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Dans les Hauts-de-France, le tourisme d'entreprise reprend des couleurs
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Dans les Hauts-de-France, le tourisme d'entreprise reprend des couleurs

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À la fois compliquées et aiguillonnées par le Covid, les visites d'entreprises deviennent un incontournable du catalogue des offices de tourisme. Et pour cause, la demande est de plus en plus grande, de la part d'un grand public curieux de découvrir les entreprises près de chez lui. Dans les Hauts-de-France, elles ne sont pour autant pas si nombreuses à l'accueillir à bras ouverts.

Les entreprises artisanales sont loin d’être les seules à attirer le public, désireux de découvrir des infrastructures lourdes, comme ici, à centrale nucléaire de Gravelines dans le Nord — Photo : EDF

Pour vivre heureux, vivons cachés, répètent à l’envi bon nombre d’entrepreneurs des Hauts-de-France. Et pourtant, certains n’hésitent pas à ouvrir leurs portes au grand public, et dévoiler les coulisses de leurs productions. Rebaptisé "tourisme de savoir-faire", le tourisme d’entreprise reprend des couleurs après les années Covid, qui lui ont donné une nouvelle dimension. Contraints à partir moins loin, voire à rester chez eux, les vacanciers ont en effet pris de nouvelles habitudes, et sont à la recherche de nouvelles activités, près de chez eux ou de leur lieu de villégiature. En parallèle, la période invite les consommateurs à interroger davantage la provenance et les conditions de fabrication de ce qu’ils achètent. Résultat, les quidams sont de plus en plus nombreux à souhaiter pousser la porte des entreprises privées, y compris des industries lourdes.

"Cet été, on se retrouve à l’atelier"

Une démarche encouragée par l’association Entreprise & Découverte, dont l’antenne Hauts-de-France a été créée en 2022. Depuis 2012, l’organisme encourage les entreprises à s’ouvrir au public, et les conseille en la matière. Depuis plusieurs années, il lance une campagne de communication estivale, avec pour slogan " cet été, on se retrouve à l’atelier ". L’association, qui insiste sur la dimension "humaine et culturelle" de ce tourisme, établit également un annuaire, permettant de repérer les entreprises accessibles. Si Entreprise & Découverte recense 2 000 entreprises en France, qui accueillent 15 millions de visiteurs par an, les Hauts-de-France font encore pâle figure dans le classement national.

"Les Hauts-de-France ont été très pionniers sur le sujet de la visite d’entreprise il y a une vingtaine d’années. La région est moins en pointe aujourd’hui comparée à d’autres, mais c’est notre rôle de relancer et d’animer ce mouvement. Il y a un très gros potentiel, vu le nombre de belles entreprises sur le territoire", décrit Valérie Lefranc, qui a pris la tête de la délégation Hauts-de-France de l’association. En 2020, année compliquée pour le tourisme, 147 entreprises régionales ont reçu 250 000 visiteurs. À titre de comparaison, en Paca la même année, 400 entreprises ont accueilli 3 millions de curieux. "Les visites sont pourtant un moyen de communication formidable pour les entreprises, qui créent un lien direct avec le public et donc, de potentiels clients. En termes de transparence, il y a un véritable enjeu dont il faut s’emparer, surtout après le Covid. Les entreprises ont un rôle à jouer pour montrer, très concrètement, comment elles travaillent et ce qu’elles produisent sur le territoire, et dans quelles conditions. À ce titre, on constate par exemple que, si les spécialités agroalimentaires ont un grand succès, comme les Bêtises à Cambrai ou les brasseries, dans la région, les centrales de Gravelines et de Bouchain font partie des sites très visités. Les gens sont curieux de voir ce qu’il s’y passe, et de se faire leur propre opinion." De la même façon, le site Renault de Douai ou les Fonderies de Sougland, dans l’Aisne, sont des incontournables dans les Hauts-de-France. Et ce, même si les visiteurs n’en dévalisent pas la boutique-souvenirs.

Valoriser son savoir-faire

Pour autant, la vente directe est aussi l’un des intérêts de ces visites, que l’on fabrique des verres, des confiseries, des bières ou… des clous. Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV), la clouterie Rivierre, à Creil dans l’Oise, est ainsi ouverte à la visite depuis une dizaine d’années, avec succès. Dernière fabrique de clous forgés en Europe, elle travaille encore sur des machines datant de la fin du XIXe. Ce qui ne l’empêche pas de fabriquer des produits très techniques, pour des commandes sur-mesure dont 75 % sont envoyées à l’export. Une activité a priori pas très "sexy", mais qui pourtant, ravit les "7 000 à 8 000" visiteurs que l’entreprise reçoit chaque année. "Les gens repartent souvent avec leur petit sachet de clous", s’amuse Justine Fantoni, chargée de la communication et du tourisme industriel au sein de l’usine. "Ils sont contents d’avoir découvert nos process, et ont parfois eux-mêmes des besoins précis, s’ils font de la tapisserie ou des travaux de toiture par exemple. Ils achètent donc sur place ou passent commande par la suite."

