Municipales 2020 : le monde économique de la Région Sud fait entendre sa voix
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Municipales 2020 : le monde économique de la Région Sud fait entendre sa voix

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Le premier tour des élections municipales de 2020 aura lieu dimanche 15 mars, suivi d’un second tour le 22 mars. Plus de 36 000 maires joueront leur place durant ces deux journées. Le monde économique régional a largement choisi de se mobiliser pour ces élections. Elles vont être l’occasion de redistribuer les cartes des métropoles qui disposent de la compétence économique.

— Photo : D.Gz.

Hommes politiques et chefs d’entreprise. Deux mondes. Deux conceptions que tout semble opposer. Pourtant, depuis quelques années, d’élection en élection, législatives, municipales, présidentielle, le monde économique s’implique de plus en plus dans les scrutins, las de subir le désintérêt, voire l’incompréhension des élus pour le fait économique. Trop souvent le décalage entre le temps de l’entreprise et celui du monde politique engendre des difficultés et des incompréhensions parfois insurmontables pour les premières, toujours en quête de réactivité.

«  L’inscription dans le temps des choix stratégiques diffère entre l’entreprise et la collectivité. Le maire est soumis à des élections régulières, il ne peut s’inscrire dans la même durée qu’un chef d’entreprise  », confie Christophe Tukov, enseignant et référent communication au Tribunal administratif de Nice. «  Aujourd’hui, l’environnement bouge tout le temps. Il faut une bonne adéquation entre politiques et chefs d’entreprise, sachant que le temps de la collectivité n’est pas le temps de l’entreprise  !  », précise de son côté Jean-Pierre Savarino, président de la CCI Nice Côte d’Azur. En 2014 déjà, Jean-Luc Chauvin, alors président de l’UPE 13, lassé des dernières réformes gouvernementales et de la taxation excessive dont faisaient l’objet les entreprises, rappelait lors du Forum des entrepreneurs  : «  Les chefs d’entreprise ont aujourd’hui le devoir de s’engager en politique  ». Il ajoute aujourd’hui  : «  Il n’est pas possible de tout le temps protester, se plaindre et de ne pas s’engager. Il faut que les chefs d’entreprise participent aussi au jeu politique afin de pouvoir faire bouger les lignes. Mais si on s’engage, on doit le faire sur un projet fort et pour l’intérêt général…  »

Les entreprises créent la richesse d’un territoire

Pour Philippe Korcia, président de l’UPE 13 par intérim (Johan Bencivenga, élu depuis 2015, ayant démissionné en octobre de son poste de président afin de prendre «  une autre forme d’engagement pour le bien des entreprises, et plus largement pour celui de Marseille et du territoire  »), la lassitude engendre en effet l’engagement dans le débat. «  Pendant des années et des années, nous avons été force de propositions, nous avons expliqué les souhaits des entreprises au monde politique. On nous a toujours répondu que nous étions entendus, mais, au final, rien n’a été fait. Aujourd’hui, nous avons décidé de franchir un pas de plus en mettant en place un Pacte pour les entreprises. Si par notre action, nous ne pouvons pas faire gagner un candidat, nous pouvons en revanche faire perdre…  », avertit-il.

À Nice, Jean-Pierre Savarino a une position moins tranchée  : «  Le maire d’une commune a un rôle important à l’échelle de l’entreprise. Sur le logement, sur la mobilité, sur la capacité à créer de nouvelles zones d’activités… Bien sûr, cela se fait dans le cadre des lois, sur la politique fiscale par exemple, mais sur la vie au quotidien, les collectivités en sont les principaux acteurs. Sur le territoire, nous avons un dialogue positif avec les élus et les collectivités. Nous sommes souvent interrogés sur les grandes orientations en matière d’urbanisme commercial, sur le PLU… Nous en sommes satisfaits, mais il faut entretenir cette démarche. C’est pour cette raison que nous nous permettons d’intervenir dans le débat. Nous ne tendons pas de piège, nous apportons une aide, dans l’intérêt des entreprises. Car, au final, ce sera aux électeurs de juger  ». Il est vrai que dans les Bouches-du-Rhône, notamment à Aix-en-Provence et Marseille où Jean-Claude Gaudin ne se représente pas, le scrutin n’a jamais été aussi incertain et les entreprises sont aussi des électeurs. Patrons, dirigeants, salariés. «  Nous sommes à un tournant… Les entreprises créent la richesse d’un territoire, elles sont en droit de demander aux futurs élus ce qu’ils comptent en faire. Nous payons, par exemple, aujourd’hui 300  M€ de taxe transport, contre 130  M€ en 2008. Pourtant le nombre de tramways ou de bus n’a pas été multiplié par trois et le transport reste un sujet crucial pour notre département…  », confie Jean-Luc Chauvin.

Plateformes en ligne et propositions

Les syndicats patronaux et les structures consulaires proposent ainsi des plateformes, des chartes, avec des propositions concrètes à l’attention des candidats. Les tout premiers à s’être exprimés, la CCI Nice Côte d’Azur et l’UPE 06 ont ainsi lancé en octobre dernier le Pacte Éco 2020, invitant les candidats aux élections municipales à mettre l’économie au cœur des débats. Via une plateforme digitale, ceux-ci peuvent s’engager sur 37 propositions rassemblées autour de six thématiques majeures  : du commerce aux zones d’activité, des transports au logement, de la formation à l’emploi via le tourisme durable ou le marketing territorial. Une démarche similaire avait déjà été menée lors des scrutins précédents, en 2008 et 2014. Aujourd’hui toutefois, la digitalisation de l’outil permettra à chacun de pouvoir savoir, en temps réel, qui sont les candidats signataires et quelles sont leurs réponses. À l’issue des élections, la CCI et l’UPE enverront les résultats aux entreprises. À elles ensuite de suivre, ou non, la tenue de ces engagements.

