L'avion "vert", un horizon encore lointain pour les PME du Sud-Ouest
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L'avion "vert", un horizon encore lointain pour les PME du Sud-Ouest

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Réduire l’empreinte carbone de l’aviation commerciale : c’est l’objectif qu’a défini le gouvernement au moment de lancer son plan de soutien à la filière aéronautique. Si l’effort de recherche piloté par le Conseil pour la recherche aéronautique civile est massif, il risque de ne pas se traduire à court terme dans l’activité des sous-traitants du Sud-Ouest.

L’aile volante présentée par Airbus comme l’un de ses trois concepts d’avions à hydrogène — Photo : Airbus

Les recherches sur l’avion "vert" se relancer ? En un an, la filière est passée d’une situation de carnets de commandes saturés, à l’image d’avions cloués au sol par la crise sanitaire. Selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), le nombre de passagers a plongé de 66 % en 2020. Dans la foulée des compagnies aériennes, constructeurs et sous-traitants connaissent le pire trou d’air de leur histoire. Pour la seule Haute-Garonne, fief d’Airbus, les entreprises aéronautiques ont perdu l’an dernier 33 % de leur chiffre d’affaires, et 10 % de leurs effectifs. Si on élargit la focale, la filière aérospatiale d’Occitanie et de Nouvelle-Aquitaine a perdu, selon l’Insee, 5 800 salariés (hors intérim) sur les neuf premiers mois de l’année 2020, avant même que la plupart des plans sociaux ne prennent effet. Une menace tangible pour l’équilibre économique de ces régions où cette filière employait encore 159 000 salariés en 2019.

Un avion ultra-sobre

Pour stopper l’hémorragie, le gouvernement a injecté, en juin 2020, 15 milliards d’euros dans un plan de soutien à l’aéronautique. Avec un objectif en vue, estimé à 2035 : l’avion neutre en carbone. Le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac) s’est vu confier une enveloppe de 1,5 milliard d’euros pour soutenir les projets de recherche qui prépareront les futures ruptures technologiques, selon deux axes qui feront l’objet d’une évaluation en 2025 : l’ultrasobriété énergétique (gain de 30 % de consommation de carburant et capacité de 100 % de biocarburants) puis l’avion utilisant l’hydrogène comme énergie primaire, pour lequel Airbus a présenté trois concepts en septembre dernier. Un nouvel appareil régional ultra-sobre, soit hybride électrique, soit alimenté à l’hydrogène, doit aussi entrer en service vers 2030. "Dès 2020, ce sont 62 nouveaux projets répartis sur 117 sites industriels qui ont été soutenus grâce au plan de relance, pour un total de 376 millions d’euros", a commenté Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des Transports. Parmi ces lauréats, une belle moisson dans le grand Sud-Ouest, qui héberge plus de la moitié des entreprises bénéficiaires des soutiens à la recherche (respectivement 37,4 % en Occitanie et 14,4 % en Nouvelle-Aquitaine).

Du laboratoire à la production, dix à quinze ans d’études

À Pessac, à quelques pas du campus Arts et Métiers de Bordeaux, la PME Rescoll (170 salariés, 17 M€ de CA en 2020) se prépare à monter à bord de l’avion vert. La société de recherche, spécialisée dans les solutions innovantes dans le domaine des matériaux polymères, participe à trois projets menés par des donneurs d’ordre, notamment Safran et Stelia. "Ils visent tous la mise au point de matériaux qui soient aussi résistants qu’aujourd’hui, aussi sûrs et plus légers afin que l’avion consomme moins", détaille José Alcorta, PDG de Rescoll. Car trois pistes sont étudiées pour "verdir" les aéronefs : minimiser leurs besoins en énergie, opter pour un carburant moins polluant et optimiser les trajectoires des avions. Du côté de l’entreprise girondine, une partie des matériaux est déjà prête. "Maintenant, on les fait mûrir et on les teste sur des plus grandes surfaces et en conditions plus ou moins réelles, explique José Alcorta. Mais entre le moment où un matériau sort du labo de recherche et le moment où il vole, il peut se passer entre 10 et 15 ans". Ce qui explique en partie la date communément admise de 2035 pour voir ces premiers appareils sillonner le ciel. "D’ici là, on ne gagne pas d’argent dessus. Nous avons besoin d’aides pour financer ces études", conclut le dirigeant.

