l’entrée du fonds Turenne, désormais son actionnaire majoritaire.

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