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Y a-t-il un investisseur pour sauver le stade Matmut Atlantique ?
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Y a-t-il un investisseur pour sauver le stade Matmut Atlantique ?

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Cette année marque le cinquième anniversaire de l’inauguration du stade Matmut Atlantique, mais aussi la première révision officielle du partenariat public-privé liant l’exploitant Stade Bordeaux Atlantique, la mairie de Bordeaux et le club de football des Girondins. Qui flanchera le premier dans ce bras de fer inextricable ?

Trop grand, trop peu accessible, pas assez utilisé pour d’autres événements, le stade Matmut Atlantique de Bordeaux s’avère bien moins rentable qu’imaginé — Photo : Jean Berthelot

« Pas possible », « Trop tôt », « Personne ne souhaite répondre ». Si Bordeaux se trouvait sur une île, par exemple au sud-est de la France, on parlerait probablement « d’omerta » sur le sujet du stade Matmut Atlantique. On se contentera d’évoquer des pudeurs girondines pour justifier le refus de s’exprimer de la mairie de Bordeaux, du club des Girondins et de Stade Bordeaux Atlantique (SBA), la filiale commune des groupes Vinci et Fayat qui gère l’enceinte où évoluent les Girondins depuis 2015.

Une telle réserve commune aux trois acteurs principaux d’un drôle de drame trahit, en tout cas, le niveau de sensibilité élevée sur ce thème. Il faut dire que la situation est pour le moins confuse actuellement : la mairie souhaiterait se désengager du partenariat public-privé (PPP) et voudrait que le stade soit racheté par le club des Girondins, lequel n’en a nullement l’intention à un moment où il doit faire des économies considérables, et SBA, au milieu, ne peut que subir des tractations dont il pourrait faire les frais, d’une manière ou d’une autre.

Pour bien comprendre l’écheveau de cette intrigue, il faut remonter à la fin des années 2000. La France s’apprête à se voir attribuer le Championnat d’Europe 2016 de football et Bordeaux veut faire partie des sites hôtes. Mais il lui faut, pour cela, construire un nouveau stade : le stade Chaban-Delmas, bâti en 1938, ne correspond pas aux normes exigées par l’UEFA pour l’organisation d’un tel événement. La majorité UMP de l’époque au conseil municipal vote ainsi, le 25 janvier 2010, en faveur de la construction d’une toute nouvelle enceinte, qui doit permettre d’accueillir 42 000 spectateurs, contre 33 000 à "Chaban". Le financement envisagé, à l’époque, se compose de 15 millions d’euros apportés par la ville, la communauté urbaine de Bordeaux (CUB, devenue Bordeaux Métropole en 2015) et la Région Nouvelle Aquitaine, de 20 millions de l’État et enfin de 100 millions d’euros apportés par les Girondins de Bordeaux. En tout, donc 135 millions. Un chiffre qui ne sera jamais tenu.

Un surcoût « oublié » de… 176 millions

Dès octobre 2010, les élus bordelais avalisent déjà un coût de 183 millions d’euros. Très vite, l’idée d’un partenariat public-privé s’impose. Concrètement, la réalisation est un peu complexe : les partenaires publics soit l’État (28 millions), la Région (15), la Métropole (15) et la Ville (17), avancent 75 millions d’euros. Les Girondins, via leur actionnaire de l’époque, la chaîne télévisée M6, règlent 20 millions en cash et s’engagent à verser à la municipalité un loyer de 3,85 millions par an. Vinci et Fayat mettent 10 millions au « pot », et 114 millions sont empruntés pour le compte de la ville et de la CUB. Dès ce premier calcul « concret », la note est déjà alourdie : on atteint 199 millions d’euros. L’opposition municipale s’étrangle, crie à une prise de risque considérable pour les collectivités, mais le principe est validé.

