Auvergne Rhône-Alpes
La région Auvergne Rhône-Alpes mise sur l'hydrogène pour se décarboner
Enquête Auvergne Rhône-Alpes # Industrie # International

La région Auvergne Rhône-Alpes mise sur l'hydrogène pour se décarboner

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Pionnière dans l’hydrogène, la Région Auvergne-Rhône-Alpes insuffle des projets ambitieux pour développer la production et l’utilisation de ce vecteur d’énergie. Objectif : favoriser la création d'un écosystème, maillon fort du réseau européen de l'hydrogène. Un défi difficile à relever sur un marché encore embryonnaire.

Site de McPhy à Grenoble — Photo : DR

Avec ses 25 millions d’euros de fonds levés au premier trimestre 2023, le spécialiste savoyard des stations de recharge hydrogène Atawey (57 salariés ; 5 M€ de CA en 2022) fait partie du top 3 des plus gros tours de table en Auvergne-Rhône-Alpes. Les investisseurs ne s’y sont pas trompés : la région concentre de belles pépites du secteur de l’hydrogène, notamment dans le triangle Lyon-Grenoble-Chambéry. Pas moins de 154 sociétés pour la seule filière bas carbone (production à partir d’énergie renouvelable) selon une étude réalisée par le conseil régional en novembre 2022 !

Premier territoire industriel de France en termes de PIB, la région Auvergne-Rhône-Alpes sera également le plus gros consommateur d'hydrogène dans les prochaines années selon France Hydrogène. “Nous concentrons plus de 50 % des acteurs de la filière, des PME produisant des composants jusqu'aux mastodontes comme Symbio, filiale commune Michelin-Faurecia, en passant par les leaders des systèmes d'électrolyse et de stations hydrogène comme HRS, McPhy et Atawey”, appuie Thierry Kovacs, vice-président en charge de l'environnement et de l'écologie positive à la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Un contexte porteur pour le développement de la filière, que la Région espère favoriser par des programmes de financement et des projets d'envergure, malgré un marché encore très immature.

Une région aux nombreux atouts pour le développement de l'hydrogène

Si la région regroupe autant d'entreprises pionnières dans le secteur, c'est notamment parce que celles-ci ont bénéficié dès la fin des années 1990 des travaux du CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) à Grenoble sur la pile à combustible et l’électrolyse de l’eau. “80 % du savoir-faire en matière d’hydrogène est concentré en Auvergne-Rhône-Alpes”, estime Frédéric Storck, directeur transition énergétique et innovation de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR, 1 480 salariés ; 951 M€ de CA en 2022). "Le CEA de Grenoble possède le plus gros centre français de R & D dédié à l’hydrogène, 10 % des chercheurs du Liten travaillent sur le sujet", abonde de son côté Julie Mougin adjointe au directeur du CEA Liten, en charge des technologies.

Cette spécialisation régionale est également due à la topographie du territoire, qui constitue un point de passage obligé pour les transports routiers Nord Sud. "La région a une volonté très forte de décarboner la mobilité à la fois parce que notre territoire est un carrefour logistique important et parce qu’il possède un environnement naturel à préserver, avec le massif alpin", explique Jean-Christian Beaumont, directeur général de la SAS Hympulsion, société créée par la Région et dédiée à la mobilité hydrogène.

Décarboner la vallée de la chimie

Soucieuse de tirer parti de cet écosystème très favorable au déploiement de la filière hydrogène, la Région a dressé une feuille de route ambitieuse pour en développer les usages. En octobre 2022, elle a ainsi annoncé la création d’un gazoduc d’hydrogène vert pour desservir la vallée de la chimie au sud de Lyon, qui sera la première brique d’un axe d’hydrogène reliant la plateforme industrielle de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) au Grand Est de la France. Le point central consiste en la construction d’un électrolyseur de 20 MW, capable de produire 8 tonnes d’hydrogène par jour dès 2025. L’idée est d’installer cet électrolyseur à proximité directe du barrage hydroélectrique de Pierre-Bénite géré par la CNR (Compagnie Nationale du Rhône).

