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Grand débat national : « Si l'État baisse mes charges, j'augmenterai mes salariés »
Interview Bordeaux # Informatique # Politique économique

Charles-Henri Gougerot-Duvoisin PDG d'Obvy Grand débat national : « Si l'État baisse mes charges, j'augmenterai mes salariés »

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Dans le cadre du "Grand débat national", Le Journal des Entreprises donne la parole aux dirigeants d’entreprise. Quelles sont leurs propositions et leurs solutions pour développer leur entreprise et l’économie française ? Parmi les premiers à nous avoir contactés, Charles-Henri Gougerot-Duvoisin, ne manque pas d'idées. À la tête d'Obvy, une start-up bordelaise qui a créé une solution de paiement sécurisé entre particuliers, il plaide pour un abaissement conditionnel des charges, une fiscalité adaptée pour les start-up et le développement de l'éducation financière en France.

— Photo : Thomas Malaval

>> Dirigeants d'entreprise, quelles doléances souhaitez-vous porter au "Grand débat national" ? Comme Charles-Henri Gougerot-Duvoisin, transmettez-nous vos demandes, racontez-nous vos difficultés, donnez-nous vos solutions !

Le Journal des Entreprises : Dans votre réponse à notre consultation sur les doléances des dirigeants d’entreprise, vous avez souhaité aborder trois sujets, à commencer par le niveau « bien trop important » des charges pour les petites entreprises et les start-up. Comment cette problématique se traduit-elle dans votre société ?

Charles-Henri Gougerot-Duvoisin : Chez Obvy, plus de la moitié de nos dépenses passe, chaque mois, dans les salaires et les charges (Obvy compte 4 salariés, NDLR). Ce sont autant de fonds qui ne sont pas mis à disposition de la croissance de l’entreprise, mais dans le fait de payer des taxes. Un exemple : nos charges sur trois mois me font "perdre" une campagne marketing que j’aurais pu réaliser pour développer mon activité et, par effet de levier, pour recruter plus de personnes, donc créer plus de richesses et développer ma start-up.

Baisser les charges sous condition

Pensez-vous qu’une baisse des charges patronales soit audible dans le contexte actuel ?

C.-H. G.-D. : Quand j’échange avec ceux qui participent aux mouvements sociaux en cours, je m’aperçois qu’ils n’ont pas conscience que le salaire qu’ils perçoivent coûte à leur entreprise 1,8 fois plus cher, à cause des charges. Personnellement, cela me mine de devoir payer autant.

« Pourquoi ne pas obliger les entreprises à consacrer un pourcentage de baisse de charges au versement de primes salariales ? »

Mais si demain, au lieu d’avoir 1,8 point de charge, je n’en ai plus qu’1 ou 1,5, je n’aurai aucun problème à mettre en place un système de primes mensuelles pour mes employés. Je pourrai augmenter un peu leur salaire et là, ça a du sens, parce que vous fidélisez vos collaborateurs, ils sont plus contents et plus productifs. Vous créez donc plus de valeur et, au final, vous réinjectez plus d’argent dans l’économie.

Mais cette hausse des salaires dépendrait du bon vouloir de chaque chef d’entreprise…

C.-H. G.-D. : On peut imaginer une baisse de charges sous conditions. Pourquoi un pourcentage de cet abattement ne serait-il pas obligatoirement consacré à l’octroi de primes salariales ? Il suffirait juste d’instaurer un minimum à redistribuer et ensuite, ce serait au bon vouloir de chacun.

Je suis absolument persuadé que 99 % des jeunes entreprises accepteraient le principe, pour minimiser leur charges, mais aussi lutter contre quelque chose d’absolument dangereux pour elles : le turnover de leur personnel. Au final, tout le monde en sortirait gagnant : l’entreprise paierait moins de charges, l’employé gagnerait plus d’argent et l’État redorerait son image, parce qu’il aurait trouvé un moyen d’offrir à la fois plus d’autonomie aux patrons et un dispositif de redistribution de la richesse aux salariés. Le tout, en participant à faire de la France une nation innovante, qui emploie et crée de la valeur, ce qui correspond aussi à la volonté politique du gouvernement actuel.

Dans le cadre du Grand Débat national, Le Journal des Entreprises donne la parole aux dirigeants d'entreprise.
— Photo : Le Journal des Entreprises

Adapter la fiscalité des start-up

En tant que start-up, avez-vous également des besoins particuliers à faire remonter ?

