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Tawhid Chtioui : « Je veux faire de l’EM Lyon une école à impact »
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Tawhid Chtioui directeur général d’EM Lyon Business School Tawhid Chtioui : « Je veux faire de l’EM Lyon une école à impact »

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Moins de trois ans après son arrivée dans la maison, Tawhid Chtioui, 41 ans, est propulsé président du directoire et directeur général d’EM Lyon Business School. Professeur en management de la performance, ce Tunisien arrivé en France après son bac se targue d’un parcours académique sans faute. Jusqu’à la création du campus de l’école à Casablanca, passé de 2 salariés et 15 étudiants à une équipe de 30 personnes pour 1 000 apprenants. Son ambition pour l’EM Lyon : en faire une école à « impact ».

La candidature de Tawhid Chtioui a été approuvée à l’unanimité par le conseil de surveillance et le comité de nomination et de rémunération de l'école de commerce EMLyon — Photo : emlyon

Le Journal des Entreprises : Vous arrivez à la tête d’une école réalisant 95 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018 (contre 56 M€ sur 2013-2014), et qui compte 7 260 étudiants et 600 salariés dont 144 professeurs. À 41 ans, avez-vous les épaules assez solides pour piloter ce paquebot ?

Tawhid Chtioui : Je viens d’un milieu très modeste, où, enfant, la possibilité d’intégrer une école de commerce me paraissait inenvisageable. La seule chance pour financer mes études à l’étranger (il est Tunisien, NDLR) était d’avoir une bourse. J’ai mis les moyens et l’énergie nécessaires pour y arriver. À 12 ans, je rêvais d'étudier à Paris-Dauphine, j’aimais déjà « entreprendre » : j’ai vendu ma première brochure à 13 ans pour donner des cours de soutien à des élèves de primaire et gagner de l’argent de poche. Plus tard, j’ai décroché une bourse pour financer ma thèse à Dauphine. Je voulais devenir enseignant-chercheur. J’ai construit mon parcours pour pouvoir, à 40 ans, diriger une bonne école de taille moyenne et, à 45 ans, prendre les rênes d’une école comme l’EM Lyon… J’ai simplement cinq ans d’avance !

Comment s’est déroulée votre nomination à la tête de l’école ?

T.C. : Bernard Belletante m’avait dit qu'il cherchait un remplaçant et que j’avais toutes les qualités nécessaires pour postuler. C’était une surprise car je venais d’arriver à l’EM Lyon. Ma candidature a été examinée par le comité de nomination et de rémunération, et les membres du conseil de surveillance dont Bruno Bonnell (président du conseil de surveillance), Emmanuel Imberton (CCI), Philippe-Loïc Jacob (président d’Eco-Emballages) et Harry Touret (directeur général adjoint du groupe Seb).

Votre profil de « développeur » a séduit Bernard Belletante, président du directoire d'EM Lyon jusqu'à votre prise de poste le 1er avril. Qu’avez-vous déployé à Casablanca ?

T. C. : Quand on ouvre un campus en partant d’une feuille blanche, on peut tout réinventer. En France, on subit la dictature de la standardisation, la pression des accréditations et l’on ne fait que dupliquer ce que font les meilleurs. En Afrique, si l’on duplique ce qui existe, cela ne marche pas. Je suis arrivé à Casablanca un mois avant de prendre mes fonctions. J’ai passé 40 demi-journées aux côtés de 40 dirigeants, tous contactés par ses soins. J’ai aussi étudié 12 500 offres d’emploi parues au Maroc sur les quatre dernières années pour comprendre l’évolution des métiers, les besoins en compétences. J'ai assisté et participé à des conférences. Au Maroc, il existe un enjeu très fort d’accès à l’éducation : le taux de chômage atteint 26 % à la sortie de l’université, et seules 29 % des femmes occupent une activité, une proportion qui n’a pas bougé depuis 1996… Mon idée en tant que patron de l'antenne de l’EM sur place était de répondre à ces problématiques.

