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E-Sensory : « Ce n’est pas parce que l’on se plante que l’on est mauvais entrepreneur »
Interview Brest # Biens de consommation

Christel Le Coq fondatrice de E-Sensory E-Sensory : « Ce n’est pas parce que l’on se plante que l’on est mauvais entrepreneur »

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Créée fin 2014 par Christel Le Coq, la start-up E-Sensory, spécialisée dans la conception et la commercialisation de sextoys connectés et l’édition de livres numériques, a été placée en procédure de liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Brest. La dirigeante revient en toute franchise sur une aventure qu’elle ne regrette pas.

— Photo : Pierre Gicquel

Le Journal des Entreprises : Une liquidation judiciaire est un coup dur, difficile à digérer pour les dirigeants d’entreprise qui la subissent. Comment affrontez-vous la situation et quel sentiment domine aujourd’hui chez vous ?

Christel Le Coq : Ce ne sont évidemment pas les jours les plus faciles à vivre. C’est quatre ans de bataille, d’acharnement. On y passe sa vie. J’ai sans doute commis des erreurs et je les assume. Mais je reste fière de ce qu’on a fait. Nous avons créé un produit qui n’existait pas, obtenu un prix au CES de Las Vegas et prouvé qu’on pouvait innover depuis Brest.

Après, le risque est dans l’ADN de n’importe quelle entreprise. J’ai toujours pris le parti d’annoncer la situation de l’entreprise en toute transparence. Nous avons la chance d’avoir toute une communauté bienveillante qui nous suit. Cela aide. Il y a du progrès en France sur le sujet du désir féminin et de l’appropriation par les femmes de leur corps et j’espère que nous y avons joué un rôle. Et puis ce n’est pas parce qu’on se plante qu’on est mauvais entrepreneur.

Justement, pouvez-vous expliquer ce qui a mis à mal le développement d’E-Sensory et, avec le recul, y a-t-il des choses que vous auriez fait différemment?

C.L.C : Beaucoup de choses sont arrivées et sur lesquelles nous n’avions pas de prise mais on n’a jamais rien lâché. Apple et Google ont par exemple supprimé plusieurs fois notre appli de leur store. Notre fournisseur français nous a planté plusieurs fois de suite. Or, sans produit, pas de vente. Cela a donc plombé notre développement.

Le financement dans la sextech est aussi un sujet difficile. Aux USA, ils arrivent à financer, car même s'il y a du puritanisme, la religion suprême, c’est le business. Or le sextoy, c’est un marché mondial de 22 milliards de dollars et la sextech, 30 milliards. Ici, des fonds n’ont pas osé prendre le risque d’associer leur image à de la pornographie. Et pire, en se désistant au dernier moment.

Lorsque nous lancions notre premier financement, au même moment, aux Etats-Unis, des filles cherchaient 50 000$ pour produire leur sextoy. Elles en ont reçu 800 000 ! Mais je n’ai pas la prétention de dire que, si j’avais essayé là-bas ou dans un pays nordique, cela aurait marché. J’ai quand même un seul regret : je n’aurais pas dû m’obstiner à produire du made in France. Car vouloir porter les valeurs de la French Tech avec les marges du made in China, ce n’est pas possible.

La France n’était pas prête à accueillir votre innovation?

C.L.C : Ici on ne like pas les pages d’un sextoy sur Facebook, on ne relaie pas le crowdfunding. Quant aux comités d’investisseurs, même s’ils travaillent souvent sur des sujets qui ne sont pas les leurs, la prise de recul n’est pas possible pour eux, car on ramène toujours cela à l’intime. Pour éviter de gêner, des projets en Europe se sont positionnés sur le domaine de la santé, avec des sextoys censés rééduquer le périnée… Nous revendiquons un positionnement sextoy, car il faut tenter de faire évoluer les mentalités. C’est un enjeu sociétal.

Nestadio Capital a été le seul fonds à nous soutenir, mais le matelas n’était pas suffisant. J’ai donc dû chercher des financements au lieu de commercialiser le produit. De plus, si le fournisseur nous plante et qu’il ne fait pas appel à son assurance, il ne nous reste que de longs procès pour espérer retrouver de la trésorerie. Si on ne change pas le système des assurances, ni la prise de risque des start-up, il y aura toujours autant de perte. Et puis, nous avons été copiés très vite par un produit trois fois moins cher, produit en Chine et distribué en Europe. J’aurais pu les attaquer sur 27 pays, mais avec un avocat et de l’argent.

À l’heure où nous parlons, l’éventualité d’une reprise de l’activité éditoriale de votre entreprise est encore possible. Mais avez-vous d’autres projets ?

C.L.C : Je veux rebondir très vite. J’ai deux sujets en tête : sauver tout ce qui pourra l’être de E-Sensory, assurer la continuité de services pour nos 3 000 clients et continuer à travailler avec les auteurs. Je réfléchis ensuite à un projet d’accélérateur de start-up, avec mes amis de The Corner, mais uniquement dans le domaine de la sextech. Je pense notamment à l’idée de lier blockchain et sextech, qui est sans doute la solution pour trouver du financement et garantir l’anonymat des utilisateurs. Et cela permettrait de valoriser mon expérience.

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