Le Havre
Le Havre met le cap sur les croisières
Enquête Le Havre # Maritime # Attractivité

Le Havre met le cap sur les croisières

S'abonner

Le Havre engage un grand projet d’aménagement pour porter le développement des croisières sur son territoire. Avec une enveloppe de près de 100 millions d’euros au total, et la construction d’un nouveau terminal croisière, la Ville veut être en mesure de doubler le nombre de passagers en transit dans le port normand d’ici 2030.

En 2018, l'accueil de navires de croisière au Havre a généré plus de 35 millions d'euros de retombées économiques — Photo : Copyright JACQUES BASILE - Copyright JACQUES BASILE

Passer d’une capacité d’accueil de 400 000 passagers en 2018, aux 600 000 passagers en transit attendus dans le port du Havre d’ici 2030 (soit +45 % selon les projections réalisées à partir du trafic européen des croisières et la croissance du marché des croisières), c’est le défi du grand projet d’aménagement de nouveau terminal de croisière porté par le groupement d’intérêt public (GIP) Le Havre Croisières. Instance unique de gouvernance et de gestion de l’activité de croisière, créée par Le Havre Seine Métropole et Haropa Port, Le Havre Croisière doit assurer la construction et l’exploitation de la nouvelle installation qui sera située sur la pointe de Floride (pôle croisières du Havre) et se composera de trois terminaux de croisière.

L’enjeu économique de ce développement havrais des croisières est au cœur du projet : "Pour accueillir plus de croisiéristes, et donc créer plus d’emplois et de richesses sur notre territoire, nous portons un ambitieux projet de développement du port de croisière de demain", souligne Édouard Philippe, président Le Havre Seine Métropole et président du GIP Le Havre Croisières.

"Notre croissance sur le marché mondial de la croisière en plein essor est chargée de promesses. Année après année, Haropa Port confirme sa place dans la cour des grands ports de croisière maritime. Un succès fondé notamment sur notre capacité à accueillir 24 h /24 tout type de paquebot, jusqu’aux plus majestueux d’entre eux", s’enthousiasme Florian Weyer, directeur général délégué Haropa Port. Et en effet, en vingt ans, Le Havre a multiplié par dix le nombre de passagers : en 2000, le port accueillait 43 bateaux et 39 000 passagers, alors qu’en 2018 il enregistrait 145 escales et 420 000 passagers. Une croissance forte qui doit permettre au Havre de devenir un acteur de premier plan du secteur des croisières pour Hervé Morin, président de la Région Normande : "L’objectif est de hisser le port du Havre, second port de croisière français après Marseille, au niveau des plus grands ports européens du secteur".

Un projet de près de 100 millions d’euros

Pour financer le projet, 99 millions d’euros vont être investis. Haropa Port prend en charge la modernisation et l’électrification de l’infrastructure portuaire à hauteur de 40 millions d’euros, dont 20 millions apportés par l’État et 1 million par la Région Normandie. De son côté, le GIP Le Havre Croisières va financer l’aménagement de la pointe de Floride et la construction des trois nouveaux terminaux "plus grands et plus confortables", sur une surface utile de 15 000 m², pour un montant de 59 millions d’euros, dont 15 millions d’euros apportés par Le Havre Seine Métropole et 15 millions par la Région Normandie. Le projet porte notamment sur la création des terminaux 2 et 3 sur la partie sud, via une réhabilitation et une extension des hangars 12 et 13 existants pour y accueillir les fonctions d’accueil, d’enregistrement, de contrôle, de services et de préparation à l’embarquement des passagers, ainsi que des fonctions techniques et administratives (ouverture prévue début 2025). Enfin, le terminal 1 sera installé sur la partie nord. Pour cela, les hangars 1, 2 et 3 existants seront démolis pour créer un nouveau bâtiment accueillant les mêmes fonctions que les deux précédents. Le terminal 1 permettra l’accueil des navires jusqu’à 330 mètres de long et disposera d’une toiture accessible au public qui offrira un panorama sur l’entrée du port et le centre historique du Havre (ouverture prévue à l’automne 2025). La construction de ces nouveaux terminaux doit ainsi permettre au Havre d’être en capacité de recevoir des triples escales, soit une capacité totale de 13 500 passagers par jour.

Une notoriété qui se renforce

Une bonne nouvelle pour les professionnels du tourisme. En 2018, selon les données du GIP, l’accueil de navires de croisière au Havre a généré plus de 35 millions d’euros de retombées économiques pour la région (services, restauration, transport et excursions, produits de détails). En moyenne, 95 % des passagers en transit au Havre ont mis le pied à terre pour partir en excursion à la découverte de la Normandie, Paris ou Le Havre : "Pour des escales d’une journée, dans la grande majorité des cas, avec arrivée le matin et départ en soirée entre 20h et 21h. Les seules escales plus longues au Havre sont celles décidées par les croisiéristes en cas de difficulté météo, pour assurer le confort des passagers. Et c’est une journée de plus au maximum", explique Eric Baudet du Havre Étretat Normandie Tourisme.

Les croisiéristes sont courtisés par le service promotion du GIP Le Havre Croisières (directement auprès des armateurs) qui peut mettre en avant une destination singulière : "Pendant longtemps nous avons vendu la destination comme étant le port de Paris. À présent, la notoriété du Havre, avec son modèle de reconstruction unique d’après-guerre classé en 2005 à l’Unesco, est suffisante pour faire venir les touristes sur son nom uniquement", souligne Eric Baudet. Une destination qui s’impose dans la durée puisque des compagnies comme MSC ont mis en place des départs du Havre chaque semaine, avec des circuits vers l’Europe du Nord. De son côté, la Compagnie Française de Croisières (CFC) va proposer des croisières longues d’une douzaine de jours, à bord de son bateau Renaissance d’une capacité plus modeste de 1 100 passagers (650 cabines), au départ de Marseille (pour des croisières en Méditerranée) et du Havre à destination de l’Irlande et du nord de l’Europe. Avec l’ambition de renouer avec un service "à l’ancienne", dans l’esprit des croisières Transatlantique de la liaison Le Havre-New York, aussi appelée "French Line", exploitée au Havre au cours des années 1910-1930.

