Ces entreprises vendéennes et de Loire-Atlantique dans l’antre du festival Hellfest
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Ces entreprises vendéennes et de Loire-Atlantique dans l’antre du festival Hellfest

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Gros son et gros sous : le Hellfest s’étend exceptionnellement sur deux week-ends en juin à Clisson (Loire-Atlantique). La grand-messe du metal, premier festival français de musiques actuelles, draine des millions d’euros de budget, emportant dans son sillage des entreprises de Loire-Atlantique et de Vendée. Qu’elles soient mécènes ou prestataires de cet événement au rayonnement mondial, elles forment un écosystème où business et créativité jouent la même partition.

Le Hellfest programme fin juin deux week-ends de festival. Une première, en faisant le festival numéro un français de musiques actuelles. 250 entreprises en sont les mécènes — Photo : Hellfest Production

Clisson tremblera comme jamais. Après deux années cinglées par des annulations liées à la pandémie mondiale de Covid, le Hellfest revient dans le vignoble nantais pour deux week-ends : du 17 au 19 juin puis du 23 au 26 juin. Autour et dans de ce qui sera le plus imposant festival de musiques actuelles de France et l’un des cinq plus grands d’Europe, un écosystème s’est créé dont des acteurs économiques de Loire-Atlantique et Vendée ont noué une relation gagnant-gagnant avec l’organisation. Car pour forger cet événement annuel qui dépasse les frontières nationales, des liens se sont tissés au fil des éditions, formant une chaîne autour de la musique metal et de sa culture, où la frontière entre les affaires et l’amitié est souvent effacée.

Avec la double dimension de l’édition 2022, ce sont davantage de retombées qui se profilent. L’association organisatrice composée de 20 salariés épaulés par 4 000 bénévoles, a dressé une programmation réunissant 350 groupes dont Metallica, Guns N’Roses ou Gojira. Alors qu’habituellement 180 000 festivaliers viennent communier autour de leur dieu metal sur les trois jours que dure la grande messe, 420 000 sont attendus en 2022, représentant plus de 70 nationalités.

420 000 festivaliers sont attendus. Une étude estime que chacun dépense moyenne 400 euros sur place — Photo : Hellfest Production

Le budget est à la hauteur de l’événement. S’établissant à 26 millions d’euros 2019, il franchira la barre des 40 millions cette année. À titre de comparaison, celui des Vieilles Charrues à Carhaix en Bretagne, jusqu’à présent premier festival français de musiques actuelles, était de 17 millions d’euros en 2019. Si le chiffre d’affaires 2022 n’est pas encore établi car dépendant notamment des ventes sur place (restauration, boisson, merchandising…), il se fixait à 28 millions d’euros voici trois ans. Enfin, les retombées économiques pour la région sont estimées à 25 millions d’euros dont 9 millions à Clisson et ses alentours. Tout ce ruissellement bénéficie aux entreprises de Loire-Atlantique et de la Vendée toute proche.

"Travailler avec des entreprises locales, c’est plus pratique et plus sympa, de véritables liens se sont créés, pas uniquement financiers"

"Le festival est un projet de territoire que nous voulons faire vivre avec des entrepreneurs que nous croisons tous les jours", résume Eric Perrin, chargé de communication du Hellfest. "Travailler avec des entreprises locales, c’est plus pratique et plus sympa, de véritables liens se sont créés, pas uniquement financiers", abonde le cofondateur Yoann Le Nevé.

C’est le cas d’Isocom, entreprise nantaise experte dans la fabrication des objets promotionnels avec une spécialité, le badge. À l’origine de cette PME de 17 collaborateurs (plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires en 2021), deux fans de metal, Matthieu Alliot et Antoine Heude, anciens bénévoles sur le festival. Isocom conçoit des tétines de bébés, des tongs dont la semelle imprègne dans le sable un H majuscule, des montres, des kits barbecue, des décapsuleurs, etc., le tout estampillé Hellfest et vendu durant le festival ou en ligne. "Le metalleux est assez fétichiste, remarque Matthieu Alliot, il aime avoir l’objet, le t-shirt de l’édition". Certes, les Hellfest n’est pas pour Isocom son plus important marché, puisqu’il ne représente que 2 à 3 % du chiffre d’affaires. "Mais c’est en quelque sorte un client plaisir qui nous permet de réaliser des objets qui sortent de l’ordinaire".

Antoine Heude et Matthieu Alliot, les deux fondateurs d’Isocom, spécialiste du merchandising, sont deux anciens bénévoles du Hellfest — Photo : Romain Kersulec, Trendz Photography

Pour Valentin Beauvineau à la tête du nantais Clack, le Hellfest n’est pas non plus son client "le plus rémunérateur". Qu’à cela ne tienne : sa société de production audiovisuelle, d’images et stratégie en communication (300 000 euros de CA en 2021, un noyau dur de 5 collaborateurs) collabore avec le festival depuis 2016. "En termes de créativité, de production, il y a énormément de choses innovantes à faire", se félicite-t-il. Clack réalise des tournages vidéo, des shootings photos qui sont autant de moyens de communication. Un exemple parmi d’autres : le tournage l’an passé d’une émission de 40 minutes sur le site à Clisson avec en vedette le cuisinier Philippe Etchebest, fan de musique.