Des solutions à plus forte valeur ajoutée

Tout près de l’aéroport Toulouse-Blagnac, la société d’ingénierie Sogeclair (1 100 salariés, CA 2020 : 123 M€) travaille elle aussi à définir les futurs composants de l’avion vert. Les projets financés par le Corac auxquels ce groupe familial participe permettront de faire travailler jusqu’à une cinquantaine d’ingénieurs cette année : une bouffée d’air après la chute brutale d’activité de 2020, et un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui s’est soldé par le départ de 245 salariés en France. Pour le président de Sogeclair Philippe Robardey, les recherches sur l’avion vert concourent à une mutation profonde de la filière d’ingénierie. "Les sujets purement capacitaires de montée en cadence sont sans doute durablement derrière nous : il va falloir raisonner en termes de recherche et technologie (R & T), pour amener à maturité des solutions à plus forte valeur ajoutée." Sogeclair mène notamment des travaux sur les matériaux thermoplastiques et sur la conception d’éléments d’aérostructures plus légers, avec le même objectif de réduire les besoins en énergie des avions. Le dirigeant anticipe des recompositions importantes de la profession : "Il sera sans doute plus facile de retrouver de l’activité pour les sociétés d’ingénierie positionnées sur la technologie et l’innovation, moins pour celles qui proposaient avant tout de la mise à disposition de ressources."

Nouvelles aérostructures

Du côté des sous-traitants industriels, l’avion vert paraît une perspective encore plus lointaine. Et c’est avant tout le fonds de modernisation aéronautique qui fait office de bouée de sauvetage des entreprises régionales, avec 45 entreprises soutenues pour 47,80 millions d’euros en Occitanie et 16 projets pour 11,50 millions d’euros d’aides en Nouvelle-Aquitaine. "Les nouvelles générations d’avions auront besoin de nouvelles aérostructures, notamment pour les appareils à propulsion hydrogène qui demanderont une architecture totalement différente. Ce travail de R & T est pour l’instant assuré par Airbus : nous serons associés une fois achevée la phase de conception", résume Stéphane Campion, vice-président de Stelia Aerospace. Ce fournisseur de rang 1, filiale d’Airbus, vient de lancer un programme de transformation industrielle de 110 millions d’euros, soutenu par le Corac : l’objectif est notamment d’améliorer l’empreinte carbone des process de production.

Des innovations dès 2024

Car en attendant 2035 et l’arrivée de l’avion vert, des briques technologiques peuvent être introduites progressivement pour améliorer le bilan carbone des flottes. À Mérignac comme à Toulouse, les équipes d’ingénieurs de Thales planchent sur PureFlyt, le système de gestion de vols développé par le géant français de l’électronique embarqué. En fournissant des données en temps réel, provenant aussi bien de l’avion que du monde extérieur, la trajectoire de l’aéronef pourra être optimisée et ainsi réduire de 10 % ses émissions carbone. Une innovation qui pourrait être déployée dès 2024. "Mais cela dépend toutefois des programmes des avionneurs qui sont ralentis par la crise, tempère Bruno Nouzille, directeur technique activité avionique chez Thales. Notre système de gestion pourra également être utilisé en retrofit sur d’anciens avions".

Flécher des budgets sur les PME ?

Sur le segment de l’éco-pilotage, la société toulousaine OpenAirlines (38 salariés, CA 2019 : 3,6 M€) propose depuis 2013 son logiciel SkyBreathe. La solution permet entre 2 et 5 % de baisse de consommation de kérosène, premier poste de dépenses des compagnies aériennes à hauteur de 30 %. Sa mise au point a bénéficié d’un programme de recherche européen. "Notre solution est la preuve qu’un soutien public peut permettre à des acteurs innovants d’émerger, constate son PDG Alexandre Feray. L’approche du plan de relance est aujourd’hui encore très structurée autour des grands acteurs de la filière, qui ont ensuite la charge d’en diffuser les effets auprès des sous-traitants : il pourrait être intéressant de prévoir des budgets directement fléchés sur les PME pour faire remonter leurs initiatives."

Conserver les compétences

Du côté d’Aerospace Valley, le pôle de compétitivité réunissant les acteurs de l’aéronautique de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie, on se dit vigilant à ce que les subventions puissent bénéficier à tous les types d’acteurs. "Nous participons au comité opérationnel du Corac pour nous assurer que les petites entreprises seront bien associées aux différents projets. Il y aura des lignes de financement spécifique pour les PME, pour le moment rien n’est encore établi", souligne son président Yann Barbaux. La priorité de ce plan étant de ne pas perdre de compétences durant la crise. "Notre préoccupation actuellement est de ne pas détruire d’emplois, pas tellement d’en créer. En revanche, ce plan peut contribuer à occuper nos ingénieurs de R & D pour que les compétences ne se perdent pas, pour que les salariés soient toujours là quand l’activité repartira", concède Bruno Nouzille, chez Thales.

Tous les acteurs de la filière sont unanimes sur un point : "Tant que la crise sanitaire n’est pas réglée, on aura du mal à faire revenir les voyageurs dans les avions, qu’ils soient verts ou pas", insiste Yann Barbaux. Or, "la mise au point de l’avion décarboné dépendra de la capacité technologique, bien sûr, mais aussi des besoins du marché. Et cela ne se fera que quand les avionneurs estimeront qu’il y a un marché suffisant pour sortir un nouvel appareil", conclut Bruno Nouzille pour Thales.

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