Mené en partenariat avec Engie, le projet a pour objectif de décarboner la vallée de la Chimie et d’alimenter la gigafactory du spécialiste de la pile à combustible Symbio (600 salariés) à Saint-Fons (Rhône), qui espère réaliser un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros à horizon 2030. Opérationnelle à compter de septembre 2023, la nouvelle usine de Symbio produira notamment des équipements pour les véhicules utilitaires Opel, Citroën et Peugeot de Stellantis - qui vient d’entrer à son capital le 16 mai 2023 - aux côtés des actionnaires historiques Michelin et Faurecia associés dans une joint-venture 50/50 depuis novembre 2019. La deeptech lyonnaise est désormais détenue à parts égales par les 3 industriels.

Symbio, pépite de la pile à combustible

Les bus Safran, les bus rétrofités de GCK et les engins de manutention portuaire de Gaussin fonctionneront eux aussi grâce aux piles de Symbio. “La capacité de production de notre usine de Saint-Fons s’élèvera à 50 000 systèmes par an ; ce qui en fait la première giga factory européenne”, affirme Maria Alcon-Hidalgo, responsable communication, affaires publiques et développement durable de Symbio. L’objectif de cette montée en puissance industrielle ? Faire baisser les coûts de revient grâce à la massification. Ce qui permettra au véhicule hydrogène d’être proposé à des prix équivalents à ceux des véhicules thermiques, dont la fin est programmée en 2035. Symbio projette de construire un deuxième site de production en France en 2028 afin de doubler ses capacités de production.

"À horizon 2030, nous pourrions produire une centaine de mégawatts par an, soit 40 tonnes/jour, qui couvriraient une grande partie des besoins de la Vallée de la chimie", affirme Frédéric Storck, directeur transition énergétique et innovation de CNR, premier producteur français d’électricité 100 % renouvelable produite notamment à partir de barrages hydroélectriques situés sur le Rhône. CNR se retrouve ainsi en première ligne pour fournir l’électricité nécessaire à la production d’hydrogène vert.

ZEV2, fer de lance de la mobilité

La Région veut inscrire son projet de gazoduc d’hydrogène vert dans un maillage européen. "Nous mobilisons les industriels dans ce futur écosystème, qui permettra le transport à plus grande distance grâce aux infrastructures de GRTgaz", précise Thierry Kovacs. Pour irriguer plusieurs zones industrielles, le démonstrateur Hypster de Storengy, filiale d’Engie spécialisée dans le stockage souterrain de gaz naturel et situé à Étrez (Ain) prévoit un stockage en cavités salines avec un objectif de 44 tonnes en rythme de croisière. Le budget total de l’investissement s’élève à 13 millions d’euros.

Le gazoduc d’hydrogène vert passera par la vallée de la chimie qui accueille un autre projet majeur de la région : ZEV (Zero Emission Valley). Premier projet européen prévoyant le déploiement simultané de stations à hydrogène et de véhicules, ZEV, lancé en 2018, a pour objectif d’amorcer la filière hydrogène en Auvergne-Rhône-Alpes à travers la mobilité décarbonée hydrogène. Pour y parvenir, la Région, Engie, Michelin, la Banque des Territoires et le Crédit Agricole ont créé la SAS Hympulsion, détenue à 33 % par l'Auvergne-Rhône-Alpes. Dotée d’un budget de 70 millions d’euros, Hympulsion prévoit d’ici fin 2024, le déploiement d’une vingtaine de stations hydrogène, de 450 véhicules légers à pile combustible zéro émission et de l’ordre de 115 bus, camions et autocars. La montée en puissance de l’écosystème de transport décarboné reposera sur la construction d’infrastructures de production, de stockage et de distribution d’hydrogène vert. “Ce projet a pour objectif de faire d’Auvergne-Rhône-Alpes la région pionnière de la mobilité hydrogène en France et l’un des premiers territoires neutres en carbone au niveau européen”, déclare Thierry Kovacs, vice-président en charge de l’environnement et de l’écologie positive à la Région.

Un projet d'installation de 18 stations d'ici fin 2024

Pour alimenter les utilitaires hydrogènes, la Région est donc en train de se doter d’un réseau de stations grâce à des spécialistes comme HRS, Atawey et McPhy, tous situés en Auvergne-Rhône-Alpes. "Nous avons lancé un appel d’offres Européen en 2020 pour la fabrication et l’installation de stations hydrogène et avons conclu un accord-cadre avec un groupement comprenant McPhy, HRS et Atawey pour la livraison des premières stations", avance Jean-Christian Beaumont, directeur général d’Hympulsion. La station de Chambéry fonctionne depuis deux ans déjà, ainsi que les stations de Saint-Priest et Moutiers depuis le début de l’année, tandis que 3 autres stations seront mises en service cet été. Hympulsion a le projet d’installer 18 stations d’ici la fin de 2024.

