Comment les industriels des Hauts-de-France s'adaptent à la crise énergétique
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Comment les industriels des Hauts-de-France s'adaptent à la crise énergétique

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Coup dur pour l’industrie régionale. Après un début 2022 survolté, entre forte reprise et difficultés d’approvisionnements, la crise de l’énergie liée à la guerre en Ukraine menace la dynamique des entreprises des Hauts-de-France. Pour passer l’hiver et continuer à produire malgré tout, petits ou gros arrangements sont de mise. Mais ils ne protégeront pas, à terme, de changements structurels.

Chez le confiseur nordiste Sucralliance, qui produit notamment les Têtes Brûlées, le rythme de production va être modifié pour limiter l’impact des hausses des prix de l’énergie — Photo : Têtes Brûlées-Adocom

La petite musique qui montait pendant l’été sur les probables difficultés d’approvisionnement énergétique durant l’hiver a pris corps dès septembre dans les Hauts-de-France. Coup sur coup, plusieurs grands sites industriels, particulièrement énergivores, ont annoncé revoir leur plan de charge pour composer avec la nouvelle donne énergétique. Quand ils n’ont pas, tout simplement, annoncé des suspensions d’activité. Un signal très brutal, alors même que le premier semestre 2022 avait été marqué par une forte reprise des investissements après les années Covid.

Réduire l'activité

Ainsi, du côté d’ArcelorMittal, entre une demande européenne d'acier en baisse et l’explosion des prix de l’énergie, l’aciériste a annoncé qu’il ne ferait tourner qu’un haut-fourneau sur les deux désormais disponibles sur son site de Dunkerque (Nord) cet hiver. En parallèle, il prévoit la diminution du recours aux intérimaires, et même de l’activité partielle selon les sites.

À Valenciennes (Nord), chez LME, l’activité de l'aciérie et du laminoir va tout simplement s’interrompre, entre la fin octobre et janvier, pour préserver la compétitivité du site. Du côté d’Aluminium Dunkerque, l’usine s’apprête à ralentir son activité de 20 % jusqu’à la fin de l’année. Idem à la verrerie de Masnières, où la production devrait être cantonnée à une seule ligne. Et chez le verrier Arc International, "quatre de nos neuf fours seront mis à l’arrêt prochainement pour faire face à l’envolée des coûts de l’énergie. Certains seront en maintenance. Ils reprendront, nous l’espérons, en début d’année prochaine, lorsque l’activité sera à nouveau là", indique Martin Debacker, directeur des opérations verrières sur le site d’Arques (Pas-de-Calais).

Réorganiser la production

Si la crise du Covid avait fortement affecté le secteur des services, avec la crise énergétique, c’est toute l’industrie qui souffre à un moment particulièrement critique : les coûts exorbitants de l’énergie viennent s’ajouter aux augmentations du prix des matières premières, qui s’accumulent depuis 2021. Et ce, alors que l’État a clairement l’intention de fermer le robinet du "quoi qu’il en coûte".

Un contexte particulièrement délicat pour les PME et ETI industrielles du territoire, loin d’avoir la portance des grands groupes. Elles s’organisent pour faire face, et maintenir leur activité jusqu’à la sortie de l’hiver, malgré des compteurs qui s’affolent. "Toutes nos matières premières ont explosé : +70 % sur les acides, +30 % sur le sucre et on part sur 100 % de hausse l’an prochain. Selon les produits, on est entre +20 % et +50 % d’augmentation. Et désormais, c’est l’électricité et le gaz. Jusqu’à présent, sur le prix de revient d’un kilo de matière finie, l’énergie, c’était 7 centimes d’euros. On passe à 70 centimes au kilo produit", déplore Vincent Meslin, le directeur industriel de Sucralliance (75 M€ de chiffre d'affaires, 450 collaborateurs), qui produit notamment la gamme de bonbons Têtes Brûlées sur son site de Neuville-en-Ferrain (Nord). "Pour nous, la hausse de l’énergie est déjà plus problématique que les hausses de matières premières. Mais ça, les distributeurs ont du mal à l’entendre", complète Michel Poirrier, le PDG de Sucralliance, dont les produits sont avant tout vendus en grandes surfaces. La production se réorganise : les quatre sites du confiseur vont passer aux 3/8, et en feu continu, pour limiter les arrêts et redémarrages des lignes, très gourmands en énergie. "Nous allons faire tourner les lignes plus longtemps, quitte à espacer davantage les phases de production", avance Vincent Meslin. Une organisation qui affecte la gestion des stocks et, surtout, les horaires de travail des salariés.

