Le groupe de scieries Sagards Vosges change d'échelle après deux acquisitions
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Le groupe de scieries Sagards Vosges change d'échelle après deux acquisitions

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Fondé en 2018 par trois amis, le groupe Sagards Vosges vient de boucler le rachat de deux scieries lorraines de dimension industrielle représentant un chiffre d’affaires cumulé de près de 30 millions d’euros. Deux opérations exceptionnelles, menées avec conviction par l'ancien banquier Jean-Noël Thiriet, qui fait entrer son groupe dans le top dix des scieries françaises.

La scierie Decker Frères, aujourd’hui propriété du groupe Sagards Vosges, affiche une capacité de sciage de plus de 100 000 m3 de résineux par an — Photo : Jean-François Michel

Dans un univers où les scieries se transmettent discrètement de génération en génération, le groupe Sagards Vosges vient de faire une entrée fracassante. La société, basée à Provenchères-et-Colroy (Vosges), qui emploie 85 personnes, n’existait pas il y a quatre ans mais devrait boucler l’exercice 2022 sur un chiffre d’affaires compris en "35 et 40 millions d’euros", anticipe Jean-Noël Thiriet, son président. "Nous ne sommes pas très connus dans le monde de la scierie, parce qu’aucun des fondateurs n’en est issu", s’amuse le dirigeant. "Mais je sais que notre développement fait parler."

Un développement exponentiel, comparable à celui d’une start-up, grâce à deux opérations de croissance externes bouclées en mai et en juillet 2022 : les rachats de la scierie Decker Frères, à Bertrambois (Meurthe-et-Moselle), qui réalise environ 14 millions d’euros de chiffre d'affaires, et celui de la scierie du Rupt-de-Mad, opérant à Bayonville-sur-Mad et Chambley (Meurthe-et-Moselle), soit 15 millions d’euros de chiffre d’affaires. "Aujourd’hui, nous sommes en capacité de traiter annuellement 115 000 mètres cubes de résineux, à peu près 20 000 mètres cubes de chênes et environ 2 000 mètres cubes de feuillus divers", détaille le président du groupe Sagards Vosges. Des chiffres qui propulsent ce nouveau venu dans le monde du bois dans le "top 10 des plus grosses scieries françaises", estime Jean-Noël Thiriet. À titre de comparaison, dans le massif vosgien côté alsacien, les plus grosses unités de production sont capables de scier jusqu’à 350 000 mètres cubes de bois par an.

Une "coquille vide" pour commencer

L’aventure commence en 2017. Originaire de la Déodatie dans les Hautes Vosges, cadre dans une banque, déjà propriétaire de terrains en forêt, Jean-Noël Thiriet passe les trois semaines de ses vacances d’été à faire, dans la scierie Render, à Ban-de-Laveline (Vosges), un "woofing", cette forme de bénévolat consistant à échanger sa force de travail contre le gîte et le couvert. "J’ai trouvé une entreprise pas très bien équipée, pas hyper organisée, pas très normée, avec un référentiel clients et fournisseurs pas du tout à jour… Je me suis dit, c’est chouette, il faut que tu achètes ça", se souvient Jean-Noël Thiriet.

Là où le financier n’aurait vu que des difficultés, le futur dirigeant voit des opportunités. Celui qui est encore cadre bancaire évoque ce projet de rachat avec deux amis, qui vont devenir ses associés : Sylvain Flambard et Baptiste Menjoz. "Baptiste voulait racheter une petite scierie de feuillus et, moi, j’étais sur une scierie de résineux", détaille Jean-Noël Thiriet.

La holding Sagards Vosges est créée en 2018 avec 32 000 euros de capital. "Au départ c’était une coquille vide qui devait nous servir à acheter, dans les six mois voire un an, les deux cibles que nous avions identifiées", retrace le dirigeant. Pour les trois associés, la motivation première n’est pas pécuniaire : "Nous n’avions pas de schéma stratégique mais l’envie de travailler dans un secteur qui mérite d’être soutenu. Nous voulions conserver ce tissu industriel dans les vallées, essayer de maintenir les compétences. Et, si on n’était pas mauvais, moderniser pour donner un peu de visibilité à ces structures."

Le rachat de la scierie Moulin est bouclé en mai 2019. Basée à Domèvre-sur-Durbion (Vosges), la structure emploie alors un salarié et réalise 108 000 euros de chiffre d’affaires. Les trois associés injectent rapidement 220 000 euros pour moderniser les équipements, et soignent la prospection et les outils de gestion. En septembre 2019, Sagards Vosges prend le contrôle de la scierie Render, à Ban-de-Laveline (Vosges). Une TPE de 5 salariés (470 000 euros de chiffre d'affaires), dans laquelle le groupe va injecter 250 000 euros dans des travaux de modernisation. "Aujourd’hui, la scierie Moulin réalise 300 000 euros de chiffre d’affaires avec 4 salariés et la scierie Render pèse 780 000 euros et emploie 7 salariés", détaille Jean-Noël Thiriet. Fin 2020, les trois associés poursuivent leur série de rachats, toujours sur fonds propres, avec la scierie Bertaud, à Charmois-devant-Bruyères (Vosges). Le capital de la holding passe alors à 87 500 euros, et Baptiste Menjoz quitte son emploi pour devenir directeur général de cette scierie, qui réalise aujourd’hui 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires avec 10 salariés, contre 1 million d’euros et 7 salariés au moment du rachat.

