Camif, Citizen Capital : pourquoi ces entreprises ont choisi de se doter d’une « mission »
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Camif, Citizen Capital : pourquoi ces entreprises ont choisi de se doter d’une « mission »

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Camif, Maif, ou encore Citizen Capital, ont choisi d’inscrire « une raison d’être » dans leurs statuts juridiques, de se fixer des objectifs sociaux ou environnementaux et d’engager des actions concrètes pour les atteindre. Rencontre avec les pionniers de « la société à mission ».

La communauté des entreprises à mission réunit une centaine de sociétés et d’organisations françaises. Parmi ces membres : Emery Jacquillat (Camif, à gauche) et Pascal Demurger (Maif) — Photo : DR

Après une année d’existence, la Communauté des entreprises à mission, une association loi 1901, réunit déjà une centaine de pionniers : Camif, Maif, Citizen Capital, Ulule, Prophil, Nuova Vista, Mines Paris Tech, l’université de Picardie… Certaines de ces organisations ont déjà commencé à expérimenter ce nouveau statut, officiellement créé par la loi Pacte au printemps dernier.

Définir la "raison d'être" de l'entreprise

Concrètement, pour se transformer en « société à mission », il faut d’abord inscrire une « raison d’être » dans ses statuts, puis définir un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que l’entreprise se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité.

Par exemple, la Camif entend « proposer des produits et services pour la maison au bénéfice de l’homme et de la planète ; mobiliser son écosystème, collaborer et agir pour inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation ».

Cette mission, le distributeur de meubles niortais la complète par cinq engagements, eux-mêmes déclinés en actions concrètes. Ainsi, l’engagement « d’informer et sensibiliser le client, pour l’amener vers une consommation plus responsable », se traduit par une transparence sur le lieu de fabrication des meubles et l’origine des composants. L’engagement à « dynamiser l’emploi en faveur de l’insertion sur le territoire » donne lieu à des liens avec plus de 150 fabricants français et par le fait qu’un emploi au sein de la Camif génère indirectement du travail pour 14 personnes ailleurs dans l’Hexagone, indique l’e-commerçant.

Déjà bien engagée sur la voie de l’entreprise à mission, la PME de 60 salariés a même réalisé une étude d’impact social et écologique, puis élaboré des indicateurs de performance. Reste à fixer de nouveaux objectifs à trois ou cinq ans. « Pourquoi ne pas viser la neutralité carbone ? Voire un bilan carbone négatif, en s’engageant à planter des arbres en contrepartie de la vente de meubles notamment », réfléchit le dirigeant, Emery Jacquillat, également président de la communauté des entreprises à mission.

Engager les actionnaires dans la mission

Un pas de plus comparé à la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) ? « La RSE est restée à la porte des comités exécutifs et des conseils d’administration. Bien souvent, elle n’a pas été placée au cœur des enjeux stratégiques des entreprises », regrette Laurence Méhaignerie, qui dirige Citizen Capital. Cette société d’investissement parisienne « investit sur la base d’un business plan à impact, qui exprime la mission, fixe des objectifs et des indicateurs associés, permettant de suivre l’accomplissement de cette mission ».

« L’entreprise poursuit un intérêt propre, qui n’est pas forcément aligné sur celui de ses associés et de ses actionnaires. Cet intérêt va au-delà de l’objectif de profit, qui est un moyen et non une fin. »

Dans cette optique, « l’entreprise poursuit un intérêt propre, qui n’est pas forcément aligné sur celui de ses associés et de ses actionnaires. Cet intérêt va au-delà de l’objectif de profit, qui est un moyen et non une fin. Et cette mission engage directement les actionnaires, puisque les statuts sont votés en assemblée générale », poursuit la cofondatrice de Citizen Capital.

De quoi donner les coudées franches à un chef d’entreprise engagé, qui peut s’éloigner de la recherche du profit à court terme. C’est ce qu’a fait le patron de la Camif. Emery Jacquillat a en effet décidé, en 2017, de fermer son site de vente en ligne le jour du Black Friday, la journée qui marque le coup d’envoi de la période des achats de fin d’année, afin de refuser « la surconsommation ». Quitte à perdre du chiffre d’affaires. « Sans la mission inscrite dans nos statuts, je me serais sans doute heurté à l’opposition de certains actionnaires », estime Emery Jacquillat.

L'entreprise à mission : révolution ou greenwashing ?

Attention toutefois au green- et au social-washing… Certaines entreprises se serviront-elles du concept uniquement pour verdir leur image, sans véritablement jouer le jeu ? Soit en menant des actions peu ambitieuses, soit en affichant des objectifs très audacieux, mais sans se donner les moyens de les atteindre. « C’est un vrai risque », reconnaît Laurence Méhaignerie.

• Les garde-fous du législateur

Des garde-fous existent cependant – ils devraient être bientôt précisés par des décrets. En cas d’abus, l’entreprise fautive risque de perdre son statut de société à mission. Et la possibilité d’actions en justice semble ouverte. « Le statut de société à mission implique une obligation de résultat », rappelle Errol Cohen, avocat au sein du cabinet Le Play. Associé aux travaux de l’école des Mines Paris Tech qui ont inspiré la loi Pacte, il accompagne notamment le poids lourd du monde agricole InVivo (5 500 salariés) dans sa conversion en entreprise à mission.

« Demain, les entreprises qui réussiront à recruter seront celles qui donneront un sens à leur action. »

Autre protection imposée par la loi : un comité de suivi contrôlera la bonne exécution de la mission au fil de l’eau. Ce dernier inclura au moins un salarié. La Camif y intègre déjà des collaborateurs, actionnaires, fournisseurs, et envisage d’y inviter des clients, des élus locaux ou de la CCI, des experts…

• L'attractivité de l'entreprise à mission

Pour les défenseurs de l’entreprise à mission, aucun intérêt à ne pas jouer le jeu. Ce nouveau modèle suscitera une dynamique en interne, un sentiment d’appartenir à un projet collectif, invitera à innover… « Demain, les entreprises qui réussiront à recruter seront celles qui donneront un sens à leur action, dépassant la seule recherche de profit. Sinon, il faudra payer très cher pour attirer de jeunes talents », pronostique Emery Jacquillat.

Un modèle qui pourrait aussi séduire des clients, fournisseurs et même des investisseurs. Patron de BlackRock, le plus gros gestionnaire d’actifs de la planète, Larry Fink invitait récemment les entreprises dans lesquelles il investit à définir… leur raison d’être !

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