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"Favorisons l'accès des TPE et PME aux projets éoliens en mer"
Interview France # Production et distribution d'énergie # Infrastructures

Philippe Thieffry chef de la mission Bretagne Ocean Power "Favorisons l'accès des TPE et PME aux projets éoliens en mer"

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Plus de 500 TPE, PME et ETI positionnées sur l’éolien offshore et les énergies marines renouvelables, réunies au sein des collectifs Aquitaine Blues Énergies, Bretagne Ocean Power, Neopolia, Normandie Maritime et Wind’Oc, ont interpellé l’État pour accélérer la structuration d’une filière industrielle française dans ce domaine. Philippe Thieffry, chef de la mission Bretagne Ocean Power, explique la démarche.

Pour Philippe Thieffry, chef de la mission Bretagne Ocean Power, les pouvoirs publics et les grands donneurs d'ordres doivent davantage aider les sous-traitants qui se positionnent sur les marchés de l'éolien en mer — Photo : NICOLE THIEFFRY

Vous avez publié, en février 2021, une tribune appelant l’État à structurer une filière industrielle de l’éolien en mer posé et flottant made in France. Quel est le sens de votre prise de parole ?

Nous avons voulu mobiliser tous les collectifs industriels des régions littorales pour parler d’une seule voix au nom des 500 TPE, PME et ETI que nous fédérons. L’objectif est de faciliter l’accès de ces entreprises aux prochains projets éoliens en mer pour accroître les retombées locales, en termes de business, de compétences et d’emplois. Il est nécessaire de pérenniser et de rentabiliser les investissements que les entreprises du secteur ont réalisés pour se positionner sur les marchés émergents de l’éolien en mer et des énergies marines renouvelables. Au niveau national, le marché est structuré par les appels d’offres de l’État. Mais la chaîne logistique s’organise dans les régions. L’idée est donc de ne pas se faire concurrence entre régions, mais plutôt de se compléter. Il nous a semblé que 2021 était un bon moment pour se faire entendre. Car au fur et à mesure que les projets avancent, notamment avec la construction du premier parc éolien offshore posé dans les Pays de la Loire, au large de Guérande, chacun engrange de l’expertise.

Quelles sont les relations entre les entreprises que vous représentez et les donneurs d’ordres ?

Il faut bien comprendre que ces marchés sont complexes. L’État sélectionne des consortiums emmenés par de grands acteurs, tels que EDF Renouvelables ou Iberdrola. Ces derniers achètent des lots importants à des fournisseurs de rang 1 qui, à leur tour, vont passer commande à des TPE-PME. Dans ces projets, qui se montent à deux milliards d’euros chacun, il est très compliqué pour les entreprises locales d’identifier leurs clients potentiels, de comprendre quand les commandes vont tomber, sur quels besoins elles vont porter…

Est-ce en réponse à cette problématique que vous avez rédigé une "charte d’engagement du contenu local industriel" à l’attention des candidats aux appels d’offres éoliens en mer ?

Oui, dans la continuité de notre tribune, nous avons présenté cette charte à l’occasion du salon international Seanergy qui s’est tenu à Nantes et Saint-Nazaire du 21 au 24 septembre. Elle constitue une réponse à l’invitation exprimée par le Président de la République lors des Assises de la mer pour que tous les acteurs de la filière du maritime et de l’éolien en mer jouent collectifs, aident leurs sous-traitants en donnant de la visibilité, en s’engageant sur les commandes d’une part, mais aussi sur la politique de formation, sur les politiques de recrutement, etc. C’est exactement ce que nous, clusters, demandons.

"Nous demandons plus de communication en amont de la part des grands donneurs d'ordres et des fournisseurs de rang 1"

Très concrètement, nous demandons plus de communication en amont de la part des grands donneurs d’ordres et des fournisseurs de rang 1 pour que les informations parviennent au niveau local. Cela suppose que les interlocuteurs décisionnaires parlent français de façon à pouvoir échanger avec les équipes achats, techniques, construction…, même si les contrats sont passés en anglais. Ces informations doivent permettre aux entreprises de se positionner sur les marchés à venir, en fonction des compétences requises. Nous souhaiterions, par ailleurs, que les raisons de non-sélection de TPE, PME et ETI soient explicitées afin de mettre en place des actions pour les futurs projets.

Mais le critère principal de sélection des sous-traitants n’est-il pas le coût ?

Oui, jusqu’à présent, les retombées locales des projets n’étaient pas un sujet. L’appel d’offres de Dunkerque a été remporté par un consortium mené par EDF Renouvelable sur un prix de 44 euros le mégawattheure, un prix quatre fois inférieur à la moyenne de ce qui était proposé jusque-là ; mais sans aucun engagement sur le contenu local. Ce que nous demandons, c’est une approche industrielle qui permette de structurer une filière française des énergies marines renouvelables autour d’un écosystème local, associant les actionnaires des projets, les TPE, PME, ETI et aussi les acteurs académiques… C’est pourquoi, nous envoyons un message fort à l’État, aux énergéticiens, aux développeurs, pour que le seul critère de sélection ne soit pas le coût du mégawattheure produit, mais que soient pris en compte les impacts sociaux, économiques et environnementaux locaux des projets éoliens en mer. Nous ne demandons pas un engagement en termes de moyens, mais des résultats au niveau local, avec des retombées, notamment en termes de créations d’emploi.