En 2012, les travaux commencent. Le 18 mai 2015, le nouveau stade est inauguré. Blanc, très élégant avec ses pylônes qui rappellent les mâts des navires, il est l’œuvre des architectes Herzog et De Meuron, qui avaient construit le « Nid d’oiseau » de Pékin pour les Jeux Olympiques 2008 ou encore l’Allianz Arena de Munich. En septembre 2015, l’enceinte est rebaptisée pour dix saisons ; elle s’appellera Matmut Atlantique, une opération de « naming » qui rapporterait environ 2 millions par an à SBA.

Le premier coup de théâtre intervient le 11 mai 2016. À un mois du début du Championnat d’Europe de football, le Conseil d’État invalide le partenariat public-privé, jugé « irrégulier ». « L’information qui a été donnée aux conseillers municipaux préalablement à la décision de recourir au contrat de partenariat a été insuffisante », explique l’instance dans un communiqué. La victoire est symbolique pour l’opposition qui avait saisi le Conseil d’État. Un nouveau vote quelques semaines plus tard, respectueux cette fois des usages, confirme le partenariat public-privé. Mais c’est une épine dans le pied de la majorité. Pire encore, le 25 mai 2016, l’hebdomadaire Le Canard enchaîné assure que le stade ne coûtera pas 183 millions d’euros mais… 359 millions ! L’équipe municipale aurait « omis » de prendre en compte certaines clauses du contrat signé avec le consortium Vinci-Fayat, chargé de la construction du stade. En cause, toujours d’après le journal, un remboursement d’impôts locaux et une subvention alourdissant considérablement l’investissement. « Cela reste une bonne affaire », rétorquent alors en substance Alain Juppé et son adjoint aux finances, Nicolas Florian. Sur 30 ans, le partenariat public-privé rapportera 94 millions à la ville, qui deviendra propriétaire du stade, expliquent les élus.

Le club ne peut acheter son stade

Voilà, donc, pour la genèse d’une enceinte née sur fond de conflits, et qui a vu très rapidement SBA tenter de remettre en cause le partenariat public-privé. Dès 2017, l’entreprise essaie de négocier une ristourne, arguant d’un déficit de deux millions d’euros. Refus de la mairie de Bordeaux. La situation de SBA ne va pas en s’arrangeant ; trop grand, trop peu accessible, pas assez utilisé pour d’autres événements, le stade s’avère bien moins rentable qu’imaginé. Selon le journal La Tribune, SBA aurait perdu près de 14 millions d’euros entre 2015 et 2019.

Trop grand, trop peu accessible, pas assez utilisé pour d’autres événements, le stade s’avère bien moins rentable qu’imaginé.

La révision quinquennale du partenariat public-privé doit avoir lieu cette année 2020, mais les négociations s’annoncent d’autant plus compliquées que le nouveau maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, avait expliqué vouloir se « débarrasser » du stade. « C’est un gouffre financier ! Il nous coûte beaucoup trop d’argent et je ne vois pas pourquoi l’argent public devrait financer l’outil de travail des Girondins… Nous sommes endettés pour 30 ans pour un stade surdimensionné, il faut que ça s’arrête », expliquait-il à France Bleu en septembre.

Les réalités du pouvoir ont-elles entamé sa volonté ? Difficile en tout cas d’imaginer un repreneur, en l’état actuel des choses. Ce ne sera en tout cas certainement pas le club des Girondins de Bordeaux, impacté de plein fouet par la crise sanitaire, accusant un déficit de près de 50 millions d’euros sur le dernier exercice, et qui vient d’annoncer son intention de réduire drastiquement sa masse salariale en lançant un plan de départs volontaires. Impossible, donc, de l’imaginer débourser 200 millions pour s’offrir l’enceinte. « Il y aurait pourtant un véritable intérêt à ce que le club devienne propriétaire du stade », relève Nicolas Hourcade, sociologue bordelais, professeur agrégé de sciences sociales à l'École centrale de Lyon, spécialiste du football. « À la fois pour la collectivité et pour le club, comme cela l’est à Lyon où l’enceinte est un levier important de développement pour l’Olympique Lyonnais (OL). »

