Auvergne Rhône-Alpes
Comment les industriels d'Auvergne Rhône-Alpes s’adaptent à la flambée des prix de l'énergie
Enquête Auvergne Rhône-Alpes # Industrie # Conjoncture

Comment les industriels d'Auvergne Rhône-Alpes s’adaptent à la flambée des prix de l'énergie

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L’explosion des prix de l’énergie ces derniers mois a un fort impact sur l’ensemble du tissu économique. Face à une inflation galopante et un contexte incertain, les entreprises d'Auvergne Rhône-Alpes accusent le coup d’un phénomène qui réduit leurs marges, augmente leurs dépenses et met à mal leur compétitivité.

Dans l’Ain, Bérier Métallerie a mis en place une nouvelle activité peinture au sein de son entreprise, l’obligeant à souscrire à un contrat énergie en pleine flambée des prix — Photo : Bérier Métallerie

Avis de gros temps sur les marchés de l’énergie. "Si la situation actuelle perdure, on se rapproche de la situation connue au moment de la crise pétrolière de 1973", alerte Jean-Sébastien Degouve, président de la société lyonnaise de courtage en énergie Opera Énergie (CA 2021 : 12,8 M€ ; 115 salariés). En un an, les prix de gros de l’énergie ont bondi. L’électricité a vu le prix du mégawattheure (MWh) être multiplié par près de 4,5. À fin mars, le MWh dépassait les 250 euros, contre un peu plus de 50 euros un an plus tôt. Quant au gaz, le prix a lui été multiplié par plus de cinq, passant de 17 euros le MWh à près de 90 euros en un an.

Un état de fait pour les entreprises qui n’augure rien de bon pour leur compétitivité. D’abord, la forte reprise de l’économie mondiale post-Covid-19, en Asie et ailleurs, a tiré les prix vers le haut. Une situation aggravée par le déclenchement de l’invasion russe en Ukraine, fin février. "On imaginait une détente sur le marché de l’énergie mais la guerre en Ukraine a avorté cet espoir", pose celui qui est également président du Syndicat des Courtiers en Énergie.

Un constat partagé par Anthony Dal Moro, patron d’Alliance des Énergies (CA 2021 : 7 M€ ; 30 salariés), autre société lyonnaise de courtage en énergie pour les professionnels, qui craint pour la suite et les conséquences pour ses entreprises clientes (de la TPE aux gros industriels). "Les prix explosent. Ils ont été multipliés par deux depuis un mois, par quatre ou cinq si on remonte à il y a dix-huit mois", avance-t-il.

L'Europe, seule concernée

L’inflation sur les prix de l’énergie s’ajoute aux nombreuses hausses de prix que subissent les entreprises sur le coût de leurs approvisionnements en matières premières et de la logistique. Président de la commission électricité de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (Uniden), Gildas Barreyre, qui est aussi directeur Énergie et Affaires publiques du groupe pharmaceutique lyonnais Seqens, résume la situation : "Nous ne sommes pas seulement impactés par la hausse des prix de l’énergie mais aussi par l’explosion des coûts des matières premières. Nous subissons une réelle perte de compétitivité que l’on pourrait rapprocher de celle vécue en 2008, sauf que cette fois, seule l’Europe est concernée."

L’inflation galopante sur l’énergie et les matières premières a des conséquences concrètes : "Certains composants que l’on achetait 2 euros l’unité valent désormais près de 50 euros. Ces tensions sur les matières entraînent aussi une spéculation", rapporte David Arragon, PDG de l'entreprise drômoise Crouzet, spécialisée dans les composants mécatroniques. Pour son entreprise de plus d’un millier de salariés qui fabrique des composants mécatroniques, ce sont près de 2 millions d’euros de résultat d’exploitation qui s’envolent.

Choc inflationniste

À la tête de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) Rhône, Bruno Voland déplore cette accumulation des hausses de prix aussi bien sur les matières premières que sur l’énergie. "On n’a jamais connu une telle situation où tout est orienté à la hausse. Les hausses vertigineuses des prix de l’énergie et des métaux vont générer un choc inflationniste fort supplémentaire, dans un contexte où l’inflation était déjà arrivée après le Covid et la relance", estime-t-il.

Début mars, le Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (Rexecode) faisait savoir que la seule hausse des prix de l’énergie pesait pour 72 % dans l’excédent brut d’exploitation des groupes sidérurgiques, gros consommateurs d’énergie.

En Auvergne-Rhône-Alpes, rares sont les acteurs industriels à vouloir s’épancher sur ces questions. Silences embarrassés, patrons inquiets... les nombreux acteurs de l’agroalimentaire, de la métallurgie ou de l’industrie refusent de communiquer. Tout juste évoquent-ils leurs craintes pour les mois à venir.

Il est vrai que les conséquences d’une telle poussée des prix peuvent être désastreuses : "Quand le coût de l’énergie passe de 100 000 à 500 000 euros, vous pouvez passer à la trappe", explique Anthony Dal Moro, d'Alliance des Énergies. L’inquiétude du côté des dirigeants est réelle et positionne désormais les dépenses en énergie comme l’un des premiers postes de dépenses. Un risque pour la compétitivité de leurs activités dans cette période de reprise.

