Alpes-Maritimes
Thales Alenia Space : « Il faut garantir le respect de la propriété intellectuelle des PME et start-up »
Interview Alpes-Maritimes # Spatial # Innovation

Pierre Lipsky directeur de l’établissement de Cannes de Thales Alenia Space Thales Alenia Space : « Il faut garantir le respect de la propriété intellectuelle des PME et start-up »

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Pierre Lipsky a occupé différentes responsabilités opérationnelles puis managériales au sein du site cannois de Thales Alenia Space (2 200 salariés) avant d’en prendre la direction en août 2016. Il revient sur la manière dont le constructeur européen de satellites, qui fêtera les 100 ans de son implantation cannoise en 2019, a su prendre le virage du numérique et de la modernité.

Pierre Lipsky est le directeur de l’établissement de Cannes de Thales Alenia Space. Le groupe emploie 7980 personnes dans 9 pays — Photo : Emmanuel Briot

Le Journal des Entreprises : Comment se comporte l'activité de conception et construction de satellite sur le site cannois de Thales Alenia Space ?

Pierre Lipsky : Thales Alenia Space a battu le record de chiffre d’affaires de la société en 2017 avec 2,6 milliards d’euros et nous avons prouvé que nous sommes bien le leader mondial en matière de constellations de télécommunication. Nous avons notamment livré 55 des 66 satellites de la constellation Iridium Next, les derniers satellites devant être livrés en 2018. Cette constellation fournira une couverture mondiale en passant uniquement par des satellites. C’est une solution de téléphonie très sécurisée, qui fonctionne sans opérateur au sol. Nous produisons par ailleurs, pour SES (opérateur privé de satellites de télécommunication basé à Luxembourg, ndlr), la 3e version de la nouvelle génération de satellites Spacebus Neo, fonctionnant avec un module de propulsion 100 % électrique. Il s’agit de permettre à SES de fournir des datas pour les lignes aériennes.

L’espace est investi par le secteur privé, ce que l’on appelle le New Space. Comment Thales Alenia Space se positionne-t-elle ?

P. L. : Nous pouvons racheter des entreprises ou créer des partenariats. Nous sommes, par exemple, en train de créer une société commune avec l'américain Spaceflight Industrie, basé à Seattle, pour avoir la capacité de fabriquer à grande échelle des petits satellites à haute performance, avec un fort taux de revisite, pour observer la Terre quasiment en temps réel. L’idée est d’aller vers une plateforme d’images et de services capable de répondre aux attentes des clients.

Et avec les entreprises locales ?

P. L. : Nous avons noué un partenariat avec Avantis (société d’ingénierie mécanique basée à Grasse, ndlr) et Soditech (société spécialisée dans l’intégration de sous-ensembles basée à Cannes, ndlr), dans le cadre du programme océanographique Swot, avec l’aide du Programme Investissement Avenir. Ils ont conçu et fabriqué la nouvelle plateforme et nous nous chargeons de l’intégration finale. C’est une nouvelle façon de travailler.

« Aujourd’hui, nous acceptons de ne pas avoir la maîtrise complète d'un projet. »

Avant, nous ne donnions en sous-traitance que des petites parties d’un projet. Aujourd’hui, nous acceptons de ne pas avoir la maîtrise complète et nous faisons monter nos sous-traitants en compétences. Nous évoluons d’une relation de fournisseur vers une relation de partenaire.

Pourquoi ce changement ?

P. L. : C’est un axe stratégique demandé par Thales, notre actionnaire, et c’est une volonté personnelle. Nous recherchons de la compétitivité, des nouvelles solutions et nous estimons aujourd’hui qu’il vaut mieux collaborer que garder les informations. Il est inscrit dans nos axes stratégiques qu’il faut partager plutôt que protéger. C’est ce que nous faisons en ouvrant, depuis 2 ans, les portes de Thales Alenia Space à des PME, pour partager nos informations et donner de la visibilité à nos activités.

Cela s’inscrit aussi dans un processus d’open innovation, lancé il y a 5 ans au sein de Thales Alenia Space, avec la création d’un cluster innovation. L’objectif était de valoriser les idées des salariés et de mettre en place un mécanisme leur permettant de les réaliser. Il y a un an et demi, ce processus a été ouvert à des PME et des start-up pour dynamiser l’innovation dans le spatial. Cela nous pousse à aller plus vite.

Comment travaillez-vous concrètement en open innovation avec les start-up et les PME ?

P. L. : L’un des axes de travail prioritaire est de voir comment garantir le respect de la propriété intellectuelle des PME ou des start-up. Il faut qu’elles soient protégées, afin qu’elles puissent mettre leurs innovations sur la table pour trouver leur marché. Nous devons les rassurer dans la relation avec un grand groupe.

« Il est inscrit dans nos axes stratégiques qu’il faut partager plutôt que protéger. »

Lors d’une session d’open innovation organisée avec le pôle Safe (cluster dédié à l’aéronautique basé à Aix-en-Provence, ndlr), à propos du test des satellites, nous avons réalisé que Safran Aircraft Engines avait certains besoins identiques aux nôtres pour ses moteurs d’avion. Nous avons donc présenté notre projet commun à 20 start-up et PME de la région pour voir ce qu’elles pouvaient apporter et nous attendons un premier retour d’expérience pour septembre.

Enfin, nous commençons à travailler en mode agile, en lieu et place de longues discussions préalables à la signature d’un contrat. Nous sommes aidés en cela par Thales et sa Digital Factory, qui nous pousse à intégrer les nouveaux business models liés au numérique.

Les grands groupes ont-ils donc davantage intérêt à externaliser les compétences-clés de l’innovation ?

P. L. : Il faut avoir les compétences en interne pour pouvoir développer une innovation une fois qu’elle est validée. Il est nécessaire de gérer la transition. Mais il faut aussi être capable de partager avec les autres entreprises. L’open innovation rend la frontière de l’entreprise avec le monde extérieur plus perméable.

Livré fin mars par Thales Alenia Space, le premier satellite de télécommunications et de diffusion du Bangladesh, Bangabandhu, a décollé avec succès de la base Cap Canaveral le 11 mai dernier — Photo : @Thales Alenia Space_Imag[IN]

Quel impact l’open innovation a-t-elle en interne ?

P. L. : On ne va pas devenir une start-up, mais nous voulons faire en sorte que cet état d’esprit se mette en place. Cela s’accompagne de nouveaux modes de management.

L’équipe en charge de développer les générateurs solaires a grossi et a ainsi choisi un fonctionnement horizontal avec des responsabilités par cercles de salariés, plutôt que la traditionnelle organisation verticale. Ce changement dans le mode de fonctionnement passe aussi par des investissements dans les locaux. La nouvelle génération de satellites porte les plus gros investissements industriels, mais nous faisons aussi évoluer les espaces de travail pour permettre ces collaborations.

Comment se profile 2018 ?

P. L. : Le succès de notre nouvelle génération de satellite Spacebus Neo se confirme et montre que nous avons fait le bon choix il y a 5 ans, en décidant de passer des solutions analogiques aux solutions numériques. Nous avons pris un vrai risque avec un gap technologique programmant la disparition de certains produits et des clients industriels qui ne voulaient que des produits présents depuis 10 ans dans l’espace. Avec un processeur numérique, les satellites sont reconfigurables, adaptables, ils répondent aux besoins actuels et pourront gérer le futur. Aujourd’hui, c’est grâce à ce choix que nous faisons la différence.

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