Clisson étant proche de la Vendée, des entreprises de ce département sont elles aussi plongées dans le chaudron Hellfest. L’expert de la publicité peinte et adhésive et de la signalétique qu’est PLP basé à Montaigu (48 salariés, 3 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021) est de celles-ci. Pour cette PME, le Hellfest incarne un client d’une tout autre envergure. "C’est le chantier de l’année représentant 15 % de notre activité", résume Émilien Mocquet, dirigeant-fondateur. Son entreprise œuvre à la signalétique du site, réalise des décors, quelques sculptures, l’habillage de stands… "Cela fait une petite dizaine d’années que ça dure, poursuit-il. Au fil du temps, un climat de confiance s’est créé. C’est une fierté de travailler pour eux, c’est stimulant pour toute l’équipe de PLP. On ne multipliera pas par deux notre activité en 2022, mais c’est un plaisir de se retrouver. On revit après les années Covid, et pas uniquement financièrement."

Cette fourchette-déco est signée de l’entreprise de Montaigu PLP — Photo : David Gallard

Sécurité, vin et bière

Participer au Hellfest demande aux entreprises prestataires de faire preuve d’agilité sur une courte période. Budo Sécurité à Machecoul (1,2 M€ de CA) grossit ainsi d’une trentaine de salariés habituellement à 120 gros bras pour veiller sur le festival, dans et en dehors du site (camping, voirie…). "Avec cette double édition, nous allons monter jusqu’à 140 collaborateurs. Et nous vivrons sur place quasiment trois semaines, avant, pendant et après le festival", précise le directeur Yann Christodoulou. Budo Sécurité renforce ses moyens pour un événement qui représente autour de 10 % de son activité annuelle. "Pendant les deux ans où il a été annulé, ça n’a pas été simple, mais nous avons survécu en nous redéployant sur d’autres clients", souligne Yann Christodoulou.

Avec les producteurs locaux de muscadet, là encore la relation d’affaires est particulière car faite de proximité. "Quand Ben Barbaud (NDLR, cofondateur du Hellfest) a souhaité monter un festival en 2006, il nous a demandé des terrains puisqu’il n’avait pas de sous pour les louer, se souvient Frédéric Loiret, président de l’association des vignerons de Clisson-Gétigné. Nous lui avions alors demandé en contrepartie de la visibilité pour nos vins sur le site". Accord conclu : un bar à vin, devenu le Kingdom Of Muscadet, a été créé.

Six vignerons de Clisson-Gétigné écoulent 18 000 litres de muscadet, au verre, lors de chaque édition. En 2022, ce sera le double. En sus, chacun commercialise sa bouteille cuvée Hellfest. "Les festivaliers sont assez fétichistes, nous tablons sur 4 000 vendues", pronostique Frédéric Loiret.

Le château de Clisson recouvert d’une énorme bâche annonçant le Hellfest, une des réalisations de PLP — Photo : PLP

Reste que pour ces producteurs, ce n’est pas le volume qui compte. "Si l’on calcule, cela fait 30 hectolitres écoulés pour chacun. Ce n’est pas énorme, à titre personnel, je produis en moyenne 1 600 hectolitres par an, note Frédéric Loiret. Mais pour l’image, c’est très bon, notamment auprès des étrangers qui font connaissance avec le muscadet."

La bière de Mélusine, PME basée à Chanverrie en Vendée, n’est elle pas disponible sur le Hellfest, ce dernier ayant contractualisé avec Kronenbourg. Ce qui n’empêche pas la brasserie artisanale (une vingtaine de collaborateurs ; 4,5 M€ de CA) de vendre des bouteilles siglées Hellfest dans le commerce. "J’avais été sollicité il y a plus de 10 ans par les organisateurs et nous avions conçu deux séries pour eux, se remémore le dirigeant Laurent Boiteau. Ça s’était arrêté suite au contrat avec un gros brasseur. Puis, j’ai recroisé les deux cofondateurs, et l’on s’est dit que l’on pourrait refaire la bière Hellfest, sans en vendre sur le festival". Mélusine concocte alors la Hellfest IPA, commercialisée par la brasserie depuis 2016. Vendue partout en France, "elle fait partie du top 3 de nos références", parmi une quinzaine. Mélusine est l’illustration que musique et business font bon ménage, ayant toujours cultivé un côté "rock’n’roll" qui se reflète dans son packaging. À tel égard que la brasserie est un mécène fidèle du festival.

La brasserie Mélusine a conçu une bière au nom du Hellfest, une référence qui est dans le top trois de la PME — Photo : Melusine

Un club d’entreprises composé de 250 mécènes

Avec la prestation, le mécénat est du reste l’autre facette de cet écosystème qui associe entreprises et Hellfest dans un même continuum.