Répercuter les hausses ?

C’est d’ailleurs le sens que révèlent les résultats d’une enquête réalisée par la CPME en mars auprès de 1 523 dirigeants. Si 58 % d'entre eux citent la flambée générale des prix comme la difficulté du moment, 49 % ciblent en particulier la hausse des prix de l’énergie. Sur les sept dirigeants sur dix se disant affectés par ces hausses des coûts de l’énergie, près de 90 % voient leurs marges baisser.

C’est le cas chez Microoled, société grenobloise de l'électronique qui, pour son activité de conception et de fabrication de micro-écran OLED, loue des salles blanches et achète des semi-conducteurs. "Dans notre structure de coûts, l’énergie n’est pas prépondérante mais l’équipement est onéreux. 20 % de ces charges peuvent être impactées par une flambée des prix de l’énergie", explique Eric Marcellin-Dibon, son fondateur.

Que faire alors face à des prix qui s’envolent ? 22 % des entreprises interrogées par la CPME ont enclenché la riposte. Ils décident d’augmenter leurs prix malgré le risque d’accélérer la spirale inflationniste.

"Une partie de ces surcoûts non anticipés seront transposés vers le client final, admet Gildas Barreyre, de l'Uniden. Mais les industriels ne peuvent pas tout répercuter aux clients, donc les entreprises devront baisser leurs marges." D’autant plus que la flambée des prix concerne presque exclusivement l’Europe. "Sur les exportations aux États-Unis ou en Asie, les industriels ne pourront pas augmenter leur prix puisque ces pays ne sont pas touchés comme nous le sommes en Europe", pointe-t-il. La perte de compétitivité s’annonce importante et la question de la dépendance européenne au gaz russe demeure insoluble.

Des renégociations risquées

Pour faire face, la réaction des entreprises s’illustre différemment. Notamment lorsqu’il faut faire un choix sur ses contrats d’énergie. Les courtiers admettent que les entreprises sont désormais prises à revers sur ces questions. "Depuis le début de l’année, nous n’avons jamais été autant sollicités. Les contrats d’énergie deviennent des préoccupations qui n’en étaient pas jusqu’ici. Avant, les entreprises négociaient de gré à gré avec leur fournisseur, aujourd’hui on remarque qu’ils viennent nous voir pour tenter d’atténuer les coûts", analyse Jean-Sébastien Degouve, d'Opéra Énergie. Preuve d’une certaine prise de conscience.

Concrètement, les situations varient encore beaucoup d’une entreprise à l’autre. Alors qu’en mars 2020 les prix étaient au plus bas depuis dix ans sous le coup du déclenchement de la crise du Covid-19, certaines entreprises avaient fait le choix de renégocier leurs contrats d’énergie. "Un timing clé qui leur a permis de figer les prix pour les trois à quatre années à venir", souligne Jean-Sébastien Degouve, qui a incité ses clients à profiter des prix bas pour renégocier leurs contrats. "Ce sont aujourd’hui les plus heureux", sourit-il.

De l’autre côté, des entreprises ont dû renégocier leurs contrats d’énergie ces derniers mois. Et l’histoire n’est pas vraiment la même. "Quand ils voient les prix pratiqués, certains se demandent comment ils vont faire pour rentabiliser cette explosion des coûts", affirme le dirigeant, qui note alors une certaine fatalité des chefs d'entreprise confrontés au prix du marché.

Réactivité indispensable

Car en ces temps de tensions, les fournisseurs ne garantissent les prix que quelques heures. "Toutes les offres que l'on négocie et reçoit pour nos clients sont valables moins de 24 heures. Le contexte volatile demande aux entreprises de se positionner très rapidement, souvent dans la journée", souligne Jean-Sébastien Degouve.

Dans l’Ain, au sein de l’entreprise Bérier Métallerie (CA 2021 : 4,5 M€ ; 21 salariés), le patron Eric Pierrot n’a eu d’autre choix que de faire appel à un de ces spécialistes du courtage pour souscrire à un nouveau contrat gaz. "Pour accélérer notre développement, nous avons créé une nouvelle activité de peinture au sein de l'entreprise. C’est une activité très consommatrice d’énergie, de l’ordre de 300 mégawattheures par an, détaille-t-il. Nous avons consulté plusieurs fournisseurs et avons dû faire un choix rapidement, en quelques heures." Le contrat sur deux ans que la PME a souscrit comprend un abonnement peu onéreux mais avec un prix de la molécule plus élevé que sur d’autres offres. Une quête d’une certaine stabilité des prix sur la durée du contrat qui entraîne pour l'entreprise aindinoise un surcoût de 20 % par rapport à ce qu’il avait été budgété. De quoi aborder l’avenir avec une certaine fébrilité.

Auvergne Rhône-Alpes # Industrie # Banque # Production et distribution d'énergie # Conjoncture # Gestion