Partage de la valeur : ce que peut changer la future loi pour les PME
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Partage de la valeur : ce que peut changer la future loi pour les PME

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Intéressement, participation, actionnariat salarié, ex prime Macron : la future loi sur le partage de la valeur doit donner de nouvelles armes aux PME pour attirer et fidéliser les salariés. Elle doit retranscrire un récent accord entre les partenaires sociaux. À moins que le législateur n’en décide autrement.

Plus une entreprise est petite, moins elle a mis en place de mécanismes de redistribution. La future loi sur le partage de la valeur doit corriger cela — Photo : Vasyl

Après les mesures d’urgence sur le pouvoir d’achat de l’été 2022, une nouvelle loi visant à mieux répartir les profits des entreprises est attendue avant l’été. Cette loi devrait retranscrire l’accord conclu le 22 février 2023 entre les syndicats et le patronat. C’est du moins la promesse de la Première ministre Élisabeth Borne, qui a salué un accord national interprofessionnel (ANI) "historique" signé par le Medef, la CPME, l’U2P et par quatre des cinq syndicats représentatifs de salariés (CFDT, CFTC, CFE-CGC, FO). Seule la CGT a fait défaut. "Nous avions mis en préalable de toute négociation la question des salaires", justifie Boris Plazzi, secrétaire confédéral de la CGT, qui revendique un Smic à 2 000 euros et un mécanisme indexant les salaires sur l’inflation. Sauf que le gouvernement a exclu d’emblée la question des salaires de l’ordre du jour des négociations entre partenaires sociaux. Celles-ci se sont concentrées exclusivement sur les mécanismes de redistribution des richesses que sont la participation, l’intéressement, l’actionnariat salarié et les primes ponctuelles.

Au bout de trois mois de négociations, un accord a donc été trouvé entre les partenaires sociaux, dans un climat rendu électrique par l’inflation. Satisfecit du côté du patronat, qui a réussi à désamorcer certaines revendications jugées économiquement dangereuses pour les PME, comme la généralisation de la participation. Satisfaction aussi au niveau de la majorité des syndicats, bien conscients, à l’instar de Force Ouvrière, que "toute mesure en faveur du pouvoir d’achat constitue un plus pour les salariés".

Les PME obligées de partager leurs bénéfices

Très technique, l’accord comprend une foultitude de mesures, dont beaucoup sont tournées vers les petites et moyennes entreprises. Parmi les plus emblématiques : l’obligation, à partir de 2025, pour les entreprises de 11 à 49 salariés réalisant un bénéfice net fiscal au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années de suite, de mettre en place au moins un dispositif de partage de la valeur. Autre obligation, au niveau des branches cette fois : avant le 30 juin 2024, chaque branche professionnelle devra ouvrir une négociation pour mettre en place un dispositif de participation dans les entreprises comptant entre 11 et 49 salariés, la participation étant obligatoire dans les entreprises de 50 salariés et plus.

Ces deux nouvelles obligations ne sont toutefois pas perçues comme une épée de Damoclès par le patronat. L’employeur est totalement libre de déterminer le mécanisme de redistribution de la première obligation – et donc son montant. Et, pour la seconde, non seulement il ne s’agit que d’une obligation de moyens (les branches doivent ouvrir une négociation, pas la faire aboutir) mais, en plus, les partenaires sociaux prévoient une formule "dérogatoire" pour le calcul de la participation. Il sera donc possible pour l’employeur de donner moins que ce que prévoit la formule de calcul légale.

Les petites entreprises redistribuent peu

"L’objectif des discussions a été de trouver des solutions pour inciter, faciliter et rendre lisibles les dispositifs de partage de la valeur", explique la présidente du Medef Sarthe, Karel Henry, qui a conduit les négociations au niveau national pour le Medef. Beaucoup d’articles ciblent les PME. Pour une raison toute simple : plus une entreprise est petite, moins elle propose de dispositifs de répartition des richesses. Alors, radins les patrons des petites entreprises ? Pas forcément. Car des dispositifs comme la participation, l’intéressement ou l’actionnariat salarié sont taillés sur mesure pour des entreprises bien staffées. "Les TPE et PME ne disposent pas en leur sein des mêmes expertises que les grands groupes pour adopter des mécanismes parfois complexes à mettre en place", appuie Karel Henry.