Comment ces propositions ont-elles été accueillies ?

Cette charte a été établie en concertation avec les candidats des appels d’offres des parcs de Normandie et de Bretagne Sud, ainsi qu’avec les représentants de la filière de France Énergie Éolienne et du Syndicat des Énergies Renouvelables. Elle a été signée par cinq des six candidats de l’appel d’offres normand et huit des dix candidats à l’appel d’offres breton.

"La France, malgré ses 2 800 km de côtes en métropole, n'a pas une éolienne en mer raccordée au réseau RTE, hormis un projet pilote au large du Croisic"

Nous, clusters, nous nous positionnons pour piloter et mettre en œuvre cette charte de façon à aider les PME à appréhender les projets et à investir de façon à répondre aux exigences attendues. La Charte s’adresse également aux lauréats des projets de Yeu-Noirmoutier, Dieppe-Le Tréport, Dunkerque et des quatre fermes pilotes offshore flottantes qui ont encore beaucoup de commandes à passer à leurs fournisseurs de rang 1. L’étape suivante sera, d’ailleurs, d’essayer de faire signer les mêmes engagements aux fournisseurs de rang 1.

La France n’a-t-elle pas accumulé trop de retard en matière d’éolien en mer ?

Depuis les premiers appels d’offres lancés en 2011, la France, malgré ses 2 800 km de côtes en métropole, n’a pas une éolienne en mer raccordée au réseau RTE, hormis un projet pilote au large du Croisic, en Loire-Atlantique. En comparaison, l’éolien en mer représente 19 % de la production d’électricité aux Pays Bas et 11,5 % au Royaume-Uni. Nous avons cependant une dizaine de projets en cours, dont celui de Saint-Nazaire qui doit être mis en service en 2022. Malgré ce retard, il existe des points positifs. Ainsi, les projets ont permis de faire émerger quelques locomotives. Je pense aux trois usines d’assemblage de General Electric et Siemens Gamesa à Saint-Nazaire et au Havre. Il faut y ajouter les Chantiers de l’Atlantique pour la construction des sous-stations électriques. Ces poids lourds auront besoin de PME pour les assister. Il faut capitaliser sur les investissements réalisés et les compétences acquises par ces acteurs sur les premiers projets pour monter en compétences, devenir plus compétitifs et développer la filière. En Bretagne, nous avons 150 entreprises qui travaillent dans les énergies marines renouvelables, mais nous ne disposons pas de locomotive. Cela implique de chasser en meute, ce qu’un grand nombre d’entreprises, issues de la navale, savent faire pour répondre à de grands contractants. L’autre lueur d’espoir vient de l’éolien flottant.

En quoi l’éolien flottant est-il prometteur pour la France ?

D’abord, nous sommes dans un bon timing. L’État a lancé dès 2020 des appels d’offres pour quatre projets de parcs éoliens flottants. Les deux premiers d’une puissance totale de 750 MW seront implantés, dans le Morbihan, entre l’île de Groix et Belle-Île. La première tranche à 250 MW sera attribuée en 2022, la suivante dans les trois ans qui suivront. C’est le premier appel d’offres de cette ampleur dans le monde. Les deux autres projets, de 250 MW chacun, se trouveront en Méditerranée. L’éolien flottant répond à une autre logique que l’éolien posé. Il permet d’aller chercher les vents dans des zones où le sous-sol marin est abrupt, comme c’est le cas dans l’Atlantique et en Méditerranée. Dans cette configuration, l’éolien posé est trop compliqué et trop cher. Par ailleurs, la technologie de l’éolien flottant repose sur de gros flotteurs, ancrés au sol. On est là dans une logique d’assemblage au plus proche des projets. Cela nécessite des infrastructures portuaires, des compétences dans la navale et des remorqueurs traditionnels pour poser les lignes d’ancrage. Nous disposons de tout cela en France. Alors que nous n’avons pas les navires pour installer les fondations posées. Autres avantages, ces projets sont plus compétitifs et plus acceptables, car plus éloignés des côtes.

Quels sont les objectifs de l’État pour l'éolien ?

En France, les projets d’éolien en mer posé attribués représentent 5 GW. L’objectif est d’attribuer 1 GW par an sur les dix prochaines années, via deux appels d’offres annuels, portant sur de l’éolien en mer posé ou flottant. Au niveau européen, l’objectif est de porter la capacité de l’éolien en mer d’une production de 12 GW actuellement à 60 GW d’ici 2030 et 300 GW en 2050. C’est l’équivalent de 25 % de la production électrique en Europe.

Les premiers champs offshores français verront le jour en 2022 — Photo : Christophe Beluin

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