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Pourquoi la "prime Macron" suscite encore des doutes, malgré son succès en 2022
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Pourquoi la "prime Macron" suscite encore des doutes, malgré son succès en 2022

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La prime de partage de la valeur (ex-"prime Macron") a connu un franc succès depuis son lancement à l’été 2022. Mais cette réussite attire aussi quelques critiques. Le patronat aimerait simplifier le dispositif au profit des plus petites entreprises. Mais l’Insee s’inquiète des dérives d’un outil qui ferait déjà de l’ombre aux salaires.

Dans sa dernière note de conjoncture, l’Insee s’interroge sur les "versements massifs" de la prime de partage de la valeur en 2022 et pointe du doigt de "potentiels effets d’aubaine" de la part des employeurs — Photo : Rawpixel.com

La "prime Macron" nouvelle formule est-elle vraiment efficace ? Neuf mois après sa pérennisation, les premiers retours d’expérience ne sont pas aussi positifs que n’a pu le laisser entendre, fin février, le gouvernement. Le ministre des Comptes publics se réjouissait alors d’une augmentation de 50 % en un an du montant versé par les entreprises au titre de ce dispositif. Loin du triomphalisme de Gabriel Attal, l’Insee confirme, certes, dans sa note de conjoncture du 15 mars, le succès fulgurant de cette "prime de partage de la valeur" (ou PPV, son nouveau nom). Mais souligne aussi ses effets pervers sur la rémunération des salariés.

Pour les travailleurs, une prime à la place des hausses de salaire

Selon ses chiffres, légèrement différents de ceux de Bercy, près de 5 millions de salariés des secteurs marchands (hors agriculture) ont touché cette PPV en 2022, soit quasiment un tiers des effectifs considérés. Montant moyen par personne : 806 euros.

Au total, les employeurs ont ainsi distribué quelque 4,1 milliards d’euros sous cette forme, dont 41 % rien que sur le mois de décembre. Des "versements massifs", admet l’étude, à tel point qu’ils expliquent en partie la bonne tenue du "salaire moyen par tête" sur l’ensemble de l’année (+5,7 %, en moyenne non-corrigée de l’inflation), au côté de facteurs plus attendus, comme les revalorisations automatiques du Smic ou "l’effet mécanique" du moindre recours au chômage partiel. Cet afflux de PPV complique même la tâche de l’Insee pour l’année en cours : "L’ampleur des versements […] en 2023, ainsi que le potentiel effet d’aubaine associé, constituent un aléa fort pour la prévision des salaires au premier semestre", reconnaît l’institut.

"Effet d’aubaine" ? C’est bien là tout le problème. Car le succès de la prime de partage de la valeur n’est pas seulement attribuable au "contexte d’inflation élevée" et au "triplement des plafonds" prévu par la loi sur le pouvoir d’achat à l’été 2022. Les entreprises sont aussi soupçonnées d’avoir détourné le dispositif de son objet originel.

« Les versements de PPV se seraient substitués, à hauteur d’environ 30 % en moyenne, à des revalorisations du salaire de base. »

L’Insee en veut pour preuve l’évolution contrastée de deux de ses indicateurs : le salaire mensuel de base (SMB, correspondant au brut, hors primes et heures supplémentaires) et le salaire moyen par tête déjà mentionné (SMPT, qui intègre ces éléments variables). Quand le premier ralentissait fin 2022 (+0,8 % en trois mois, après +1 % à l’été), le second, lui, accélérait brutalement (+1,7 %, soit 1 point de plus qu’au trimestre précédent).

À la lumière de cet écart, l’étude estime donc que "les versements de PPV se seraient substitués, à hauteur d’environ 30 % en moyenne, à des revalorisations du salaire de base". Autrement dit, "en l’absence de cette mesure, des employeurs auraient sans doute versé, sous une forme différente, une partie au moins du montant de la prime à leurs salariés". Et pourtant, le législateur avait clairement interdit cette pratique. La PPV, en effet, n’est pas censée remplacer des éléments de rémunération ni des revalorisations salariales, prévus par les textes ou usages en vigueur dans l’entreprise.

Pour les patrons, un outil à simplifier au profit des petites entreprises

L’Insee n’est pas le seul à rappeler ce principe gravé dans la loi. Les partenaires sociaux eux-mêmes l’ont repris dans leur récent accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur. Il y est ainsi précisé que la nouvelle prime Macron "ne doit pas se développer au détriment des dispositifs d’intéressement et de participation, et ce dans le respect du principe de non-substitution avec le salaire".

Pour autant, Karel Henry, patronne du Medef Sarthe et coprésidente des négociations sur ce texte, souligne, non sans ambiguïté, que l’intérêt de la PPV est précisément qu'"elle est facilement activable par les entreprises". Pour en faciliter encore plus l’utilisation, les organisations patronales et syndicales signataires ont d’ailleurs proposé au gouvernement un double ajustement. D’abord autoriser l’employeur à "verser la prime en plusieurs fois, avec deux octrois possibles par an. Ce qui permet au dirigeant qui, dans les petites entreprises ne peut pas toujours s’appuyer sur un directeur financier pour établir des prévisions, de la distribuer, en ayant toutes les cartes en main." Second assouplissement souhaité : "le maintien du régime fiscal actuel pour les sociétés de moins de 50 salariés." Les exonérations en vigueur en ce moment doivent en effet disparaître pour tout le monde au 1er janvier 2024.

Ces souhaits d’évolution sont désormais soumis au bon vouloir du gouvernement. Mais la Première ministre Élisabeth Borne avait promis, le mois dernier, une inscription "fidèle et totale" de cet ANI dans la loi. De quoi conforter la PPV comme nouvel outil privilégié de rémunération du personnel. Et tant pis pour les effets d’aubaine mis en lumière par l’Insee.

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