Conséquences : si l’actionnariat salarié est mis en place dans 17 % des entreprises de 1 000 salariés et plus en 2020, il l’est seulement dans 4 % des PME de 100 à 250 salariés et dans 0,8 % des entreprises employant entre 10 et 49 collaborateurs, selon la dernière enquête du ministère du Travail. Il en va de même pour la participation. En 2020, 47 % des entreprises de plus de 1 000 salariés ont versé à leurs collaborateurs cette prime qui redistribue une partie des bénéfices, contre seulement 22 % des sociétés employant 50 à 100 salariés et 3 % des PME de 10 à 49 salariés.

Un million de salariés concernés

Ces dernières années, plusieurs lois ont tenté d’inverser la tendance. La loi Pacte de 2019 a supprimé pour les entreprises de moins de 50 salariés le forfait social pour les sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement. La loi sur le Pouvoir d’achat de l’été 2022 a, elle, voulu rendre plus accessible l’intéressement, avec un accord pré-validé disponible en ligne ou la possibilité d’accorder dans certains cas cette prime liée aux performances de l’entreprise par décision unilatérale de l’employeur.

L’accord national interprofessionnel parviendra-t-il véritablement à inverser la vapeur ? La CFE-CGC y croit dur comme fer, le syndicat estimant qu’entre 700 000 et un million de salariés supplémentaires bénéficieront en 2025 d’un système de partage de la valeur. Encore faut-il que le gouvernement retranscrive fidèlement dans la loi le résultat de la négociation entre les partenaires sociaux, comme la Première ministre s’y est engagée.

Les effets pervers de la prime de partage de la valeur

Une mission parlementaire pilotée par les députés Eva Sas (EELV) et Louis Margueritte (Renaissance) a été chargée d’établir un rapport pour évaluer les outils fiscaux et sociaux du partage de la valeur dans l’entreprise. Elle salue l’ANI et se dit globalement favorable au texte, tout en mettant le doigt sur plusieurs points. À commencer par la prime de partage de la valeur, l’ex-prime Macron. Facile à mettre en œuvre, elle a permis de redistribuer plus de 4 milliards d’euros en 2022. Pour les partenaires sociaux, il faut capitaliser sur cette prime, la pérenniser et l’améliorer. Mais celle-ci aurait un effet pervers sur la rémunération des salariés, puisqu’elle se serait substituée à hauteur de 30 % à des revalorisations salariales, calcule l’Insee. Autre écueil soulevé par les deux députés : la fiscalité favorable dont bénéficient la plupart des mécanismes de partage des bénéfices et son coût pour les finances publiques.

"Nous serons très vigilants à ce que cet accord soit repris par le législateur de la manière la plus fidèle possible", prévient la cheffe d’entreprise normande Stéphanie Pauzat, vice-présidente de la CPME. D’autant que les partenaires sociaux ont balayé d’un revers de la main une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le dividende salarié, une mesure qui obligerait l’entreprise à verser une prime à ses salariés dès lors qu’elle distribue un dividende à ses actionnaires. Même Force Ouvrière n’a pas voulu de cette forme de redistribution, qui mélange la prise de risque de l’actionnaire et le salariat !

Pour l'instant, le projet de loi, qui sera examiné par le Parlement cet été, est assez fidèle à l'accord entre partenaires sociaux. Il reprend les principaux points de l'ANI, comme les avantages fiscaux attachés à l'ex-prime Macron (au moins temporairement). Les débats parlementaires qui s’annoncent seront comme toujours déterminants. À la fois pour les PME, qui ont besoin qu’on leur simplifie ces dispositifs pour gagner en attractivité dans la guerre des talents, mais aussi pour l’avenir du dialogue social en France.

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