Quelle est votre vision concernant le projet pédagogique de l’école ?

T. C. : Comme membre du comité exécutif de l’école, j’ai été très impliqué dans les grands chantiers de l’école, notamment depuis un an. Quand on vient de l’extérieur, on ne connaît que ce que les gens vous racontent. Là, je baigne dans l’EM Lyon. Je connais plutôt bien le fonctionnement de l’école, cela me fait gagner du temps et me permet d’arriver avec un diagnostic, des priorités, et une vision. Je considère que l’avance de l’école sur le terrain de la pédagogie est exceptionnelle. Il ne faut pas la perdre.

Quelle empreinte personnelle souhaitez-vous laisser auprès des étudiants d’EM Lyon ?

T. C. : Nous travaillons dans l’éducation : la seule promesse que je veux faire aux entreprises concernant les jeunes qui sortent d’ici, c’est qu’ils auront une considération pour la dimension "responsabilité éthique" sans se limiter à l’impact financier et économique. Mais ce n’est pas en délivrant des cours d’éthique qu’on parviendra à ce résultat. Je cherche à impacter les étudiants car, cinq ans après leur sortie, tout aura bougé. Mais les valeurs et l’éducation forte ne changeront pas. Nous avons monté un groupe de travail avec des professeurs pour réfléchir à la façon dont pourrait intégrer cette dimension dans l’enseignement. Je veux que l’on soit pionnier sur cet aspect. Cela peut sembler désuet, mais pour moi c'est important.

Quelle sera votre stratégie à l'international ?

T. C. : D’un point de vue « organisationnel », nous avons ouvert un campus en Inde et sommes sur le point d’en ouvrir un en Amérique du Sud. L’idée sur ce point est de passer d’une logique où l’on calque à une logique de connexion. D’ici quatre à cinq ans, l’étudiant d’EM Lyon sera chez lui dans tous nos campus, accédant à la même qualité d’expérience apprenante dans tous les pays, un enseignement fluide et sans rupture de charge d’un continent à un autre. Quand on en sera là, on aura réussi la globalisation de l'école.

EM Lyon, créée par la CCI, est historiquement au service du territoire et de ses entreprises. Quel sera le style « Chtioui » sur ce point ?

T. C. : Je porte un intérêt soutenu à l’Afrique, un continent où la Chine pèse déjà pour 30 % dans les investissements. L’Empire du Milieu a trente ans d’avance sur la France. Je souhaite que qu’EM Lyon soit présente à travers l’implantation de « connecteurs » où les dirigeants pourront rencontrer les bons interlocuteurs. Ces hubs seront des points d’accélération pour permettre aux entreprises françaises de comprendre les enjeux et leur faire gagner trois mois. Nous proposerons des programmes d’accompagnement, d’immersion, des séminaires, visite d’entreprises. Nous réfléchissons à la mise en place de rencontres en face à face avec des hommes d’affaires venant de toute l’Afrique à la rencontre de délégations de dirigeants lyonnais.

EM Lyon jouerait-elle, sur place, le rôle d’une CCI ?

T. C. : Pas tout à fait. Nous sommes d’abord dans la production du savoir, dans la formation. L’idée est de créer des liens qui, combinés à notre capacité à synthétiser et à théoriser, nous permettront d’être impactants.

Que devient l’ancien directeur général, Bernard Belletante ?

T. C. : Bernard Belletante demeure vice-président du conseil de surveillance et conserve des missions de conseil pour le Hub de Gerland et la construction du campus en 2022. Il sera également gérant de la SCI EM Lyon 2022.

L’école va prendre son indépendance et se détacher de la CCI en devenant une société anonyme. Comment se passe la levée de fonds ?

T. C. : Nous sommes en discussion avec plusieurs partenaires (dont Bpifrance, NDLR). À très court terme, les salariés pourront entrer dans le capital de l’école à hauteur de 10 %. Les anciens diplômés viendront plus tard.

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