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Cerinnov parie sur l’avenir de la céramique technique
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Cerinnov parie sur l’avenir de la céramique technique

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Chahuté par la crise sanitaire, le groupe limougeaud Cerinnov, qui équipe les industriels de la céramique et du verre, poursuit sa mue vers une fabrication de machines de plus en plus techniques et des lignes toujours plus automatisées. Elle démarche ses équipements spéciaux vers des marchés émergents pour renverser sa stratégie de croissance.

Cerinnov, présidée par Arnaud Hory et dont le siège est à Limoges (Haute-Vienne) a repris des couleurs après deux années chahutées par le covid — Photo : Romain Béteille

Sacrée remontée de pente pour la PME limougeaude Cerinnov, fabricante d’équipements spéciaux pour les industriels de la céramique et du verre. Ses derniers résultats financiers semestriels le montrent : son carnet de commandes d’équipements grimpe à 12,5 millions d’euros dont 9,5 millions sécurisés en 2023. Entré en Bourse en 2016, l’équipementier, qui agglomère aujourd’hui cinq sociétés en France et en Europe, a multiplié par deux son EBITDA, celui-ci représentant 11,6 % de son chiffre d’affaires. Son résultat d’exploitation, lui, repasse en positif à 276 000 euros contre - 86 000 sur la même période en 2022.

Limiter la casse

Derrière ces chiffres qui rassurent les actionnaires (dont un nouveau, Philippe Spruch, qui possède désormais 28,1 % des parts du groupe), c’est à un véritable chamboulement de marchés auquel s’est attaqué Cerinnov. Alors que 90 % de son chiffre d’affaires dépendait de l’export, l’entreprise a été fortement chahutée par le Covid. Arnaud Hory, son PDG, qui a peu à peu structuré le groupe né d’un brevet sur une technique de frittage laser, l’admet volontiers.

"Le plus gros chiffre d’affaires attendu avant Covid était la Chine, ce contrat s’est arrêté. On a limité la casse en faisant attention à tout, notamment en gardant les forces vives du groupe." Passé de 140 à 100 personnes aujourd’hui (dont 13 licenciements), l’entreprise a traversé la tempête avec un endettement d’environ 10 millions d’euros, provoqué par le rachat de deux sociétés (le portugais Ceramifor en 2017 et la Cristallerie de Saint-Paul-Emaux Soyer en Haute-Vienne en 2018) et 3,9 millions d’euros de prêt garanti par l’État, destinés à sa restructuration.

Pour se désendetter plus rapidement, Cerinnov a ainsi changé sa logique de R & D. Elle y consacrait environ 2 millions d’euros par an à ses frais, elle fait désormais appel à des industriels pour la financer. "Au vu de notre endettement, cela exige beaucoup moins de BFR (besoins en fonds de roulement). Si l’on ne promet aucune exclusivité, nous leur assurons une avance technologique d’un an ou deux."

Marchés émergents

Sa clientèle aussi a changé de visage. "En Asie, nos clients ne sont plus des milliardaires chinois désireux d’investir dans des équipements européens mais des gros groupes qui sont encore dans ces pays et ont besoin de nos technologies", assure Arnaud Hory. Si Cerinnov veut garder un pied dans la céramique traditionnelle, elle se consacre davantage à la céramique technique, à plus forte valeur ajoutée et pour laquelle ses machines spéciales trouvent leur place. "Nous nous diversifions en implémentant de plus en plus de robotique, de cobotique (robots collaboratifs) et d’intelligence artificielle dans nos équipements. Les industriels ont moins de personnel et pour augmenter leur production, ils ont besoin de ces équipements pour les tâches pénibles. Dans la céramique, qui est un produit vivant, on est soucieux de la qualité. Utiliser ces technologies permet de diminuer les taux de rebut ou la surqualité", explique Arnaud Hory.

Mise en servicede quatre lignes robotisées

Parmi les contrats signés annoncés, Cerinnov a ainsi deux cellules robotisées d’ablation laser pour l’industrie automobile, un projet "à environ 1 million d’euros". Le groupe, qui est aussi l’un des sous-traitants importants de l’industrie du luxe (il fournit en machines et consommables Hermès, Bernardaud, Rolex ou Ferrari), pousse vers cette automatisation. Dernièrement, il a annoncé la mise en service de quatre lignes robotisées autonomes pour la finition de pièces. Il a aussi présenté à la filière, lors d’un récent évènement, ses solutions d’implémentation d’IA. "Nous poussons l’IA pour analyser les cycles de production et introduire du prédictif dans les chaînes. Pour le luxe, cela peut aussi répondre à un souci de qualité de produit."

Cerinnov s’introduit également sur le marché de l’hydrogène ou des batteries pour véhicules électriques, en fournissant les machines nécessaires à la fabrication de piles à combustibles ou de cellules électrolytiques. "Nous fournissons les fours de cuisson du lithium des batteries pour l’automobile, par exemple. Un gros fournisseur devrait annoncer prochainement des évolutions pour le groupe dans ce secteur." Cette céramique technique pourrait représenter à moyen terme "40 à 60 % de notre chiffre d’affaires contre 5 à 6 % au départ. L’idée est de nous lier avec de gros acteurs pour être l’un des futurs leaders du secteur. La transition technologique est en cours, nous sommes sollicités dans des projets de gigafactories de céramiques et positionnés sur l’une d’entre elles", révèle le PDG, rendu prudent par la Bourse.

Reconquête à l’export

Enfin, reconquérir l’export (1,7 million d’euros de CA) sonne aussi comme un objectif essentiel. "Le dumping chinois fait que les prix de leurs machines sont trop bas. On travaille encore un peu en Chine, mais beaucoup plus en Inde, qui devrait être un gros pays investisseur en 2023 et 2024." Profitant de la réindustrialisation française et européenne, le groupe tire avantage de sa présence "multisecteurs et multipays, pour faire en sorte de n’être dépendant d’aucun".

La céramique traditionnelle, secteur originel de Cerinnov, a elle aussi de beaux jours devant elle. "Tous les pays ont leurs propres matières premières, le potentiel mondial est énorme, comme l’Algérie avec ses usines de terre cuite. Il y en aura au moins une qui sortira dans les quatre ans à venir. Ce sont des projets à 10 millions d’euros, notre objectif est d’être les premiers à aller mettre des machines là-bas". Une question, là encore, de souveraineté économique.

Cerinnov, qui espère effacer complètement son endettement d’ici "cinq à six ans", prévoit de rester à son périmètre actuel "jusqu’à atteindre 20 millions d’euros de chiffre d’affaires". Un cap qui, si l’on en croit ses marchés actuels ou à venir, pourrait vite être franchi.

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