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Comment Pellegrin & Fils a remporté une victoire juridique face au groupe Rolex
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Comment Pellegrin & Fils a remporté une victoire juridique face au groupe Rolex

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L’Autorité de la concurrence a condamné fin janvier le groupe Rolex à payer une amende de 91,6 millions d’euros dans une procédure engagée par la bijouterie marseillaise Pellegrin & Fils. Explications.

Jean-François et Arnaud Pellegrin ont mené le combat contre le géant Rolex — Photo : D.R.

La bijouterie marseillaise Pellegrin & Fils a remporté fin janvier une importante victoire dans un conflit qui l’oppose à l’horloger Rolex depuis 2013. Après sept années de bataille judiciaire, l’Autorité de la concurrence a en effet condamné Rolex à payer une amende de 91,6 millions d’euros pour avoir mis en œuvre une politique anticoncurrentielle préjudiciable à ses distributeurs en les interdisant de vendre sur Internet. La Maison Pellegrin & Fils, une PME de 32 salariés qui compte cinq points de vente en région, est ainsi parvenue à décrocher une victoire juridique face au géant suisse Rolex, qui emploie 7 000 salariés pour 10,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires. "C’est une première dans le monde du luxe. Le groupe doit publier la condamnation sur son site, la communiquer à son réseau…"

2013 : la tentation d’internet

C’est en 1999 que Pellegrin & Fils a commencé à distribuer les montres Rolex dans son point de vente, au siège, à Marseille. "Nous avons créé le premier espace corner Rolex en province. Nous avons beaucoup investi et cela marchait bien. C’était l’époque où Rolex était une marque en forte croissance dans l’univers du luxe", rappelle Arnaud Pellegrin qui prend les rênes de l’entreprise familiale en 2012. Une période où ce dernier souhaitait développer la présence digitale de la bijouterie et créer un site internet présentant les produits "maison" et ceux de ses fournisseurs, comme Rolex. "Nous ne souhaitions pas vendre directement en ligne, mais utiliser le site pour amener nos clients à venir dans nos magasins. Nous en avons informé Rolex qui n’a jamais répondu à nos sollicitations et, en 2013, sans motif, nous avons été résiliés de ses distributeurs du jour au lendemain. Une clause du contrat interdisait la vente par correspondance, mais nous respections l’ensemble des contraintes", explique le dirigeant marseillais, qui poursuit, agacé : "Cette résiliation nous a été insupportable. Nous avons entamé des discussions pendant un an, en vain. Nous n’avons jamais fait de procès à quiconque. C’était à l’opposé de notre éthique, mais vu l’injustice de la situation, nous avons décidé de porter plainte".

2015-2016 : un procès perdu

En 2015, toutefois, Pellegrin & Fils perd son procès auprès du Tribunal de commerce de Paris. "Rolex disposait d’une dizaine de jurisprudences à leur avantage. C’était la bataille du pot de terre contre le pot de fer. Nous ne nous sommes pas découragés et nous avons fait appel, tout en supportant financièrement l’ensemble des procédures". À force d’obstructions, en 2015 et 2016, le dossier n’avance pas. "Nous nous sommes alors rapprochés du syndicat de la bijouterie qui nous a conseillé de porter plainte auprès de l’Autorité de la concurrence. Nos avocats ont également poussé dans ce sens", indique Arnaud Pellegrin. Pellegrin & Fils, suivi par le syndicat, porte ainsi plainte auprès de l’Autorité de la concurrence. La procédure en appel demeure en sursis depuis cette date.

2017 : le recours à l’Autorité de la concurrence

"Après avoir déposé notre plainte, nous n’avons pas eu de nouvelles pendant une année. Nous avons ensuite été convoqués par l’Autorité de la concurrence pour une audition poussée de cinq heures de notre dossier", rappelle Arnaud Pellegrin. Puis, en janvier 2019, l’Autorité lance une importante perquisition au siège de Rolex. "Jusque-là, Rolex nous présentait comme le mauvais petit bijoutier marseillais procédurier et, à partir de cette date, les choses ont changé…". En juin 2019, la cour d’appel de notre première procédure sursit à statuer en attendant les conclusions de l’Autorité de la concurrence.

2019-2023 : l’Autorité instruit le dossier

Le temps de la justice est le temps long. De 2019 à 2023, l’Autorité enquête. "Nous avons répondu à des dossiers qui nous ont été envoyés jusqu’en mars 2023. Puis, en juin, il y a eu une audience contradictoire avec Rolex. Enfin, en décembre dernier, l’Autorité a rendu ses conclusions et condamné Rolex tout en impliquant également la Fondation Wilsdorf qui détient les actions de l’entreprise", relate Arnaud Pellegrin. L’Autorité a en effet considéré que les stipulations du contrat de distribution sélective liant Rolex à ses distributeurs caractérisent une entente verticale restrictive de concurrence, tout en rejetant l’argument de Rolex de nécessaire lutte contre la contrefaçon et le commerce parallèle. D’autant que les principaux concurrents de la marque de luxe autorisent sous certaines conditions la vente en ligne de leurs produits. À la fin février, le groupe Rolex, qui a payé l’amende à l’État français, a lancé une procédure de recours à la décision de l’Autorité auprès de la Cour d’appel de Paris. Une nouvelle bataille juridique d’environ 18 mois est ainsi à venir. "Toute cette procédure est énergivore. Heureusement, avec mon père, nous nous sommes soutenus dans ce combat et nous avons fait un travail colossal", poursuit le Marseillais.

Une entreprise qui a dû réinventer son modèle

Si Pellegrin & Fils se bat depuis près de dix ans, c’est que la résiliation du contrat Rolex a déstabilisé l’entreprise. "Il y a bien sûr le manque à gagner sur les ventes de montres, mais le préjudice va bien au-delà. En perdant Rolex, nous avons perdu des clients et des salariés. Toute l’entreprise a été remise en cause", confie le dirigeant. Ce dernier évalue cette perte à près d’un million d’euros de chiffre d’affaires par an. Rien d’anodin pour une PME qui a réalisé 13 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023.

Pellegrin & Fils a alors décidé de se repositionner sur ses fondamentaux : l’atelier de création de bijoux, comme l’explique le dirigeant marseillais : "Nous nous sommes remis à fabriquer. Après 2013, toutes les marques de luxe nous ont les unes après les autres abandonnés. Il ne nous reste que Chanel et Hermès qui vont nous quitter à la fin 2024. Les montres représentaient 40 à 45 % de notre chiffre d’affaires. En relançant notre production, nous avons réussi à maintenir le chiffre d’affaires. En revenant à notre métier de base, nous avons aujourd’hui retrouvé notre totale indépendance par rapport à n’importe quel fournisseur".

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