C.-H. G.-D. : La France affiche de grandes ambitions autour de l’innovation, avec un gouvernement qui prône la "start-up nation", des initiatives comme la French Tech, etc. Mais il ne faudrait pas tomber non plus dans l’hypocrisie et l’opération de communication, en mettant en avant les dispositifs d'aide, sans se doter des effets de levier nécessaires à l’émergence de cet écosystème innovant. Or, aujourd’hui, il manque clairement une brique fiscale pour les start-up.

« Pour les start-up, il faut instaurer un "abattement Mahjoubi" sur les hauts salaires ! »

L’abattement Fillon (réduction des cotisations patronales sur les bas salaires, NDLR), c’est très bien. Sauf pour une petite entreprise comme Obvy, dans laquelle les effectifs sont composés à 90 % d'ingénieurs informatiques. Nous avons besoin de recruter ces profils, mais leurs salaires sont mirobolants, parce qu’ils sont une denrée rare, avec des compétences très recherchées. Résultat, nous nous retrouvons avec un niveau de dépenses que pourraient assumer de grands groupes, alors que nous avons la trésorerie de la boulangerie du coin qui vient d’ouvrir ! C’est pour cette raison que, comme il existe un abattement Fillon, il faudrait instaurer un abattement Mahjoubi (du nom de Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État au numérique, NDLR) !

Faudrait-il aller jusqu’à une fiscalité différente pour les start-up ?

C.-H. G.-D. : Ah mais je demande clairement un régime spécial pour les start-up ! Et encore, je pense que nous, les start-up, sommes des privilégiées, car nous pouvons bénéficier de subventions régionales ou de Bpifrance, de prêts d’honneur, etc. Ma mère tient un restaurant et elle, tout est de sa poche, elle prend les risques elle-même. Mais entre une TPE et une start-up, il faut qu’il y ait deux poids deux mesures, parce que nos modèles ne sont pas les mêmes. Une start-up qui prend quelques centimes de commission sur chaque transaction, alors qu’elle doit lancer des campagnes de marketing très onéreuses pour faire de la conquête de marché et créer des usages, elle ne peut pas avoir le même régime fiscal qu’un artisan plombier, qui, lui, va générer du chiffre d’affaires dès sa première transaction.

Améliorer l'éducation économique et financière

Dans votre contribution au Grand débat du Journal des Entreprises, vous demandez également à l’État de « faire preuve de plus de pédagogie » auprès des citoyens, afin de leur expliquer les enjeux des entreprises…

C.-H. G.-D. : Il existe un vrai travail de fond à mener en matière d’éducation financière et économique en France. Nous vivons dans une société qui sacralise l’entrepreneuriat et pousse les gens à se lancer, mais à titre personnel, il a fallu que je mette vraiment le nez dans la création d’entreprise pour me rendre compte à quel point cela coûtait cher, notamment de payer des salariés.

« La population n’a pas conscience qu'une hausse des salaires coûte énormément d’argent aux entreprises. »

Aujourd’hui, les enjeux d’ordre financier, économique et monétaire, sur lesquels repose notre économie, sont enseignés au sein de cursus bien spécifiques. Ils devraient être au cœur d’un socle de connaissances commun à tous. C’est fondamental pour que les gens comprennent dans quel écosystème ils gravitent et pour que chacun prenne conscience des enjeux des autres.

En quoi cette éducation financière a-t-elle fait défaut, selon vous, dans la crise des "Gilets jaunes" ?

C.-H. G.-D. : Si la population demande des augmentations de salaire aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle n’a pas conscience que cette hausse va coûter énormément d’argent à son boulanger ou à la jeune entreprise qui a développé l’appli qu’elle utilise tous les jours. Le grand public ne raisonne qu’en salaire net et les entreprises en chargé. Si le gouvernement avait adopté une approche pédagogique de ces problématiques du quotidien, il aurait pu désamorcer un certain nombre de revendications. Certes, il y aurait toujours eu grogne, parce que les gens peuvent être mécontents de ne pas être augmentés, mais au moins ils auraient compris pourquoi ils ne le sont pas.

Au lieu de cela, le gouvernement a apporté des réponses qui sont inintelligibles pour des néophytes en économie et qui ne sont donc pas entendues. Résultat, la colère gronde, monte, et on en arrive à la situation actuelle.

>> Dirigeants, faites entendre votre voix au "Grand débat national" en remplissant notre cahier de doléances économiques !

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