"Il faut accepter qu'une partie de la surface de la mer soit dédiée à la production d'énergie renouvelable"
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Cédric Le Bousse directeur énergies marines renouvelables France chez EDF Renouvelables "Il faut accepter qu'une partie de la surface de la mer soit dédiée à la production d'énergie renouvelable"

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Le premier parc éolien en mer français, doté de 80 éoliennes et d'une puissance de 480 MW, sera livré fin 2022, au large de Saint-Nazaire. EDF Renouvelables, co-détenteur et exploitant du projet, fait le point sur les enjeux énergétiques et industriels pour notre pays et nos territoires.

Cédric Le Bousse, directeur énergies marines renouvelables France chez EDF Renouvelables, sur le parc éolien de Saint-Nazaire — Photo : David Pouilloux

EDF Renouvelables est le co-détenteur et l'exploitant du parc éolien en mer de Saint-Nazaire, qui sera livré en fin d'année. Dans quel contexte EDF, votre maison mère, veut-elle développer l'éolien en mer ?

Pour atteindre l'objectif de la neutralité carbone en 2050, la stratégie nationale bas carbone oblige à actionner deux leviers. D'un côté, il faut baisser notre consommation énergétique de 40 %, toutes énergies confondues. C'est un effort absolument phénoménal de sobriété. Cela veut dire beaucoup d'économie d'énergie et beaucoup d'efficacité énergétique pour nos bâtiments, nos maisons, nos entreprises. En parallèle de cet effort, devront s'opérer des transferts de consommation, des énergies carbonées vers les énergies décarbonées, notamment vers l'électricité décarbonée. C'est l'exemple du passage d'une voiture à essence à une voiture électrique. Pour cela, nous devrons produire 35 % d'énergies décarbonées de plus qu'aujourd'hui, via le nucléaire ou les renouvelables, dont les énergies marines et l'éolien en mer en particulier. Ce dernier est un des éléments importants du puzzle énergétique pour arriver à produire assez d'électricité décarbonée. Les renouvelables (solaire, éolien, hydroélectricité…) représentent 25 % de l'électricité produite par EDF, numéro un européen de la production d'énergie renouvelable. À l'échelle mondiale, EDF Renouvelables a un portefeuille de projets éoliens en mer en exploitation, construction ou développement de 13 GW répartis sur plus de 7 pays, dont la France, la Belgique, l'Irlande, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Chine et les États-Unis.

Parc éolien en mer de Saint-Nazaire. 80 éoliennes fabriquées par GE et une sous-station électrique par les Chantiers de l'Atlantique — Photo : David Pouilloux

Au niveau national, les annonces d'Emmanuel Macron en la matière ont-elles rassuré la filière ?

Le président de la République a fixé un objectif ambitieux de 40 gigawatts d'électricité produite par une cinquantaine de parcs éoliens en mer d'ici à 2050. La filière de l'éolien en mer a signé un pacte avec le gouvernement rappelant cet objectif. Une dynamique est lancée avec un objectif très clair. Pour y arriver, il faut maintenant accélérer dans de nombreux domaines, notamment planifier dans le temps et l'espace l'installation de ces parcs. Il faut également continuer à structurer cette filière qui compte déjà plus de 6 500 emplois dans notre pays. Il faut qu'elle continue à grandir pour livrer ces 40 GW.

La planification de cet objectif de 40 GW semble être le nerf de la guerre ?

Elle est en effet attendue par tout le monde. Attendue par les industriels qui ont réalisé beaucoup d'investissements et qui doivent recruter, préparer leur plan d'affaires, mais aussi attendue par les collectivités publiques, par les usagers du milieu maritime, les transporteurs de marchandises, et les associations environnementales. Il y a un consensus sur le besoin de planifier, mais maintenant il faut le faire. Il est, d'autre part, important que l'État lance avec régularité des appels d'offres afin d'éviter le "trou d'air" dans les carnets de commande des entreprises.

Les industriels de l'éolien offshore s'inquiètent de la concurrence, notamment venue de Chine, comme dans le solaire. Qu'en pensez-vous ?

C'est le grand sujet du contenu local. Dans la filière énergétique, il y a de manière sous-jacente, la question de la souveraineté. C'est une activité stratégique. Sur nos projets existants, Saint-Nazaire, Courseulles-sur-Mer, Fécamp, Provence Grand Large, en cours de construction, nous avons contribué à créer une filière locale. L'usine à Montoir-de-Bretagne, avec General Electric, celle du Havre, avec Siemens Gamesa, sont des pierres angulaires de la structuration de la filière en France. Les trois sous-stations de nos projets en construction ont été fabriquées par les Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire. Nous avons cartographié les compétences sur les territoires, nous avons informé les acteurs locaux et nous les avons préparés à répondre aux appels d'offres en les aidant à être compétitifs. Nous accompagnons au mieux nos fournisseurs français pour qu'ils étoffent leurs compétences et leurs savoir-faire industriels, et soient mieux armés face à la concurrence internationale, aujourd'hui, mais aussi pour demain. Il y a également un défi à relever sur la formation et le recrutement, alors que les commandes connaissent une ascension très forte. Dans le pacte signé par la filière avec l'objectif de 40 GW, les acteurs s'engagent à avoir 50 % de contenu local d'ici à 2035.

L'installation du parc de Saint-Nazaire a suscité des réactions contrastées, parfois de rejet. Comment analysez-vous cela ?

L'intégration du projet au territoire a été au centre de notre attention depuis 10 ans. Nous avons conduit des centaines de réunions publiques, d'entretiens avec les acteurs du tourisme, les associations environnementales, les élus locaux. Il est vrai que le parc éolien se voit. Il y a une phase de transition où l'on s'adapte à ce changement. Mais il y a aussi une prise de conscience avec le changement climatique ou la hausse du prix de l'énergie qui permet de comprendre pourquoi on mène ces projets.

En règle générale, la planification permet justement de mettre autour de la table tous les acteurs autour d'un projet de parc éolien en mer. Plus on planifie, plus on concerte, plus on implique tous les acteurs, mieux le projet est compris et accepté. Il faut rappeler le sens de ces projets, pour que les phases de développement, de construction et d'exploitation se passent le mieux possible.

Quelle différence entre l'éolien en mer et l'éolien à terre ?

La mer est un domaine public, sans barrière ni frontière. C'est un lieu qui accueille différentes activités, à différents moments de la journée : pêches, plaisance, transports maritimes… Il faut accepter qu'une partie de la surface de la mer et de l'activité soit dédiée à la production d'énergie renouvelable, car nous en avons besoin. Mais il faut créer les conditions de coexistence de ces activités. Pour le parc éolien de Saint-Nazaire, par exemple, nous avons disposé les éoliennes pour qu'elles soient alignées avec le courant, on les a écartées d'un kilomètre, et nous avons ensouillé les câbles ou recouvert de coquilles de fonte pour que les pêcheurs puissent travailler au sein du parc. Pendant la phase de construction, nous avons créé des corridors afin que les pêcheurs puissent traverser le parc et rejoindre leur zone de pêche. Nous avons également changé le trajet d'un câble pour éviter une aire où il y avait des algues, des laminaires. Pour réussir, il faut écouter, comprendre le contexte du territoire et se remettre en question pour trouver les meilleures solutions qui correspondent à un projet particulier.

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