Connecter le terminal croisières avec la ville

Des aménagements sont toutefois nécessaires pour inciter les croisiéristes à mettre le pied dans le centre-ville. Située à l’interface du port et de la ville du Havre, à la proue de l’estuaire de la Seine et en vis-à-vis direct avec le front de mer sud du Havre, la pointe de Floride reste peu fréquentée par les Havrais. De plus, la difficulté d’accéder à pied au centre-ville, à la gare et aux principaux points d’attraction touristique du territoire depuis la pointe de Floride freine les croisiéristes dans leur envie de découvrir Le Havre. L’objectif du réaménagement du lieu, au cœur d’un espace de 9 hectares, est donc de reconnecter la pointe de Floride avec le cœur de ville pour inciter les croisiéristes à visiter Le Havre, mais aussi d’amener les Havrais à redécouvrir leur patrimoine maritime. "Un port où l’on sera heureux de se promener, que l’on vive au Havre depuis toujours ou que l’on vienne d’ailleurs", assure Édouard Philippe. Et pour donner envie aux croisiéristes, comme aux Havrais, de s’approprier ce nouveau lieu, les terre-pleins portuaires minéralisés seront aménagés sous la forme d’une vaste allée végétalisée qui se déploiera sur près de 320 mètres entre les futurs terminaux de croisière. Un projet de mise en lumière de l’espace paysager, après le crépuscule, est également au programme.

Le Havre à contre-courant ?

Le choix du Havre de développer l’activité croisières peut cependant apparaître à contre-courant des choix réalisés par d’autres grandes métropoles en la matière. À l’image de Marseille, La Rochelle, Venise, ou encore Barcelone, qui cherchent à réduire la voilure en nombre de bateaux de croisières cinglants dans les eaux de leurs ports, pour raisons environnementales. Ainsi, promus sous l’ère Jean-Claude Gaudin (maire LR de Marseille de 1995 à 2020) comme levier de développement économique pour la cité phocéenne, les bateaux de croisières se heurtent à présent à la position moins bienveillante de la municipalité PS qui ne mise plus autant sur le tourisme et s’inquiète de la pollution engendrée par ces mastodontes, certains élus réclamant même l’interdiction d’accoster des bateaux les plus polluants. À la Rochelle, on s’interroge aussi sur l’impact des croisières aux abords du port Atlantique, avec la mise en place d’un comité de pilotage, chargé de réfléchir "aux intérêts économiques et écologiques de la zone". Du côté de Venise, troisième port de croisière le plus pollué d’Europe, derrière Barcelone et Palma de Majorque, les paquebots amènent chaque année environ 1,5 million de visiteurs entre mai et octobre. Un afflux touristique par paquebots engendrant de grosses vagues qui fragilisent les fondations de la cité des Doges, ainsi que l’écosystème de la lagune. À tel point que le gouvernement italien a décidé que les plus gros bateaux de croisière ne pourront plus faire de halte dans le bassin bordant la mythique place Saint-Marc, ni remonter ensuite le canal de la Giudecca. Un trajet au cœur de Venise, jusqu’ici emprunté par tous les paquebots entrant dans la lagune. Face à ces réalités environnementales, les acteurs du GIP Le Havre Croisière se veulent rassurants : "Le port de croisière doit devenir une nouvelle fierté pour notre cité océane par sa fonctionnalité, sa beauté et son souci de limiter autant que possible l’impact environnemental des croisières", selon Édouard Philippe. Et si Le Havre veut accueillir plus de croisiéristes, ce n’est pas au détriment de l’environnement assure le président de la Métropole havraise : "Notre objectif est de réduire la pollution pour les Havrais, avec des escales sans fumée, des bâtiments passifs et des espaces rendus à la nature". Une ambition environnementale indispensable au projet selon Hervé Morin : "La Région Normandie soutient ce projet car il permettra notamment de répondre à la nécessaire transition écologique de ce secteur en prévoyant par exemple le raccordement électrique à quai des navires afin d’éviter les émissions polluantes pendant leur durée d’escale".

Efforts environnementaux

En effet, la sobriété énergétique et la neutralité carbone constituent des "objectifs prioritaires" du projet de nouveau terminal croisières. Ainsi, l’ensemble des quais dédiés à la croisière maritime sera électrifié avant fin 2025 pour permettre le raccordement des navires, et donc de couper leurs machines lors des escales. La puissance électrique délivrée sera de 10 MW par quai, permettant d’éviter 100 tonnes de CO2 et 2 tonnes d’autres émissions polluantes durant les 12 heures d’escale d’un navire. Selon les données du GIP, la connexion à terre permet de réduire de 95 % les émissions de substances acidifiantes (SOx et NOx) des paquebots de croisière sur leur phase d’exploitation à quai. De plus, les nouveaux bâtiments seront à énergie positive grâce notamment à l’apport d’une vaste toiture photovoltaïque, et les procédés de construction employés seront bas carbone. À cela s’ajoute un objectif de 10 % de transport de matériaux par voie fluviale intégré au projet pour diminuer le recours au transport routier. De quoi faire du Havre le port des croisières durables…

Le Havre # Maritime # Tourisme # Services # Attractivité # Infrastructures # Investissement