En juin, sera inaugurée la plus grande unité de production de France pour la mobilité lourde à Clermont-Ferrand, avec une capacité de 800 kg par jour, l’équivalent de 80 000 kilomètres par jour. Située dans la zone industrielle de Gravranches devrait produire de l’hydrogène renouvelable pour répondre aux usages de la mobilité légère et lourde tels que des bus hydrogène mais aussi pour alimenter le site industriel de Michelin.

Modèle intégré

Malgré le volontarisme de la région, la filière de l’hydrogène, en pleine structuration, souffre encore d’un manque de compétences humaines et de PME capables de produire les composants dont elle a besoin. C’est la raison pour laquelle l’entreprise savoyarde GCK, groupe industriel de 10 sociétés spécialisé notamment dans le rétrofit de véhicules utilitaires et de bus a choisi “d’être un accélérateur de technologie et de solutions dans un secteur à faible maturité”, selon Eric Boudot, son directeur général. Créé en 2020, son modèle intégré réunit la production et la distribution d’hydrogène, le rétrofit de véhicules et une activité d’équipementier (production de piles à combustibles, de moteurs à combustion hydrogène). L’entreprise vient de boucler un tour de table (montant N.C.), avec l’arrivée d’un nouvel actionnaire stratégique, Aminvest, le véhicule d’accompagnement d’Amaury Mulliez autour des mobilités d’avenir pour financer la construction d’un nouveau site dédié à la distribution d’hydrogène, qui visera à favoriser l’émergence d’écosystèmes hydrogène, réunissant les activités de production de batteries lithium et le développement de prototypes pour l’activité rétrofit électrique et hydrogène.

Autre frein au développement de la filière pour le moment, la faiblesse de la demande. “Le démarrage sur un marché encore immature est compliqué parce qu’il faut développer la technologie tout en l’industrialisant alors que la demande est encore faible”, confie Jean-Baptiste Lucas, directeur général de McPhy (70 salariés ; 16,10 M€ de CA en 2022), entreprise grenobloise qui conçoit et fabrique des électrolyseurs pour la production d’hydrogène vert ainsi que des stations de distribution.

Composer avec un marché encore immature

La Région en est consciente : seule une quarantaine de véhicules utilisent la station Hympulsion de Chambéry depuis son installation en 2020. Et elle a dû prolonger son appel à manifestation d’intérêt (AMI) de trois mois destiné à aider les entreprises et collectivités à acheter des véhicules à hydrogène. Seuls 100 véhicules d’entreprises avaient été commandés à la fin de l’AMI, alors que la Région visait à en financer 450. La raison de ce manque d’intérêt ? "Les véhicules sont encore chers. Des subventions sont proposées par la Région Auvergne Rhones Alpes, l’Ademe et l’Etat pour minimiser les écarts à l’achat, en attendant la mise en œuvre de l’industrialisation des unités de production de Stellantis, Hyvia, Iveco attendus en 2024/ 2025", reconnaît Jean-Christophe Beaumont, d’Hympulsion. Une demande encore poussive qui s’explique également par le prix élevé de l’hydrogène lui-même : 12 à 13 euros le kg. De nombreux acteurs attendent un coup de pouce des pouvoirs publics pour le rendre compétitif, à un prix estimé de 8 euros.

Côté industriel, même problématique pour les entreprises qui souhaiteraient réduire leur empreinte carbone, puisque le coût de production de l’hydrogène bas carbone par électrolyse coûte 2 à 3 fois plus cher que le vaporeformage à partir d’énergies fossiles (94 % de la production d’hydrogène selon France Hydrogène).

"Pour accroître la production d’hydrogène vert, nous devons générer davantage d’électricité issue d’électrolyseurs et d’énergies renouvelables comme les centrales photovoltaïques ", estime Séverine Jouanneau, déléguée générale de Tenerrdis, pôle de compétitivité des énergies renouvelables. À horizon 2030, le potentiel de la région avoisinerait 161 000 tonnes d’hydrogène par an … en grande majorité de l’hydrogène gris, issu des hydrocarbures.

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