Coronavirus : le nautisme breton a besoin de retrouver la mer pour ne pas perdre pied
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Coronavirus : le nautisme breton a besoin de retrouver la mer pour ne pas perdre pied

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Chantiers navals, industriels du nautisme, commerces dédiés à la plaisance, écoles de sports nautiques… Les professionnels de la mer bretons accueillent avec soulagement les récentes autorisations d’accès à la mer. Même partielles et floues, elles restent une bonne nouvelle pour ce secteur qui a pris de plein fouet les huit semaines de confinement, synonymes d’activité fortement ralentie, voire à l’arrêt.

Les professionnels qui dépendent de la mise à l’eau sont quasiment sans chiffre d’affaires depuis le début du confinement — Photo : © Marée Haute

Selon des chiffres publiés en 2018 par l'association Nautisme en Bretagne, la filière nautique régionale représente plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires direct, dont 883 M€ uniquement pour l’industrie, le commerce et les services, 137 M€ pour le tourisme, les sports nautiques et de bord de mer, et 52,3 M€ pour les ports de plaisance. Le secteur pris au sens large emploie plus de 9 600 personnes sur le territoire régional. Au-delà de la frustration des pratiquants des sports nautiques, c’est tout un pan de l’économie bretonne qui s’est arrêté ou fortement ralenti au moment du confinement.

Réparations, masques ou R & D pour continuer à travailler

À Trégunc (Finistère), le chantier naval Marée Haute fabrique des voiliers de plaisance et propose aussi une gamme de services (réparation, carénage, mise à l’eau, etc.). « Notre activité bateau neuf a baissé de moitié au moment du confinement », raconte Serge Calvez, le dirigeant. Deux mois sans visites de futurs acheteurs. Le chantier a cependant poursuivi une activité : « Nous avons eu beaucoup de demandes de réparation, de travaux, nous avons simplement réduit les effectifs de 20 % », indique-t-il. Le patron espère un effet rattrapage dans les mois à venir sur la vente de bateaux avec un simple glissement du calendrier car, habituellement, « mars et avril sont des mois importants. » Le téléphone s’est en tout cas remis à sonner le 11 mai : « tout le monde veut son bateau à l’eau, là, maintenant, tout de suite », sourit-il.

Lokefoil fabrique des foils à Saint-Malo — Photo : © Lokefoil

« Si les petits constructeurs ont pu continuer avec des aménagements, les gros chantiers ont eu tendance à fermer », note de son côté Tristan Poder. Le dirigeant d’Outils Océans (30 salariés, 3,8 M€ de CA) à Saint-Évarzec (Finistère) a converti son atelier de textile pour le nautisme à la fabrication de masques. Issue de la course au large, l’entreprise est spécialisée dans les équipements pour bateau mais aussi l’industrie (rangement, courrier, logistique). Malgré cela, c’est environ un million d’euros de manque à gagner qui s’annonce. « Nous sentons une reprise avec le déconfinement mais c’est très progressif, très lent », remarque Tristan Poder.

Pendant cette période, certaines entreprises ont donc tenté, malgré tout, d’avancer sur d’autres projets R & D. C’est le cas Lokefoil à Saint-Malo. Loïg Peigné et Kévin Festocq, les deux fondateurs du fabricant de foil (aileron incurvé placé sous une coque) pour tous types de planches, ont dû mettre leurs salariés en chômage partiel. « Il ne nous restait pratiquement plus de masques contre la poussière et impossible d’en recommander vu la rupture. Nous ne pouvions pas faire travailler nos salariés en sécurité », explique Loïg Peigné. Les deux dirigeants sont donc restés seuls à la manœuvre. « Nous en avons profité pour travailler sur des nouveautés que nous voulions sortir en septembre. Elles seront proposées à la vente plus rapidement pour, on l’espère, susciter des achats lors de la reprise. »

« Ne pas pouvoir naviguer est une catastrophe »

851 Tiwal naviguent dans le monde. — Photo : Tiwal

À Plescop (Morbihan), les voiliers gonflables de Tiwal (1,4 M€ et 10 collaborateurs) étaient jusqu’alors sur une pente croissante. « Nous visions 1,7 M€ de chiffre d’affaires en 2020. Là, si nous faisons le même chiffre que l’an passé, ce sera super. Il y a des signaux positifs et tant mieux : les ventes reprennent en Suisse, en Allemagne, en Suède et en Asie », indique Emmanuel Bertrand, le cofondateur. Chez Tiwal aussi donc, le feu vert à la reprise de la pratique des activités nautiques est attendu. « Nous sommes en pleine saison de commercialisation. Ne pas pouvoir naviguer est une catastrophe pour bon nombre de professionnels comme nous. Je ne comprends pas les priorités : la réalité est qu’il y a moins de danger en matière de contamination en étant sur l’eau qu’en étant dans un grand magasin ou dans le métro. La concentration de personnes n’est pas du tout la même », plaide le dirigeant.

