Brexit : comment se préparer au no-deal
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Brexit : comment se préparer au no-deal

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Initialement prévu le 29 mars 2019, le Brexit pourrait finalement intervenir le 31 octobre prochain. Si ce décalage de sept mois n’a, jusqu’à présent, guère permis d’éclaircir les conditions exactes du divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, les entreprises françaises n’ont pas non plus semblé profiter outre mesure de ce délai supplémentaire pour s'y préparer. Il n’est toutefois pas trop tard pour prendre les mesures qui s’imposent face à la perspective d’un no-deal.

Photo : fotofan1 - CC0 Pixabay

Ready or not ready ? Telle est la question qui hante à nouveau les entreprises françaises, à l’approche de la (nouvelle) date fatidique du Brexit. Déjà reportée par deux fois - elle avait été initialement programmée pour le 29 mars, puis le 12 avril, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est désormais programmée au 31 octobre 2019.

Mais les dirigeants de PME et ETI ont-ils seulement coché cette échéance dans leur agenda ? Rien n’est moins sûr pour Thierry Fournier, « sidéré par le niveau d’impréparation, l’inertie et le peu de réflexion de nos entreprises sur le sujet ». « Il va y avoir des gueules de bois », prédit même cet associé au sein d’EIM, cabinet spécialisé dans le management de transition. De Londres, d’où elle dirige le bureau britannique d’Altios, spécialiste de l’accompagnement à l’étranger, Géraldine Dibon se veut, elle, « vigilante, mais pas inquiète : au 1er novembre, tellement de règles n’auront pas encore été établies que l’on aura le temps de s’adapter. »

« Même si vous n’avez pas d’échanges quotidiens avec le Royaume-Uni, un Brexit dur peut avoir un impact sur votre activité. »

Du côté de Bercy, il est pourtant hors de question de tergiverser. Depuis quelques semaines, le ministère de l’Économie insiste : il est « de la responsabilité des entreprises » d’anticiper un divorce sans accord entre Britanniques et Européens (le fameux no-deal). « Faire le choix de ne pas [s’y] préparer, c’est prendre un pari risqué sur l’avenir », écrivait récemment la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher dans une tribune publiée par L’Usine Nouvelle, avant d’insister : « Même si vous n’avez pas d’échanges quotidiens avec le Royaume-Uni, un Brexit dur peut avoir un impact sur votre activité. » En Bretagne, la Région et la CCI montent aussi au créneau pour accompagner leurs entreprises avant cette échéance.

Une certitude : anticiper le retour des frontières

Mais comment se préparer à un événement dont les Britanniques eux-mêmes ignorent encore presque tout ? « Tant qu’ils n’auront pas répondu à la question des conditions de mise en œuvre du Brexit (avec ou sans accord, avec ou sans report, NDLR), ma position est de dire aux entreprises françaises : "Vous devez vous préparer au pire", c’est-à-dire à ce que le Royaume-Uni devienne un pays tiers à l’UE dès le 1er novembre », tranche Frédéric Puel, directeur associé au sein du cabinet d’avocats Fidal. « L'incertitude actuelle ne doit pas empêcher de réfléchir et se mettre en situation », abonde Thierry Fournier.

D’autant que, malgré le brouillard britannique qui entoure ce Brexit, certaines évolutions sont acquises. « On sait qu’une frontière va être rétablie, ce qui signifie retour des droits de douane et des formalités réglementaires, expose Thierry Fournier. Le risque le plus évident aujourd’hui porte donc sur la logistique transfrontalière. »

• Rétablissement des formalités douanières

«  La vente et le transport de marchandises est la première préoccupation de nos clients, confirme Géraldine Dibon. Pour éviter les ralentissements à la douane, autant que les entreprises se prémunissent d’ores et déjà d’un numéro EORI (Economic Operator Registration and Identification, NDLR). En cas de no-deal, il devra absolument être mis en place. »

Pour mesurer toutes les conséquences du retour des frontières, le directeur adjoint des douanes françaises Jean-Michel Thillier pressait récemment, sur France Info, les entreprises qui commercent outre-Manche à, notamment, « aller voir un professionnel du dédouanement ». Une nécessité pour des sociétés françaises qui, pour la plupart et à la faveur de l'intégration européenne, ont perdu l'habitude des démarches liées à l'import-export : un quart de celles exportant vers le Royaume-Uni et 61 % de celles qui importent ne réalisent pas de formalités douanières extracommunautaires, soulignait une étude des douanes d'avril 2019.

