Comment Chat GPT agite les entreprises alsaciennes
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Comment Chat GPT agite les entreprises alsaciennes

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Recherche et analyse de données, génération de contenu textuel et d’images, traductions, synthèses, codage, animation de réseaux sociaux, relations clients… Chat GPT démocratise l’usage des intelligences artificielles génératives, y compris dans les entreprises les plus éloignées de la course au digital. Mais, en Alsace, toutes ne sont pas unanimes sur la réalité de la "révolution" en marche.

En Alsace, nombreux sont les entrepreneurs, dirigeants et simples salariés à avoir testé l’intelligence artificielle Chat GPT — Photo : Style Eyes

Qui ne l’a pas encore testé ? Dix mois après son lancement par Open AI, le robot conversationnel Chat GPT n’en finit pas de faire couler de l’encre. Son adoption au sein des entreprises aura été quinze fois plus rapide qu’Instagram. Selon un sondage Ifop-Talan publié le 10 mai dernier, 45 % des jeunes générations (18-24 ans) affirment désormais utiliser les IA génératives, contre 18 % seulement des 35 ans. Dans le même temps, 68 % des salariés utilisant ces outils en entreprise avouent cacher l’exercice à leur supérieur hiérarchique !

De fait, pas un jour ne passe sans qu’on entende parler d’interdiction de l’usage de Chat GPT, par une collectivité ou une entreprise, ou que ne soient évoqués les tâches et métiers que l’IA générative promet de rendre obsolète. En juin dernier, le Parlement européen s’est ainsi distingué comme étant la première instance internationale à proposer un cadre de régulation au développement de l’intelligence artificielle, incluant notamment les applications génératives type Chat GPT ou Midjourney.

Gouffre énergétique ou cabinet de curiosité

Les IA génératives vont-elles révolutionner notre économie ? Faut-il au contraire les bannir ? Nous avons posé la question aux entreprises alsaciennes et le moins que l’on puisse dire est que toutes ne sont pas sensibles à l’engouement suscité par la sortie de l’outil développé par Open AI. Certaines n’y voient pas d’intérêt direct ; l’utilisation de l’outil leur paraît encore trop abstraite et lointaine pour toucher leur activité. D’autres y sont fondamentalement réfractaires. C’est le cas de la coopérative Commown (CA : 600 000 €, 25 salariés), basée à Strasbourg et qui développe un modèle d’utilisation des appareils numériques basé sur la location d’équipements écoresponsables et réparables. "Il était évident qu’on n’allait pas utiliser Chat GPT. Cette application est un gouffre énergétique parce qu’elle travaille avec un nombre pléthorique de données, stockées dans des data center qui produisent du CO2 et consomment énormément d’eau, note ainsi son président, Adrien Montagut. Les IA génératives s’approprient les créations des autres sans verser les moindres royalties ; elles font peser une menace sur la société en diffusant des fake news. C’est contraire à l’éthique que nous défendons".

Au détour de conversations, ils sont cependant nombreux, entrepreneurs, dirigeants ou simples salariés, de tous secteurs d’activité, à s’être essayé à cette intelligence artificielle. "Notre service litiges et assurances a déjà commencé à interroger Chat GPT pour vérifier certains cas de jurisprudence. J’ai moi-même fait le test pour préparer une prise de parole et j’ai été bluffée par la qualité des réponses !", indique ainsi Évelyne Hum, directrice d’agence du transporteur allemand Haeger & Schmidt à Strasbourg. Si la dirigeante n’a pas engagé de projet précis d’utilisation de Chat GPT, sa dimension pédagogique pourrait lui donner des idées.

Des lignes de code générées en quelques secondes

Mais l’intérêt de Chat GPT n’est pas simplement conversationnel. En quelques semaines, l’IA générative est devenue un outil privilégié par les développeurs informatiques. "J’ai été très surprise de voir que notre service informatique, à la moindre question, va sur Chat GPT. Ils ont complètement intégré l’outil, qui leur fait gagner du temps dans leur travail de développement informatique", note par exemple Amandine Aubert, la fondatrice d’Ecogreen Energy (CA : 20 M€, 60 salariés), société strasbourgeoise spécialisée dans les solutions de récupération de chaleur fatale dans l’industrie. Dans toutes les applications digitales, l’utilisation des IA génératives ouvre ainsi de nouvelles perspectives et permet d’accélérer le rythme de développement. "On devrait avoir mis au point, d’ici deux ans, un chatbot basé sur de l’IA générative, qui puisse donner des préconisations aux apiculteurs en fonction des données de leurs ruches et de données techniques générales", estime Farid Maniani, directeur de Tech4Gaïa, une start-up se fondant sur le développement de ruches connectées pour recueillir et commercialiser des données environnementales.

Les freins de Chat GPT

Les grands comptes aussi s’y mettent, à l’image du fabricant d’équipements pharmaceutiques De Dietrich Process Systems (200 M€ de chiffre d’affaires, 1 100 collaborateurs). Son directeur marketing, Laurent Drummer, reconnaît avoir réalisé de premiers tests rédactionnels dans le cadre de la refonte du site Internet de la société. Les résultats sont intéressants, mais plusieurs freins limitent l’utilisation de Chat GPT. "Le premier est lié aux spécificités techniques de notre secteur d’activité. Le deuxième concerne les règles de référencement : Google pénalise en effet les sites Internet dont le contenu est généré par une IA", souligne-t-il. Du fait des règles de confidentialité imposées par ses clients, De Dietrich Process Systems envisage d’utiliser une IA générative pour créer les illustrations de ses documentations. "Mais l’IA n’est pas prête à remplacer l’humain. Il faut une réflexion stratégique et ça, Chat GPT ne le fait pas", tempère Laurent Drummer. 

