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"La prochaine vague de l’e-commerce sera celle du B to B"
Interview France # E-commerce # Conjoncture

Marc Lolivier DG de la Fédération de l'e-commerce et de la vente à distance "La prochaine vague de l’e-commerce sera celle du B to B"

Après des années fastes, le marché de l’e-commerce voit sa croissance freinée par la conjoncture économique. Avec même une baisse des ventes de produits non alimentaires. Mais la marge de progression reste forte, estime Marc Lolivier, DG de la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance (Fevad). Pour ce dernier, la prochaine vague sera celle des échanges BtoB, un potentiel "largement inexploité".

Marc Lolivier, délégué général de la Fevad — Photo : Fevad

Le marché de l’e-commerce poursuit sa croissance, avec un chiffre d’affaires de 160 milliards d’euros en 2023 en France, en hausse de 10,5 %, d’après la Fevad. Mais ce chiffre global recouvre deux réalités distinctes. D’un côté, la vente de services en ligne progresse, de l’autre celle des produits recule. Comment expliquer cela ?

Il faut d’abord remonter à 2020. Au sortir de la crise sanitaire, la vente de produits a logiquement baissé car la demande avait été artificiellement gonflée par la fermeture des magasins. À l’inverse, la vente de services en ligne a explosé, notamment dans le secteur des loisirs et des voyages, qui avaient connu des heures sombres pendant les confinements. Ce dernier secteur a notamment profité des arbitrages de consommation des Français, qui ont privilégié les sorties en famille et entre amis, pour s’offrir une bouffée d’oxygène après la crise sanitaire. Sur le segment du voyage, les ventes ont augmenté de 75 % sur deux ans. Plus globalement, l’e-commerce a enregistré en 2023 une croissance de 20 % en valeur sur les services. De leur côté, les ventes de produits sur internet reculent de 1,8 % par rapport à 2022 (NDLR : après déjà une chute de 7 % l’année précédente). Cette baisse concerne surtout le non alimentaire. Car l’achat de produits alimentaires en ligne progresse encore.
La fin de la crise sanitaire explique-t-elle entièrement la baisse des ventes de produits en ligne ?

La décrue post-Covid attendue n’explique pas tout. Car le marché n’a pas repris la même dynamique qu’auparavant. Depuis 18 mois, la vente de produits au sens large atteint un plateau, avec une baisse de chiffre d’affaires, mais aussi une baisse des volumes de 3 %. L’activité est freinée par le ralentissement de la consommation, lié à l’inflation. En particulier l’inflation sur les dépenses contraintes comme les factures d’électricité, d’essence, mais aussi sur l’alimentaire qui a enregistré 20 % de hausse de prix en deux ans. Tout cela a pesé sur le budget des Français, qui ont dû faire des choix.

"Aujourd'hui, l'e-commerce est entré dans le quotidien des Français. C'est devenu un secteur majeur : 160 milliards d'euros de chiffre d'affaires, c'est plus que l'automobile ou le bâtiment"

L’essor de la seconde main explique aussi en partie l’évolution du chiffre d’affaires. Car un produit de seconde main coûte grosso modo 30 % de moins qu’un produit neuf, même si cela varie énormément, entre un vêtement ou un smartphone, l’occasion et le reconditionné, etc. La seconde main représente 11 % du chiffre d’affaires des achats sur internet, hors alimentaire. Aujourd’hui, un Français sur deux achète ce type de produit. Et même deux sur trois chez les 15-25 ans. Par ailleurs, on observe une forte augmentation du nombre de personnes qui achètent uniquement de la seconde main.

À noter enfin que le hard discount et ses prix bas fonctionne très bien aussi sur internet. Et que le pouvoir d’achat étant ce qu’il est, on renonce aussi parfois à consommer…

Le marché de l’e-commerce subit désormais les aléas de la conjoncture ? C’est un phénomène inédit ?

Oui. Depuis 18 mois, le marché de l’e-commerce subit les aléas de la conjoncture économique. Tandis qu’auparavant celle-ci avait peu d’impact. Le marché partait de très bas, il a donc connu une belle dynamique. Aujourd’hui, l’e-commerce est entré dans le quotidien des Français. C’est devenu un secteur majeur : 160 milliards d’euros de chiffre d’affaires, c’est plus que l’automobile ou le bâtiment… Il est donc plus sensible à la conjoncture qu’il y a dix ans. Il va désormais falloir attendre une reprise de la consommation globale pour assister à une reprise des ventes de produits non alimentaires.

Est-ce à dire que le marché est arrivé à maturité ?

Je ne crois pas. Je pense qu’il reste encore une marge de développement. Surtout quand on regarde le Royaume-Uni, qui abrite un marché e-commerce deux fois plus grand que celui de la France, pour une population comparable. Prenez les produits techniques, en gros l’équipement de la maison, de la déco à l’électroménager : en France 30 % de ces produits sont vendus sur internet, contre environ 60 % au Royaume-Uni.

"On ne tournera plus sur 20 à 30 % de croissance comme par le passé"

Au-delà des chiffres, on voit que cela répond à un besoin. Dans un récent sondage réalisé par l’institut Odoxa pour la Fevad, deux Français sur trois déclarent que l’e-commerce a eu un impact positif sur leur vie quotidienne ces dix dernières années. Parce que c’est pratique, que ça permet de gagner du temps, d’accéder à une offre plus large qu’en magasin. On note par ailleurs que les jeunes utilisent davantage internet… Tout cela fait qu'il y a une marge de progression. Même s’il est clair qu’on ne tournera plus sur 20 à 30 % de croissance comme par le passé.

Du côté des entreprises, il reste aussi du potentiel ?