Démarche similaire dans les Bouches-du-Rhône pour l’UPE 13, qui propose un Pacte Eco 13 dont les propositions sont consultables en ligne. Aux candidats de signer ou non les mesures auxquelles ils adhèrent. «  Au-delà de cette contribution, nous allons challenger les candidats. Nous sommes un syndicat. En tant que tel, nous allons revendiquer pour les entreprises et mettre les candidats face à leurs responsabilités en médiatisant leurs réponses et en organisant des débats avec les chefs d’entreprise  », explique Philippe Korcia. Le 5  mars sera ainsi notamment mis en place un grand débat avec les futurs prétendants à la présidence de la métropole. «  Nous allons essayer de mettre du sang économique dans les veines des candidats. Sans les entreprises, rien n’est possible. Dans les Bouches-du-Rhône, elles représentent près de 15  milliards d’euros de contribution Urssaf. Il faut aider les entreprises et pour cela avoir des actions efficaces en termes de transport, de mobilité, de logements… Notre future métropole doit avoir un modèle économique. Les hommes politiques ne peuvent plus être «  hors sol  », explique le président de l’UPE13. De son côté, la CPME 13 a choisi d’aller encore plus loin au travers de la structure Énergie PME, créée en 2016, pour «  rassembler et faire entendre la voix des petits patrons auprès des instances politiques, puisque ce n’est pas le rôle de la CPME13  », comme le souligne Humberto Miranda, vice-président de la CPME13, chargé du développement. Le président de la CPME 13 étant aujourd’hui «  en retrait de ses fonctions de président  » puisqu’il a choisi de soutenir la candidature de Martine Vassal à la mairie de Marseille. Énergie PME a ainsi présenté un livre bleu structuré en cinq piliers lors du salon Entrepreneurs 13. «  Le programme des candidats doit comprendre au moins 50  % de nos propositions, prises dans ces cinq piliers  », souligne Humberto Miranda.

Et nulle question d’en rester au stade du vœu pieux. La solution pour s’en assurer, musclée s’il en est, marque là encore la rupture avec ce qui a pu se faire autrefois. «  Une trentaine de nos membres, ne faisant pas partie de l’exécutif, se sont portés candidats et nous avons demandé aux politiques de les intégrer sur leurs listes. Ils seront garants du bon respect de ce livre bleu.  » Leur retour permettra de leur décerner ou pas un label du nom de PME compatible. Alors, mise sous tutelle des politiques  ? Que nenni, répond Humberto Miranda. «  C’est la construction d’un partenariat qui, jusqu’ici, n’a jamais vraiment existé. Il ne s’agit pas de diktat, mais quand vous êtes chef d’entreprise, vous avez un comité de direction, et c’est votre équipe qui vous permet de mener à bien votre projet. Nous, on vient nourrir cette vision, éduquer le politique.  »

Évaluer l’action publique  ?


Du côté de la CCI Marseille-Provence, la démarche, qui s’affirme apolitique, a joué la carte du jeu collectif cher à Jean-Luc Chauvin. «  Nous avons commencé à travailler sur «  Tous acteurs, Municipales 2020  », à l’été 2019. Nous avons proposé à un large éventail de partenaires économiques et sociaux de se rassembler et de réfléchir ensemble  », explique-t-il. 200 chefs d’entreprise, animateurs de réseaux économiques, étudiants, apprentis, la Chambre des métiers, le CJD, les différentes zones d’activités du département, 32 experts du territoire et 55 acteurs du monde économique ont ainsi rejoint la démarche.

De cette mobilisation a émergé une vision du territoire et des centaines d’idées, simplifiées à cinq défis, déclinés en 15 projets. «  Ce sont des propositions concrètes aux candidats, qui concernent les 92 communes de notre département. Il n’y a pas que Marseille ou Aix-en-Provence, nous nous adressons à toutes les communes, quelle que soit leur taille. En outre, notre travail est ouvert et contributif, via la mise en ligne d’une plateforme numérique. Nous avons présenté nos projets aux candidats à la mi-décembre et nous travaillons à la réalisation de fiches techniques sur certains des thèmes. Car notre démarche ne s’achèvera pas aux élections, nous voulons pouvoir accompagner les politiques au-delà  ». La gestion du foncier, la mobilité, l’environnement, le numérique, l’Afrique… autant de sujets évoqués par Tous acteurs.

«  Les idées peuvent parfois paraître folles, mais notre territoire ne doit pas se contenter de rattraper son retard, nous devons aujourd’hui parvenir à prendre un coup d’avance. Nous proposons ainsi la co-gestion public/privé pour les projets clés du territoire. Les élus doivent associer toutes les composantes de la société à la mise en place de projets  : le monde économique, les citoyens, le monde académique…  ». «  Tous acteurs  » propose, enfin, d’aller jusqu’à mettre en place une sorte de «  TripAdvisor  » de l’action publique. «  Dans nos entreprises, nous sommes en permanence évalués sur nos résultats, pourquoi cela ne serait-il pas le cas en politique  ? Cela se fait déjà, notamment dans des pays d’Europe du Nord. Un cabinet indépendant pourrait réaliser les évaluations. Avoir de véritables objectifs et les évaluer pourrait contribuer à accélérer les choses. À deux mois des élections, on se contente trop souvent de savoir qui est candidat et qui rallie qui, plutôt que de parler des projets. Il faut sortir des querelles individuelles et penser à l’intérêt général…  », conclut le président de la CCI Marseille-Provence.

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