Le club d’entreprises des supporters du Hellfest fédère 250 d’entre elles, à plus de 80 % du territoire, que ce soit des PME, TPE, artisans et commerçants. "Tous leurs dirigeants ne sont pas des passionnés de metal, remarque Yoann Le Nevé, mais ils ont en commun la volonté de participer à un évènement qui rayonne sur le plan national et international." Le mécénat est une source de revenus "non négligeable", précise le cofondateur, se chiffrant à 1,9 million d’euros en 2019. "Cette année, nous souhaitons peut-être doubler ce montant", poursuit-il. La présidente de ce club, Nathalie Champain, restauratrice à Clisson, résume les trois aspects que peut revêtir le mécénat : en numéraire, en fourniture de compétences ou en prêt de matériel.

Isocom a conçu des tongs dont la semelle imprime sur le sable le H du Hellfest — Photo : Isocom

L’entreprise familiale de travaux publics Blanloeil basée à Clisson (140 salariés, 24 millions d’euros de chiffre d’affaires), est l’un de ces soutiens fidèles : "Les organisateurs, alors que le festival était tout petit, nous avaient contactés pour les accompagner sous forme de sponsoring et mécénat. Nous les suivons donc depuis la deuxième année (le premier Hellfest remonte à 2006, NDLR)", remarque le dirigeant Patrick Le Jallé. Blanloeil participe notamment à des travaux de réaménagement sur le site. Une partie de la prestation est facturée en tant que prestataire, une autre prend la forme du mécénat.

"Ce festival est un événement phare qui met en valeur notre territoire et permet le développement économique local, explique Patrick Le Jallé, et j’ai toujours pensé qu’une entreprise comme la nôtre se devait de l’accompagner." Outre l’opportunité pour Blanloeil, comme tout mécène, d’inviter des partenaires sur le festival, la PME communique sur son site internet au sujet des travaux liés au Hellfest. L’anathème porté par des milieux catholiques traditionnels lorsque le festival prenait de l’épaisseur, le qualifiant de "sataniste", a-t-il freiné les dirigeants dans leur volonté d’associer l’image du Hellfest à leur entreprise ? Le président de Blanloeil résume l’état d’esprit général : "Pas le moins du monde, bien au contraire, nous sommes fiers d’un tel événement."

Sébastien Proux est lui aussi convaincu que le festival valorise sa société et qu’être mécène est un pari gagnant-gagnant. Le traiteur qui emploie une dizaine de salariés dans sa boutique du centre de Clisson, féru de metal depuis sa prime jeunesse et aux anges de voir des groupes dont il est fan sur sa terre natale, estime "pleinement rentrer dans ses frais. La production me fait travailler tout au long de l’année quand elle organise des réceptions, fait-il observer. En parallèle, je ravitaille pendant le festival les bénévoles (NDLR, au nombre de 145), du Kingdom Of Muscadet, je prépare des amuse-bouches pour le cocktail de la terrasse de la zone VIP…"

Une association qui n’a cessé de prendre de l’épaisseur

"Ce n’est pas une activité courante de travailler avec un festival, cet aspect motive les équipes de nos mécènes", remarque Yoann Le Nevé, illustrant là encore l’une des caractéristiques de l’écosystème autour du Hellfest : l’esprit de communion. Les entreprises du club, au-delà d’être en affaire avec le festival pour certaines ou d’organiser des rencontres (avec leurs salariés, clients ou fournisseurs) dans l’espace Super VIP qui leur est dédié lors des concerts, se retrouvent autour d’événements organisés tout au long de l’année. Des moments conviviaux certes, "mais aussi pour faire du business entre elles de manière décomplexée", note Yoann Le Nevé. L’association édite du reste un annuaire interne qui ne s’échange… qu’entre membres.

De nombreux produits dérivés ont été créés autour du festival — Photo : Isocom

"Le club a été long à mettre en place, remarque Yoann Le Nevé, le festival étant au départ trop confidentiel, et les groupes n’avaient pas une énorme notoriété. J’avais réalisé un envoi de plaquettes à quasiment toutes les entreprises du secteur. Résultat, zéro retour. Après, peut être que mes demandes n’avaient pas passé le filtre de l’accueil…"

Alors qu’il se lance finalement avec une trentaine de membres en 2009, le club atteint sa vitesse de croisière avec 160 adhérents pour grimper à 250 en cette année de double édition. "Nous fonctionnons par fidélité, les dirigeants reviennent d’une année sur l’autre ou par cooptation", remarque Nathalie Champain. Le club, qui s’est fixé une jauge au regard du nombre de places disponibles sur l’espace Super VIP, fait désormais face à un problème de riche : il en est au stade de devoir refuser certaines demandes de dirigeants. Les voies de l’enfer si prometteuses sont donc, elles aussi, impénétrables. Du moins pour certaines entreprises.

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