Le problème des fake news

Une analyse que partage Jérémie Lotz, directeur de l’agence de relations presse strasbourgeoise Noiizy. "Chat GPT constitue un support très utile pour alimenter les réseaux sociaux, parce qu’il produit du texte adapté aux algorithmes des plateformes.  Il peut nous assister dans l’organisation d’évènements, réaliser les relances et la diffusion de communiqués. Il va nous aider à réduire nos temps de production pour nous concentrer sur le travail relationnel et la stratégie de communication", veut croire le communicant. Déjà, les plus jeunes collaborateurs de l’agence y recourent pour produire des textes convenables et sans faute d’orthographe. Seule crainte de celui qui est également délégué régional du Syndicat national des attachés de presse : que l’intelligence artificielle ne remplace un jour les journalistes. "Notre métier n’aurait alors plus de sens. Avec l’IA générative, il sera en effet très facile, demain, de détourner une information. Les entreprises devront alors passer de la communication à la réaction, et la relation presse se transformera en communication de crise", redoute-t-il.

L’IA est-elle vraiment intelligente ?

L’intelligence artificielle générative n’a en effet d’intelligence que le nom. Son entraînement est basé sur l’intégration d’un nombre important de données dont la véracité n’est pas toujours vérifiée. Chat GPT se nourrit ainsi des sollicitations qu’on lui adresse, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de sécurité. "Il ne faut pas l’utiliser pour trouver une réponse à un problème de cybersécurité. En posant ce type de question, vous transmettez au système vos craintes et vos faiblesses. Vous générez une connaissance sur votre propre vulnérabilité, que les cybercriminels vont pouvoir utiliser", met en garde Pascal Gaden, responsable de l‘agence strasbourgeoise du groupe Almond (59 M€ de chiffre d’affaires, 400 salariés). Le spécialiste ne voit pas beaucoup d’intérêt aux IA génératives. "Nos tests d’intrusion se font avec des ingénieurs et non de manière automatisée. Bien sûr, les IA génératives facilitent le travail des cybercriminels parce qu’elles peuvent créer des applications automatisées susceptibles de générer des attaques. Mais ces attaques automatisées ne sont pas celles qui aboutissent le mieux. Le problème, c’est qu’elles concernent toutes les petites entreprises". 

"Il y a deux choses que Chat GPT ne sait pas faire : citer ses sources et travailler de manière transversale", résume Denis Cavallucci, directeur de la chaire intelligence artificielle augmentée et R & D de l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Strasbourg. Cette dernière a été lancée fin 2022 avec le soutien de neuf entreprises (Adova, Arburg, Arcelor, Baccarat, Chanel, EDF, Forvia, Sartorius, Soprema), dans le but de construire des outils d’assistance intelligente à l’activité de R & D, capables de citer leurs sources parmi les 200 millions de brevets et 300 millions de publications scientifiques existants mais aussi de détecter des innovations développées dans un domaine scientifique particulier mais dont la déduction est transposable à un autre domaine. Pour ce faire, les doctorants sont incités à utiliser les IA génératives, en complément des techniques de deep learning. "Les deux écoles se retrouvent au sein de la chaire. Elles y sont mises en concurrence, pour amener les doctorants à exercer leur sens critique, explique Denis Cavallucci. Il faut se servir des IA génératives comme d’une perche pour aller plus haut". 

Hager développe un Chat GPT privatisé

C’est aussi le parti pris par le fabricant de matériel électrique Hager (CA : 2,8 Md €, 12 900 collaborateurs), qui a décidé de développer une version privatisée de Chat GPT. "L’arrivée de Chat GPT a généré un gros changement de perception autour du sujet de l’intelligence artificielle. La question n’était plus de savoir si on y va ou pas, mais comment", indique Marion Moliner, directrice data science et data engineering.

Les premières utilisations de Chat GPT au sein de l’entreprise ont rapidement enclenché une alerte de sécurité. "Il a fallu faire prendre conscience aux collaborateurs que les données qu’ils intègrent dans leurs requêtes sont données à l’extérieur, ce qui peut poser problème s’il s’agit de données personnelles ou de données métiers sensibles. Plutôt que d’interdire l’utilisation de Chat GPT, nous avons ainsi choisi d’éduquer nos collaborateurs et de mettre en place des garde-fous", note la responsable.

Il y a quelques semaines, l’ETI a ainsi lancé "Hager GPT", une version privatisée de Chat GPT 3.5 basée sur le cloud Azure de Microsoft. Une première journée de démonstration a été organisée avec une version du chatbot entraînée exclusivement avec des données internes. L’entreprise a ensuite organisé deux sessions de formation, coanimées par Microsoft, sur les différentes fonctionnalités de ce chatbot privatisé, en matière de recherche ou de traduction de documents. Il est désormais prévu de développer cette version privatisée en fonction des besoins des collaborateurs - une démarche qui ne se fera cependant pas sans limite, du fait du coût de développement extrêmement élevé d’une IA générative privatisée. 

"On est en train de cartographier les besoins. Trois grandes applications se dégagent : un chat pour remplacer les moteurs de recherche ; des utilisations en matière de bureautique, intégrées à l’environnement de travail Microsoft ; et des utilisations plus exotiques, comme le fait de proposer des contenus plus adaptés dans les formations internes.  On prévoit également de proposer des cours de prompt engineering en ligne, pour que nos collaborateurs apprennent à faire des requêtes leur permettant d’aller droit au but plutôt que de passer 30 minutes à dialoguer avec Chat GPT avant d’y arriver", conclut Marion Moliner. 

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