Investir pour prévenir

Ailleurs, c’est sur les process que les industriels tentent de jouer. Ainsi, chez le fabricant de piètements de meubles en acier La Fabrique des Pieds (21 collaborateurs, chiffre d'affaires non communiqué), fraîchement installé à La Chapelle d’Armentières (Nord). "Chez nous, qui travaillons l’acier, le poste soudure est incontournable. On ne peut pas faire grand-chose pour le diminuer, même si ce n’est pas une activité très énergivore. Le four en revanche, utilisé pour le thermolaquage, est un poste important. Nous avons commencé à sourcer des peintures qui nécessitent des températures moins élevées, notamment pour la couleur noire, qui est la plus demandée par nos clients. Sur certaines fournées, nous économisons ainsi 15 à 30 % d’énergie", détaille Wilfrid André, codirigeant de la Fabrique des Pieds.

Nicolas Castelain, le dirigeant de la Brasserie Castelain (50 salariés, 22 M€ de chiffre d'affaires) à Bénifontaine (Pas-de-Calais), vient, lui, d’investir 3 millions d’euros dans son installation industrielle pour réduire sa facture énergétique. Fin 2021, de nouveaux compresseurs de froid sont venus remplacer les anciens. "Nous avons pensé cet investissement pour réduire notre empreinte carbone. Mais au vu des tarifs actuels, les économies d’énergie vont être plus que bienvenues cet hiver", témoigne le dirigeant. Ces nouveaux compresseurs, nécessaires pour réguler la température des cuves lors de la fermentation de la bière, permettent de récupérer les calories produites pour chauffer de l’eau. Disponible à 45°C au lieu de 10°C, l'eau est ensuite portée à 80°C pour le brassage de la bière, ou utilisée pour le nettoyage des installations. Autant de gaz d’économisé. "Diminuer notre consommation d’énergie fait partie de notre démarche RSE. Depuis cinq ans, nous avons fait baisser la part de gaz à l’hectolitre jusqu’à -23 %, et notre facture d’électricité a diminué de 27 %. Pour autant, l’hiver va être tendu. Même si on a un site moins gourmand en énergie, nous ne sommes pas vraiment sereins. J’espère qu’on va pouvoir produire cet hiver." Prochain investissement, accéléré par la conjoncture : des panneaux photovoltaïques sur les entrepôts. "Mais nous n'allons pas être les seuls à avoir l’idée et il va y avoir des problèmes de disponibilité sur les panneaux dans les mois qui arrivent !" pointe le dirigeant.

Bon sens et bouts de chandelle

Ailleurs, c’est la chasse au gaspillage qui s’organise, avec un rappel des pratiques de bon sens. "Nos équipes sont sensibilisées aux questions environnementales, donc les petits gestes vont plutôt de soi. En revanche, nous avons revu notre partie coupe parce que nos fournisseurs, et notamment les industriels textiles allemands, ont répercuté les hausses des prix de l’énergie, décrit Adrien Lombart, le dirigeant d’Avosdim (60 salariés, chiffre d'affaires non communiqué), qui produit des stores sur-mesure, à Béthune (Pas-de-Calais). Nous avons donc revu les plans de coupes pour limiter encore davantage les pertes. C’est un travail que nous avions déjà effectué, mais nous arrivons à gagner 1 à 2 % supplémentaire."