Car si l’industrie et la réparation peuvent se permettre de poursuivre une partie de leurs activités, tous les professionnels qui dépendent de la mise à l’eau sont quasiment sans chiffre d’affaires depuis le début du confinement. L’autorisation d’un accès à la mer commence à être un sujet épineux. Chez Kyss Marine, à Concarneau (1 salarié, 100 000 € de CA), dans le Finistère, les missions pour envoyer des plongeurs sur site ou des ouvriers sur des chantiers ont pu continuer. Mais toute l’activité événementielle de la société est au point mort. « Et on ne sait pas quand on pourra reprendre. Nous proposons notamment des excursions aux Glénan et nous avons une activité autour des courses de voiles. Tout cela n’est pas encore reparti et nous sommes dans le flou sur ce qu’il est autorisé de faire pour la navigation. Peut-on partir plusieurs jours ? Peut-on mouiller son bateau ailleurs que dans son port d’attache ? », s’interroge Marie-Pierre Lemarchand, la dirigeante. Sur les deux derniers mois, la chef d'entreprise estime que 80 % de son chiffre d'affaires tourisme de la période est impossible à rattraper.

Kyss Marine organise des excursions en catamaran pour les séminaires d'entreprise, notamment — Photo : © Kyss Marine

Lobbying pour la réouverture des plages

Autour de la Fédération Française de Surf (FFS), de nombreux professionnels, dont beaucoup de Bretons, se sont donc mobilisés pour la réouverture des plages dès le 11 mai dans une configuration dite « plages actives ». Ils ont obtenu gain de cause au milieu de la première semaine de déconfinement, avec des dérogations accordées à certaines plages seulement, sous conditions de distanciation et d’aménagement. Tous les territoires ne sont donc pas logés à la même enseigne. D’autant que ce sont les maires qui décident de ce qu’il est possible de faire ou pas.

Cela reste une petite victoire pour les professionnels des sports nautiques. « J’ai travaillé en lien avec le maire de ma commune. J’ai soumis un plan sanitaire détaillé sur toutes les mesures : nettoyage du matériel, distanciation, pas de vestiaire, etc., explique Greg Closier, gérant de l’école de surf Sweet Spot à Landunvez (Finistère). De fait, le surf est déjà un sport où l'on reste à bonne distance des autres par sécurité. Je n’aurais pas compris qu’on ne nous laisse pas retourner à l’eau. » Pendant le confinement, son activité est tombée à zéro et il a dû mettre ses deux salariés au chômage partiel. Toute la période des congés de Pâques ainsi que les contrats liés aux scolaires ou aux comités d’entreprise sont perdus : « c’est environ 25 % du chiffre d’affaires annuel qui est irrattrapable. »

Des cours de surf en visioconférence

Sportrizer et Rise up proposent des cours de surf en visio — Photo : © Sportrizer

Pour s’occuper, communiquer, continuer à exister sur les réseaux sociaux, de nombreuses écoles de sports, y compris nautiques, ont mis en ligne des tutoriels. « C’est bien, mais c’est gratuit ! », remarque Tom Marsal, le fondateur de Sportrizer. Cette start-up quimpéroise propose une plateforme de mise en relation des professionnels de sports de plein air et des clients. Elle aussi a vu, de fait, son activité chuter mi-mars. « Chez nous, on est plutôt dans l’action. Donc nous avons cherché ce qu’on pouvait faire pour aider les écoles de surf à récupérer un peu de chiffre d'affaires malgré tout. » L’équipe a ainsi inventé le concept de cours de surf en visioconférence. Pour moins de 40 euros, le client assiste à cinq cours dans son salon pour apprendre les bases. « La somme avancée pour assister à ces cours lui servira d’avoir pour un futur stage - en physique – avec l’école dès que ce sera possible. Cela permet au moins aux écoles d’engranger des clients potentiels pour plus tard », explique Tom Marsal.

L'école de surf Rise Up (5 salariés), installée à Plomeur sur le site de La Torche (Finistère), est la première à proposer ce service. La formule n'a pas encore trouvé son public mais le dirigeant Sébastien Le Berre a déjà décidé de modifier l'heure des cours virtuels pour mieux coller aux attentes des clients. « Même avec le déconfinement, les écoles de surf peuvent cibler les gens à plus de 100 km de la mer avec ce service », estime le président de Sportrizer.

Chez Shakabay, autre start-up finistérienne du secteur nautique récemment partie s'installer dans le Pays Basque, on travaille justement sur l’adaptation aux mesures de déplacements des touristes, qui seront sans doute limités géographiquement. « Nous proposions des surf camps (voyages autour du surf avec hébergement), notamment à l’étranger au Portugal et en Espagne. Nous changeons tout pour proposer ces voyages en local. Les Français en France, les Portugais au Portugal etc. », explique Adrien Mangeot, cofondateur. Des efforts tous azimuts qui seraient réduits à néant en cas de reconfinement. Une épée de Damoclès au-dessus la tête de tous ces professionnels de la mer.

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