Bodemer : "Ce triumvirat qui va par étapes aboutir à un binôme est très confortable pour nous"
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Manon Daher et Thibaud Carissimo dirigeants de Bodemer "Ce triumvirat qui va par étapes aboutir à un binôme est très confortable pour nous"

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Manon Daher, fille d’Alain Daher, le PDG de Bodemer (860 M€ de CA en 2022, 1 800 salariés), et son cousin Thibaud Carissimo, sont les deux membres de la famille choisis pour la succession à la tête du distributeur automobile basé à Saint-Brieuc. Une transmission à deux têtes, à présidence tournante, primée le 23 novembre par un prix du Journal de l’Automobile. Entretien avec les deux "héritiers".

Manon Daher, Thibaud Carissimo (à droite), et leur père et oncle, Alain Daher, sont les acteurs de la transmission en cours à la tête de Bodemer — Photo : DR

À quel moment de votre vie vous avez décidé de vous investir dans Bodemer ?

Thibaud Carissimo : Pour moi, c’est venu un peu plus tôt que Manon puisque j’ai rejoint le groupe Bodemer à 26 ans, en 2012. À l’époque, le groupe rachetait son principal concurrent, avec des questions en termes d’organisation interne. Alain Daher et mon grand-père Claude Bodemer m’ont proposé de rejoindre le groupe. Au départ, c’était pour une mission d’un ou deux ans, afin de réorganiser le marketing digital. Et puis, on m’a proposé de nouvelles missions. Cela fait onze ans que je suis dans le groupe.

Manon Daher : De mon côté, mon premier métier, c’était l’audiovisuel. Je vendais des documentaires aux chaînes de télé étrangères. Puis, j’ai monté une plateforme de vente en ligne de vêtements de jeunes créateurs qui a vivoté deux ans et demi. En 2012, je suis entrée à la Diac, la filiale financière de Renault. En 2017, Alain nous a parlé d’une transmission en nous disant : "je vous laisse faire vos armes et voir ce que vous voulez faire au niveau de votre vie". Ce qui m’a fait vraiment sortir du bois, c’est quand je suis partie à la stratégie chez Renault. Avec l’emprisonnement de Carlos Ghosn, j’ai fait beaucoup de réunions sans mettre les mains dans le cambouis. Et en participant à l’assemblée générale de Bodemer, tous les sujets me faisaient envie. J’ai dit à mon père que je commençais à être mûre… Lui n’attendait que ça pour activer notre montée à la direction générale. En janvier 2020, Thibaud et moi avons été nommés DG adjoints. L’aura de l’entreprise a bien fonctionné puisque sur neuf petits-enfants, nous sommes cinq dans l’automobile aujourd’hui.

T. C. : Même si Manon et moi sommes entrés un peu par hasard, nous avons su qu’il y avait eu des échanges entre mon grand-père et mon oncle sur qui pouvaient être des candidats potentiels à la poursuite de l’entreprise et que nous avions été identifiés.

Comment les premiers mois se sont-ils passés ? Le poids des générations passées a-t-il pesé sur vos épaules ?

M. D. : Le poids des générations passées et des générations à venir, nous l’avons en permanence. La temporalité des premiers mois n’impacte pas. Nous n’avons pas eu le temps de nous poser beaucoup de questions puisque le Covid est arrivé très rapidement. Nous avons été en cellule de crise avec notre Codir et notre Comex. Et, finalement, notre arrivée est très rapidement devenue un non-sujet. Nous avons travaillé au même titre que les autres, à redresser la barre. Ce qui fait qu’aujourd’hui, nous avons un Codir et un Comex très soudés.

T. C. : A notre arrivée, il fallait écrire l’histoire parce que c’est toujours un moment un peu particulier de faire évoluer une organisation existante. Quand nous nous sommes mis dans les chaussons des patrons, nous nous sommes dit que nous allions avoir le temps de voir comment ça marche. Mais un mois après, nous étions la tête dans le guidon dans les relations avec les banquiers, les ratios d’endettement, le plan d’organisation du groupe suite au Covid. Ça a eu le bénéfice de nous mettre tout de suite le pied à l’étrier et de lancer tout de suite l’histoire. Ce que nous aurions sans doute mis un ou deux ans à mettre en place, nous l’avons fait en moins d’un an parce que "nécessité fait loi".

Quels sont les qualités et les défauts de votre binôme ?

