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Alexandre Voos : « Les bureaux de Google ne sont pas adaptés à toutes les entreprises »
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Alexandre Voos designer Alexandre Voos : « Les bureaux de Google ne sont pas adaptés à toutes les entreprises »

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Alexandre Voos est designer d’espaces. Son cabinet, Voos Design, qui emploie aujourd’hui trois personnes, se différencie par son approche « empathique » de l’aménagement des espaces de travail. Mazars Strasbourg, le nouveau siège de De Dietrich Process Systems à Strasbourg ou encore Merck à Molsheim ont été séduits par son approche à contre-courant de la mode des bureaux à la Google ou Facebook.

— Photo : Adelise Foucault

Le Journal des Entreprises : Dans quel contexte avez-vous développé une clientèle d’entreprises, en tant que designer ?

Alexandre Voos : Je me suis lancé en 2008 pour répondre aux besoins de particuliers. Mais rapidement, on m’a confié des missions en lien avec l’aménagement d’autres lieux, tertiaires notamment, et collectifs. Le designer est une alternative aux fabricants de meubles professionnels, là pour vendre leur mobilier ou à l’architecte, qui est avant tout un constructeur. Dans le domaine des entreprises, il y a finalement peu de concurrence.

La notion de bien-être au travail est une thématique à la mode. La préoccupation de l’aménagement des bureaux est-elle nouvelle ?

A.V. : A mon sens, les dirigeants se sont toujours posé ces questions sans prendre le temps d’y répondre, focalisés sur leur activité, dans un monde de l’économie où tout va vite. Et les interlocuteurs traditionnels n’étaient pas forcément les bons. Cependant, les décideurs d’aujourd’hui sont différents de ceux d’hier. Pétris de culture RSE, ils sont en quête de plus de sens dans leur organisation. Soucieux de leur marque employeur, le bien-être au travail est un des sujets qui rendent l’entreprise attractive aux yeux des potentielles recrues, mais est aussi vecteur de fidélisation en interne.

Nombreuses sont les entreprises qui aménagent un espace ludique ou bien-être à leurs salariés, dans l’esprit des bureaux Google. Vous vous élevez contre cette tendance. Pourquoi ?

A.V. : Je ne dis pas que ce qu’ont mis en place des Google ou des Facebook dans l’aménagement de leurs bureaux est à jeter. Cependant, je considère qu’il y a autant de façon d’envisager le sujet que d’entreprises, chacune ayant son organisation et sa philosophie propre, fruit de son histoire.

« L’esprit Google est bien souvent une cosmétique. Et puis infantiliser les salariés avec des toboggans en séduit peut-être certains, mais pas tous. »

L’esprit Google que certains tentent d’appliquer dans leurs locaux est bien souvent une cosmétique, masquant des méthodes managériales agressives ou oppressantes. Et puis infantiliser les salariés avec des toboggans et des lits-cabanes, cela en séduit peut-être certains, mais pas tous. Il faut pouvoir répondre à la quête de sens dans le travail de tous les salariés.

Vous prônez plutôt un « design empathique », visant à répondre à cette quête de sens dans le travail. Pouvez-vous développer cette idée ?

A.V. : La lecture du philosophe Augustin Berque, l'un des pionniers de la mésologie, l’étude des milieux humains, a eu un fort impact sur ma vision du métier. Le paysage est une empreinte de l’action humaine, mais il peut aussi être une matrice, capable de déterminer à son tour ce qu’est un être humain. Les salariés sont à la fois en recherche de proximité, de services (crèches, salles de sport…), mais aussi d’un cadre de travail inspirant, voire stimulant.

Donner du sens à l’espace de travail, ce n’est pas seulement disposer des meubles, c’est interroger l’organisation même de l’entreprise, ses pratiques managériales. C’est aussi donner la parole aux salariés. C’est ce à quoi je m’attache dans ma démarche.

Concrètement, par quel processus passez-vous pour réaménager un lieu de travail ?

A.V. : L’empathie est la manière de rester en connexion avec les besoins et le sens. On traite les choses en profondeur. Je dois d’abord connaître mes clients, comprendre leur lieu, son histoire, ses limites. Je rencontre le décideur, pas les acheteurs, car j’ai besoin de comprendre le projet sous-jacent à la volonté de réaménager l’espace.

« Je ne crois pas à l’open space. Tout le monde a besoin de pouvoir s’isoler de temps en temps. »

Dans le cas de Mazars par exemple, la problématique est d’attirer et de fidéliser les salariés. Ensuite vient une phase d’entretiens individuels avec les salariés. Nous en avons fait 150 pour Mazars. On recueille leurs profils, leurs besoins, leurs TMS éventuels, leurs envies. Après cet audit, on propose un projet, puis on échange avec le décideur pour affiner.

Quelle est votre vision des tendances actuelles de l’open space et du télétravail ?

A.V. : Je ne crois pas à l’open space. Au-delà de huit personnes dans un même espace, on se heurte à des problèmes insolubles. Il offre à mon sens des conditions de travail médiocres, contre-nature. Tout le monde a besoin de pouvoir s’isoler de temps en temps. Je pense qu’on va revenir progressivement à des bureaux individuels, mais en cassant les lignes des bureaux traditionnels, avec des lieux de rencontre, des espaces pensés comme des villages.

Je ne crois pas non plus au télétravail : est-on prêt à aménager une partie de son logement en bureau ? Est-ce que le chez-soi est fait pour travailler ?

Est-ce que faire appel à un designer d’espace est une prestation accessible aux bourses des PME ?

A.V. : L’idée n’est pas de coller un concept "bobo branchouille" sans réflexion sur leurs besoins et… leur budget. J’y tiens, on veut coller aux réalités. Et, non, cela ne coûte pas plus cher de faire appel à un designer, pas plus que de travailler avec un constructeur lambda. Par ailleurs, le design est trop souvent associé à des concepts. À mon sens, plus on fait de concepts plus on s’éloigne du sujet, des problématiques de l’entreprise.

La démarche empathique vise à créer des aménagements durables, qui s’éloignent des modes, créées par les industriels de l’aménagement tertiaire pour pousser à la consommation. Ce qu’elle a d’exceptionnelle… c’est qu’en définitive, elle n’a rien d’exceptionnel !

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