« Aucun club ne peut se passer durablement du soutien de son public »

Ajoutée aux importantes recettes dues aux ventes de joueurs issus de son centre de formation, l’exploitation de son stade par l’OL est effectivement un élément important de sa belle santé économique. Mais Jean-Michel Aulas, à la tête du club, peut s’appuyer sur un soutien populaire ; les Girondins, eux, l’ont perdu. Leurs résultats décevants expliquent en partie ce désamour. Mais c’est, bien plus, la personnalité de leur PDG, Frédéric Longuépée, qui symbolise la fracture. L’ancien gymnaste olympique est honni des supporters et s’est mis à dos une partie de l’écosystème bordelais, dont l’actuel maire qui assurait vouloir son départ durant la campagne. « À court terme, la situation paraît inextricable », poursuit Nicolas Hourcade. « Aucun club ne peut se passer durablement du soutien de son public. Il est difficile d’imaginer que cela puisse se faire autrement que par le départ de Frédéric Longuépée, son PDG, voire de King Street », le fonds d’investissement américain propriétaire du club et dont personne ne sait trop ce qu’il veut faire.

Éveiller l’intérêt des investisseurs

Mais aujourd’hui, Bordeaux ne paraît pas intéresser de potentiels investisseurs, en dépit d’un nom internationalement connu. « Sauf que ce n’est pas si facile de capitaliser là-dessus, puisque Bordeaux est connu pour le vin et la loi Evin limite fortement les possibilités d’en faire la promotion dans un contexte sportif », reprend Nicolas Hourcade. « Peut-être que cela freine, par exemple, des investisseurs chinois, qui possèdent des vignobles et pourraient éventuellement être intéressés par le club. »

Une mairie qui veut se désengager, des Girondins qui ne peuvent racheter le stade ; SBA n’a sans doute pas d’autres choix que de poursuivre le partenariat public-privé dans les termes qui avaient été définis en 2015. La filiale de Vinci et Fayat espérait être à l’équilibre en 2024, mais il est presque acquis que cela ne sera pas le cas, surtout dans le contexte de la crise sanitaire que l’on connaît et qui l’empêche notamment d’accueillir du public lors des matchs. Elle devra donc redoubler d’imagination pour espérer diversifier ses activités, même si, déjà, en dehors des manifestations sportives, des séminaires, des concerts, elle accueille une école (lire ci-contre).

SBA, la filiale de Vinci et Fayat, espérait être à l’équilibre en 2024, mais il est presque acquis que cela ne sera pas le cas.

Et si elle n’y parvient pas, peut-on imaginer que l’entreprise fasse faillite ? Peu probable, au regard de la puissance financière de ses maisons-mères. Lesquelles, du reste, arrivent tout de même à trouver certains intérêts dans le fait d’exploiter l’enceinte. « J’ai été sidéré de voir que la plupart des dépenses de SBA vont à des prestataires qui sont des filiales de Vinci et Fayat : 338 000 euros de maintenance sous-traitée à Vinci énergie, 245 000 euros de frais d’assistance à Vinci Stadium et Fayat, contrat d’assurance responsabilité de 101 000 euros conclu avec Vinci, pourtant pas spécialement connu pour son activité dans ce secteur… Au total on arrive à près de 3 millions d’euros versés à ces filiales », déclarait Pierre Hurmic à Rue89 Bordeaux en décembre 2018. Une « consolation » pour les deux groupes, qui devrait peser dans les négociations en cours. Évoquant les négociations autour du partenariat public-privé, lors d’une conférence de presse au mois de septembre, le maire de Bordeaux Pierre Hurmic semblait confiant, évoquant « des annonces dans les prochains jours »… Les annonces sont toujours attendues, et la partie ne semble pas encore gagnée.

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