Le fabricant de sacs et films plastique TT Plast (110 salariés, 27 M€ de chiffre d'affaires pour le site), à Lens (Pas-de-Calais), estime, lui, n’avoir "que peu de leviers pour réduire la consommation du process. En revanche, nous travaillons sur les coûts parallèles en réduisant l’éclairage. Par exemple, les ateliers qui sont seulement traversés par les équipes de nuit sont désormais éclairés a minima. De la même façon, l’extérieur n’est plus éclairé qu’aux heures d’arrivée et de pauses des salariés. Cela revient à déroger au règlement de notre zone d’activité, qui impose l’éclairage nocturne des bâtiments mais, vu le contexte, on se l’autorise", glisse Rémy Belval, le directeur des affaires publiques de TT Plast.

Vers des effets structurels ?

Au-delà des arrangements à court terme, la crise pourrait modeler durablement le paysage industriel régional, et au-delà. Et notamment favoriser certaines zones de production au détriment d’autres, au travers d’un phénomène de dumping énergétique. Un enjeu dont les dirigeants de sites filiales de grands groupes européens sont parfaitement conscients. Les négociations à venir avec le gouvernement français pourraient ainsi jouer un rôle décisif pour l’avenir de TT Plast, filiale du groupe allemand Papier-Mettler (1,5 Md€ de chiffre d'affaires). "Si nous obtenons en France des tarifs avantageux pour l’énergie, il n’est pas exclu que le plan de charge augmente ici et baisse ailleurs. Des lignes pourraient être transférées chez nous depuis les sites allemands si la production en France est plus compétitive", pointe Rémy Belval. Ou l’inverse… "Nous ne pouvons pas anticiper nos coûts de production au-delà de 2022, c’est gênant pour ouvrir de nouveaux marchés ou prévoir des investissements, appuie le responsable. Les industriels demandent à être fixés dès le mois de décembre sur les nouveaux tarifs pour 2023, c’est indispensable pour nous d’avoir de la visibilité."

La visibilité, c’est ce qui manque cruellement au secteur textile, particulièrement touché par la hausse des coûts de l’énergie. Composé surtout de PME et ETI, le tissu industriel régional, très ébranlé dans les années 1980 et 1990, connaissait un nouvel élan depuis 2020. Une dynamique mise à mal depuis le début de la guerre en Ukraine, s’inquiète Olivier Ducatillion. Le dirigeant du tisseur Lemaître Demeestere (7 salariés, 4 M€ de chiffre d'affaires) à Halluin (Nord) et président de l’Union nationale des Industries Textiles tire la sonnette d’alarme. "La situation est complètement inédite. C’est une catastrophe pour toute l’industrie textile, qui est énergo-intensive même si c’est moins flagrant que pour d’autres secteurs. Les ennoblisseurs, les teinturiers, sont très dépendants du gaz. Depuis mars, la part de l’énergie dans les prix de revient passe de 15 % à 45 % sur certains métiers. Et depuis juillet, c’est pareil avec l’électricité, chez les tisseurs et les tricoteurs. Chez certains, le poste énergie est en train de passer devant la masse salariale, on parle de 25 % du chiffre d’affaires !", dresse le porte-parole. Selon lui, ces hausses de coûts sont "intenables et impossibles à répercuter. La seule solution, c’est l’arrêt des activités les plus énergivores. Chez nos voisins belges, des entreprises mettent déjà la clé sous la porte. Il faut intégrer le fait que la donne a définitivement changé, et investir massivement pour une nouvelle révolution industrielle. Le secteur doit inventer de nouveaux process, des nouvelles machines, ou aller à la catastrophe." Investir au moment où sa marge s’effondre, une gymnastique inconfortable. Mais nombreux sont ceux qui vont devoir s’y plier si la crise perdure.

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