Le secteur reste dynamique car il évolue en permanence. L’e-commerce s’est d’abord construit avec des pure players, et des pionniers comme Cdiscount, Rue du Commerce, Pixmania ou Vente-privee.com. Avant la venue des enseignes de magasins : Leclerc, Fnac Darty, Boulanger, etc. Arrive aujourd’hui une troisième vague qui est celle des marques, de plus en plus nombreuses à se tourner vers internet pour vendre en direct, en plus de la distribution en magasin, de Nespresso à Apple et Lacoste.

Je peux même vous en citer une quatrième vague, dont on ne parle pas assez : le B to B. Le commerce inter-entreprises possède un potentiel de croissance inexploité. Et va certainement se développer dans les années à venir. Certes, la prise de commande repose encore beaucoup sur les commerciaux. Il y aura donc peut-être une petite révolution à opérer. Comme ce fut le cas pour les enseignes de magasins, qui au début n’accueillaient pas favorablement la vente sur internet. Avant de l’intégrer.

Y a-t-il un potentiel e-commerce plus important dans certains secteurs B to B ?

Vous savez, pour beaucoup de secteurs, on a dit par le passé : ça ne marchera jamais ! Comme l’alimentaire, en se disant que les consommateurs voulaient toucher les légumes, ou comme le luxe, parce qu’internet renvoyait l’image de prix bas… Or, aujourd’hui, ces secteurs ont intégré avec succès l’e-commerce dans leur parcours client.

"Aucun secteur n'est incompatible avec la vente en ligne"

Pour le B to B, je pense que tous les secteurs vont y passer. Certains sont déjà très digitalisés, dans les métiers du logiciel par exemple. D’autres moins, notamment dans l’industrie. Mais tout va basculer. Aucun secteur n’est incompatible avec la vente en ligne.

La révolution numérique passe aussi par l’intelligence artificielle. Quel impact pourrait avoir l’IA sur l’e-commerce ?

Un impact énorme. Il y aura un avant et un après. Les entreprises de la Fevad sont toutes à fond sur le sujet. Nous avons consulté des entreprises récemment. Résultat : 71 % des entreprises disent être déjà en train d’utiliser une solution à base l’IA générative. Avec pour top 3 des usages : le marketing et la relation client, la cybersécurité et enfin la logistique.

En quoi l’IA va améliorer le marketing et la relation client ?

Avec l’IA, on va passer à l’ultra-personnalisation de l’offre et du service, en fonction de vos besoins et centres d’intérêt. Et ça, c’est un changement profond. Il existe déjà des recommandations d’achats, en fonction du compte client, des commandes précédentes, des données de navigations via les cookies… Mais cela ira plus loin. Demain, vous pourrez traiter et connecter beaucoup plus de données. En reliant par exemple les informations du compte client et de son historique sur le site e-commerce, avec les avis qu’il publie en ligne sur les produits, les infos de ses comptes sur les réseaux s’ils sont ouverts, le comportement des profils comparables au sien, etc.

De quoi favoriser le taux de conversion, donc l’acte d’achat…

C’est l’enjeu. Et cela aide surtout à orienter l’internaute, dans la mesure où l’intérêt de l’e-commerce, notamment des plateformes, c’est d’avoir énormément de choix, beaucoup plus que dans un magasin. Or, plus vous avez de références, plus vous avez besoin de guider ce client vers les produits qui lui conviennent, en répondant à ses questions sur les prix, les composants, jusqu’à l’aiguiller vers des choix responsables, en l’informant sur le made in France, les circuits courts, l’empreinte carbone…

Le chatbot dopé à l’IA générative, notamment, pourra mieux conseiller le consommateur. Et libérer du temps aux conseillers "humains" pour répondre aux questions complexes et apporter un service à valeur ajoutée.

Autre enjeu de taille, l’e-commerce est souvent critiqué pour son impact environnemental. Que répondez-vous à ces inquiétudes ?

C’est une polémique qui n’a plus lieu d’être. Une récente étude de l’Ademe apporte la preuve qu’on ne peut pas dire que l’e-commerce pollue plus que les magasins physiques.*

"Mieux vaut une camionnette qui livre 50 personnes dans un périmètre donné plutôt que ces 50 personnes prennent chacune leur voiture pour se rendre au magasin"

En fait, cela dépend des situations. Vous pouvez acheter un produit chinois en magasin en bas de chez vous, et un produit local bio sur internet. De même, le lieu d’achat des produits non alimentaires pour une majorité de Français se trouve à 10 km… Mieux vaut une camionnette qui livre 50 personnes dans un périmètre donné plutôt que ces 50 personnes prennent chacune leur voiture pour se rendre au magasin. Une fois dit cela, reste que, comme toute activité la vente en ligne a un impact environnemental. Et c’est la responsabilité des e-commerçants de limiter cet impact à l’avenir, au vu de l’urgence climatique.

Quels progrès le secteur a-t-il par exemple réalisés pour réduire son empreinte carbone ?

Je peux vous en citer un certain nombre. Comme par exemple le chargement des palettes "en vrac" afin d’occuper tout l’espace de charge d’un camion. Ou le travail effectué sur l’emballage, avec notamment des machines qui réduisent l’espace vide dans les colis, en adaptant la taille du carton pour coller à celle du produit. Et certaines entreprises n’hésitent plus à ne pas rajouter d’emballage en plus sur le produit…

Sur cette question environnementale, là aussi l’IA va apporter des solutions. Qu’il s’agisse d’optimiser les tournées de livraison, ou encore de prévoir avec plus de précision les stocks nécessaires, afin de générer moins d’externalités négatives, en permettant de réduire les stocks en entrepôts, et in fine de moins produire.

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