Enfin, les entreprises peuvent aussi se préparer à la "frontière intelligente" instaurée, côté français, sur la zone Manche-Mer du Nord : ce dispositif technologique permet de "lier les plaques d’immatriculation du poids lourd avec sa ou ses déclarations en douane ou déclaration de transit"… à condition d’avoir anticipé ces démarches.

• Bouleversement des règles juridiques

Autre certitude : un no-deal provoquera de profonds bouleversements juridiques. Propriété intellectuelle, droit du travail, contrats, certifications et autorisations de mise sur le marché… : après leur divorce, le Royaume-Uni et l’Europe disposeront chacun de leurs propres règles. Et même si, au moins au début, elles restent identiques, elles devront être de toute manière dupliquées pour être valables sur les deux marchés.

Une priorité : évaluer son exposition au risque Brexit

Pour le reste, difficile d’y voir plus clair, mais de l’avis de tous, une priorité s’impose pour se préparer au mieux : dresser l’inventaire complet de son entreprise afin de déceler le moindre lien avec la perfide Albion… car le diable se cache parfois dans les détails.

• Étude d'impact par service et selon l'activité

« Il s’agit d’établir précisément où on en est la société de son exposition à ce risque du Brexit, et ce dans tous ses départements », détaille Thierry Fournier. Ce qui revient, pour Frédéric Puel, à « analyser tous les flux de biens, de services, de données personnelles, de ressources humaines… au sein de l’entreprise ».

« Si vous avez des fournisseurs britanniques, vous devez définir rapidement quel est le risque qu’ils soient en difficulté pour vous livrer après le Brexit. »

Exemple, donné par Thierry Fournier, de cette « cartographie de l’existant » appliquée aux achats : « Vous devez définir rapidement si vous avez des fournisseurs britanniques, quelle somme vous leur versez, pour quelles catégories de produits : vous livrent-ils des pièces critiques ou secondaires pour votre production ? Et finalement quel est le risque qu’ils soient en difficulté pour vous livrer et donc quel est l’impact sur vos opérations ? » C’est également ce genre de questions que le gouvernement a répertorié dans un document d’autodiagnostic à l’attention des entreprises, prolongé par un outil en ligne lancé début octobre.

En la matière, une approche adaptée à son secteur d’activité peut se révéler précieuse : sur les produits chimiques, par exemple, le Royaume-Uni risque de sortir de la réglementation européenne REACH. En d’autres termes, si vous utilisez une substance déclarée par un producteur ou un importateur britannique, sa conformité dans l’Union européenne deviendra caduque et « vous risquez de ne plus pouvoir l’importer, si le nécessaire n’a pas été fait, prévient Frédéric Puel. Il y a, ici, un vrai risque de rupture de chaîne pour l’entreprise. »

• Plan d'action à court et à long terme

D’où l’intérêt de mener une « étude d’impact » complète pour ensuite définir un plan d’action, à décliner éventuellement en fonction de différents scénarios (Brexit dur, Brexit soft, report). Frédéric Puel conseille de s’attarder en particulier sur l’adaptation de sa stratégie commerciale (« modification de son réseau de distribution et de sa supply chain ; renégociation, réécriture ou résiliation de contrats, etc. ») et les éventuelles problématiques RH qui pourraient se poser.

L’exercice peut également s’avérer utile à plus long terme. L’avocat de Fidal recommande ainsi d’en profiter pour « réfléchir à la recherche de relais de croissance dans cet environnement nouveau où le Royaume-Uni est un pays tiers. C’est sans doute le moment d’établir une nouvelle stratégie d’implantation en Europe, des transferts d’actifs, des restructurations, des opérations de fusion-acquisition, etc. » Car les gagnants du Brexit ne seront pas forcément les entreprises qui auront su franchir le cap du divorce, mais celles qui auront déjà préparé le terrain pour commencer de nouvelles relations avec leurs partenaires britanniques.

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