"Nous recevons beaucoup de scolaires, cela permet de leur faire découvrir le monde de l'industrie, et pourquoi pas, de faire naître des vocations ?"

L’enjeu de ces visites, payantes dans la plupart des cas, est bien entendu symbolique bien plus que financier pour les entreprises, qui cherchent avant tout à valoriser leur savoir-faire. "Les gars à l’atelier sont très fiers de montrer ce qu’ils font. Ils participent, me proposent d’allumer telle machine pour en montrer le fonctionnement. C’est valorisant pour eux de voir les réactions des visiteurs quand ils rentrent dans l’atelier et qu’ils découvrent nos machines, les bruits… Et nous recevons beaucoup de scolaires, cela permet de leur faire découvrir le monde de l’industrie, et pourquoi pas, de faire naître des vocations ?", poursuit Justine Fantoni. Marc-Alain Deledalle, le dirigeant de la PME industrielle Billards Toulet (30 salariés, 7 M€ de CA), observe les mêmes réactions chez ses salariés. "Ils sont fiers de montrer ce qu’ils font. Ce sont des métiers très artisanaux, ils fabriquent de beaux objets, c’est valorisant pour eux. Et du côté de la direction, on est contents de montrer l’entreprise, les locaux, c’est une fierté aussi pour nous."

Le coup d’arrêt du Covid

Chez Billards Toulet, qui recevait, depuis une dizaine d’années, des groupes "tous les quinze jours" en moyenne, le Covid a mis un coup d’arrêt à cette activité. "Depuis la fin du premier confinement, il a plusieurs fois été question de reprendre, mais à chaque fois, une nouvelle vague épidémique, ou de nouvelles restrictions, sont venues tout mettre par terre. Donc on va attendre d’être bien sûrs que tout ça soit derrière nous, avant de nous relancer. C’est bien sûr chronophage. Je fais la visite moi-même, il faut compter au moins deux heures à chaque fois… mais c’est un vrai plaisir," décrit Marc-Alain Deledalle. Avec 9 000 € par an, "à la louche", de recettes tirées des visites, "ça n’est pas ça qui faisait tourner la boîte, même un petit peu", sourit Marc-Alain Deledalle. "Mais ça nous a quand même amené quelques ventes, des visiteurs qui reviennent pour acheter, ou qui en parlent autour d’eux. Ce n’est jamais mauvais, en tout cas ! J’espère reprendre en 2023." D’autant plus que Toulet a enregistré une très forte croissance pendant la période Covid, et s’est agrandi. L’entreprise s’est notamment dotée d’un atelier de sellerie, pour la fabrication de modèles très haut-de-gamme, en cuir. Tout un nouveau savoir-faire à faire découvrir à ses futurs visiteurs.

Communiquer sur ses valeurs

Rentable, mais pas forcément très lucrative, la visite est avant tout un outil de communication pour les entreprises, sur leur production mais aussi, sur leurs valeurs, pointe Entreprise & Découverte, qui invite les entreprises à réfléchir sur leur message. "Nous réalisons des audits chez les entreprises candidates, pour les aider très concrètement à mettre en place un parcours de visite, sécurisé à la fois pour les visiteurs et pour les salariés, et qui ne perturbe pas la production. Nous travaillons aussi avec les elles sur le message qu’elles veulent mettre en avant. Enfin, nous regardons avec elles les investissements à fournir, pour construire un modèle économique cohérent. L’idée étant qu’elles soient, a minima, à l’équilibre financier sur cette activité, bien entendu," détaille Valérie Lefranc.

Chez le fabricant d’enveloppes Pocheco, (70 salariés, 7 M€ de CA), à Forest-sur-Marque (59), c’est bien une volonté de démonstration qui a conduit à l’ouverture du site. Le dirigeant de l’entreprise, Emmanuel Druon, est un tenant de "l’écolonomie", la certitude qu’une entreprise peut conjuguer rentabilité et écologie. "Cela fait une dizaine d’années que nous ouvrons le site de Pocheco. Il s’agissait au départ de visites pour les clients et les prospects, mais on s’est rendu compte que ça pouvait aussi intéresser le grand public", retrace Édouard Sellier, chargé de mission au sein d’Ouvert, le bureau d’études en "écolonomie" adossé à Pocheco. "La médiatisation régulière de l’entreprise sur ces sujets a aidé à attiser la curiosité du public, et on accueillait, avant le Covid, entre 3 000 et 4 000 personnes par an", poursuit Édouard Sellier, qui a contribué à la création du parcours de deux heures, consacré, de manière très précise, à la démarche qui sous-tend la stratégie de l’entreprise. "Nous montrons comment l’on peut entreprendre sans détruire l’environnement, tout en maintenant notre rentabilité. Le site tout entier est conçu comme un démonstrateur de cette affirmation. Nous expliquons donc, de façon très transparente, les différents investissements que nous avons décidé de faire, les raisons de tel ou tel choix, et le retour sur investissement que l’on en retire." Folklorique, économique ou technique, libre à chaque entreprise d'imaginer une visite à son image.

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