M.D. : Thibaud est quelqu’un que je considère comme brillant et qui a surtout une énergie, une rapidité d’analyse. Et je pense qu’il a le nez creux sur là où on doit aller. Il est assez facile de s’accrocher à Thibaud et de le laisser déambuler un peu dans ses idées parce que ça avance vite. Et le défaut, c’est peut-être que, de temps en temps, il a un peu trop d’énergie pour lancer les sujets et que cela se fait un peu en pagaille. Mais c’est là où on est assez complémentaire !

T. C. : Manon, de par son tempérament et ses expériences, est quelqu’un d’extrêmement construit, qui a pris de son père parce qu’elle sait se laisser le temps de la réflexion. Moi, j’adore me lancer dans les aventures et puis on lance vite le projet, on regarde ce qui se passe. Il faut lancer le projet mais, ensuite, la capacité à l’industrialiser, réussir à l’asseoir, à l’organiser et à le grandir, c’est une autre compétence. Et Manon la maîtrise très bien, c’est pour ça que nous sommes très complémentaires.

Comment vous êtes-vous organisés à la tête de la direction générale ?

T. C. : On a mis environ un an à trouver notre bon fonctionnement. Nous avons testé des choses, Nous nous sommes donné des périmètres et avons fini par trouver une dynamique qui nous convient. Je m’occupe de l’exploitation de l’entreprise et Manon de l’organisation. C’est moi qui vais être la figure opérationnelle sur le commerce, dans les réunions avec les managers, les équipes. Et Manon va asseoir toute l’organisation de l’entreprise, les relations avec les partenaires bancaires, les relations institutionnelles, les actifs de l’entreprise, l’immobilier…

M. D. : Et la partie développement justement, sur la partie gestion de projet. Parce que la stratégie est pilotée par Alain, Thibaud et moi. En revanche, le lancement des projets est chez moi. Je m’occupe de tout ce qui touche à la direction financière, la direction des ressources humaines, la direction immobilière, l’informatique, le digital, la HSE et en fait toutes ces fonctions support qui créent le socle de l’entreprise pour permettre à Thibaud de rentabiliser l’ensemble des filiales.

Quelles seront les prochaines étapes de la transmission ?

M. D. : Alain garde son poste de PDG jusqu’à juin 2025. Après, il ne va garder que le poste de président et Thibaud et moi allons alterner vice-présidence et DG tous les trois ans. En 2025, Alain sera président, je serai vice-présidente et Thibaud, directeur général. Au bout de trois ans, on alterne, Thibaud sera vice-président et moi directrice générale. Et en 2031, quand Alain sera sorti de l’entreprise, nous continuerons d’alterner présidence et direction générale.

T. C. : Nos statuts indiquent que l’âge maximum pour avoir une fonction au sein de l’entreprise est soixante-quinze ans, ce qui correspond à 2030 pour Alain. Ce modèle a été pensé et mis en œuvre par lui. Il nous permet, à Manon et moi, d’avoir un mentor et un référent, qui possède une expérience et une vision de l’entreprise à long terme qui nous permet de couvrir les angles morts quand on avance. C’est un luxe et c’est pour ça que cette espèce de triumvirat qui va, par étapes, aboutir à un binôme est très confortable pour Manon et moi et nous permet de nous reposer sur les forces de chacun.

Il y a toujours une forme de danger dans les transmissions d’entreprise. Où le voyez-vous dans votre cas ?

M. D. : Le danger, de prime abord, est de faire une présidence tournante. Car on dit souvent qu’il ne faut qu’une seule tête en haut. Mais avant de se lancer, nous avions bien mesuré les risques et c’est pour ça que nous avons énormément structuré la gouvernance du groupe. On parle d’Alain, de Thibaud et de moi, mais nous avons structuré notre conseil d’administration. Nous avons fait entrer des nouveaux administrateurs, dans un premier temps des administrateurs familiaux pour que les trois branches familiales soient bien représentées. Et nous avons fait entrer quatre administrateurs indépendants et deux censeurs. Même si, avec Thibaud, nous fonctionnons en circuit court et échangeons beaucoup. Nous avons fait en sorte de s’assurer, en cas de désaccord ou même de réflexion, d’avoir des professionnels sur lesquels nous appuyer. Et dès qu’on prend des décisions sur l’organisation, on l’acte par écrit. Souvent les risques viennent des non-dits.

T. C. : Dans les entreprises familiales, le risque est qu’à un moment, une partie de l’actionnariat ne se sente plus acteur et se désintéresse de l’entreprise. Nous avons particulièrement à cœur de travailler à maintenir la cohésion familiale avec le groupe et que le groupe permette de continuer la mission que remplissaient nos grands-parents avant de partir. Ces assemblées générales, ces conseils d’administration, ce sont aussi des points de rencontre de la famille qui permettent de garder une famille soudée.

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