Vers un outil industriel

En quelques mois, et malgré la crise liée à l’épidémie de Covid-19, les trois associés de Sagards Vosges font une démonstration : appliquer des méthodes de gestion moderne à de vieilles scieries en perte de vitesse peut leur faire retrouver le chemin de la croissance. "Ensuite, les choses se sont un peu emballées", concède Jean-Noël Thiriet, qui pilote fin 2021 un ensemble qui emploie 21 salariés pour 2,6 millions d’euros de chiffre d’affaires. "C’était satisfaisant parce que nous sommes partis de zéro. Mais compte tenu du développement que je percevais sur le marché de la construction bois, je voulais une scierie industrielle avec une autre méthode de transformation, pour faire un complément à nos rubans traditionnels, avec une scie Canter", résume le président de Sagards Vosges. Ce système de sciage, qui associe fraisage et sciage circulaire, permet notamment de scier du bois de petits et moyens diamètres pour les marchés de l’emballage comme de la charpente.

C’est dans un cabinet d’avocats parisien que Jean-Noël Thiriet va trouver sa nouvelle cible : la scierie Decker Frères, à Bertrambois (Meurthe-et-Moselle). En 23 ans, sous l’impulsion de Manuel Decker, la scierie est passée de l’artisanat à l’industrie et affiche une capacité totale de 100 000 mètres cubes de bois par an. En juillet 2021, Jean-Noël Thiriet se retrouve finaliste pour la racheter, mais un groupe industriel allemand surenchérit et l'affaire lui passe sous le nez. Secoué, c’est auprès d’Anne-Sophie Serre, directrice de participations à Bpifrance, que Jean-Noël Thiriet va trouver du réconfort : "Elle m’a expliqué qu’il fallait tirer les enseignements de cet échec. D’après elle, les idées étaient bonnes et mon profil managérial était validé."

De l’échec à l’opportunité

Deux jours après, Anne-Sophie Serre rappelle le président de Sagards Vosges avec une information : une scierie de feuillus de dimension industrielle est à vendre en Meurthe-et-Moselle. "C’était du feuillu, moi je cherchais plutôt du résineux", explique Jean-Noël Thiriet, qui hésite 48 heures. Le temps de repositionner la stratégie de son groupe et d’imaginer les synergies entre un gros pôle feuillu et des petites unités vosgiennes concentrées sur le résineux, le dirigeant comprend qu’il s’agit de la scierie du Rupt-de-Mad, en Meurthe-et-Moselle. "Une bonne partie du chiffre d’affaires à l’export, de beaux clients, des parqueteurs français et européens et un chiffre d’affaires compris entre 14 et 15 millions d’euros", détaille Jean-Noël Thiriet, qui a déjà travaillé en sous-traitant pour le dirigeant, Bertrand Pierrel. Dès leur première rencontre, les deux patrons tombent d’accord sur à peu près tout et signent une lettre d’intention.

En septembre, Jean-Noël Thiriet apprend que le rachat de la scierie Decker par le groupe allemand ne s’est pas fait. L'entrepreneur hésite mais son avocat lui conseille de rester concentré sur le rachat de la scierie du Rupt-de-Mad. Le risque est déjà important, Sagards Vosges est encore une toute petite structure. "Mais l’idée avait germé. Le groupe bicéphale, entre feuillu et résineux, je pouvais le faire, mais en étant de taille significative de chaque côté", détaille Jean-Noël Thiriet. Au final, le dirigeant a rassemblé "plus de 30 millions d’euros" pour boucler ses deux croissances externes et a fait rentrer au capital de son groupe, de façon minoritaire, deux investisseurs financiers : le fonds régional ILP et BNP Paribas Développement.

Nouveaux investissements

Conscient de travailler dans un contexte très perturbé, l’entrepreneur sait que ses marges vont être rognées par la hausse des prix de l’énergie. Mais il veut "penser sur le long terme" et veut commencer par "développer les synergies entre (ses) clients et pour (ses) clients". Concrètement, là où chacune des sept scieries, seule, ne pouvait pas répondre aux demandes, Jean-Noël Thiriet veut utiliser à plein les nouvelles capacités ouvertes par "la communauté des scieries Sagards Vosges". Autre relais de croissance : la capacité à traiter tout type de bois. "Pour un groupe comme le nôtre, les difficultés d’approvisionnement sont moins significatives", estime Jean-Noël Thiriet, qui compte se positionner sur tout type de lots de bois : résineux, feuillus, petits ou gros diamètres.

Le dirigeant, qui considère que la concurrence ne vient pas de ses confrères du massif vosgien mais des grandes unités industrielles de l’Est de l’Europe capables de scier des millions de mètres cubes à l’année, compte actuellement dix postes ouverts, pour lesquels le recrutement se révèle délicat.

Le président de Sagards Vosges, qui prévoit d’investir entre 1,5 et 2 millions d’euros dans ses deux scieries industrielles, anticipe une baisse du prix d’achat du bois de forêt. "Avec la hausse des prix de l’énergie, des transports, et les demandes de baisse de prix qui viennent de mes clients, je ne vais pas pouvoir continuer d’acheter de la matière première à ce niveau-là", craint Jean-Noël Thiriet. Si l'entrepreneur "laissera passer deux bilans" avant de réaliser de nouvelles croissances externes, il laisse tout de même entendre "qu’il a encore un peu d’appétit".

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