Loire-Atlantique
Seconde main : les entreprises explorent de nouveaux modèles dans les Pays de la Loire
Enquête Loire-Atlantique # Services # Engagement sociétal

Seconde main : les entreprises explorent de nouveaux modèles dans les Pays de la Loire

S'abonner

En 2023, les entreprises du réemploi ont occupé le devant de la scène. Elles lèvent des fonds, s’agrandissent et se développent sur d’autres territoires. Mais malgré leur essor impressionnant, ces sociétés se confrontent à des freins et des problèmes de standardisation. Les modèles économiques doivent être taillés sur mesure afin d’atteindre l’équilibre.

Claire Bretton, Léa de Fierkowsky et Laura Chavigny, cofondatrices de la start-up Underdog — Photo : Twin Pics 

Il est souvent vu comme un double avantage. À la fois bon pour la planète, et bon pour le portefeuille des consommateurs. Le réemploi s’infiltre désormais dans toutes les filières : le textile, l’électroménager, la construction, l’électronique, le médical… Il ne s’agit plus d’une niche et les chiffres l’attestent. À l’échelle mondiale, ce ne sont pas moins de 105 milliards d’euros qui sont générés par le marché global de la seconde main, selon une étude de 2022 réalisée en collaboration avec le cabinet de conseils Wavestone. Cette dernière révèle également que le marché de l’occasion au niveau mondial a connu un essor de 22 % par rapport à 2020.

Et la France semble tirer son épingle du jeu. Elle représenterait par exemple, selon le cabinet Roland Berger, environ 8 % du marché global de la seconde main dans la mode et le luxe. Un des principaux tournants est la loi AGEC (Anti-gaspillage pour une économie circulaire), promulguée en 2020, qui oblige les appels d’offres publics à prendre en compte le taux de réemploi. "Dix-sept familles de produits ont été ciblées. Ces commandes donnent aujourd’hui l’impulsion aux entreprises de se tourner vers ces marchés", analyse Jean-Michel Buf. Ce dernier porte la casquette de président du Conseil national de l’économie circulaire (une instance du ministère de la transition écologique), ainsi que celle de conseiller régional des Pays de la Loire.

Un territoire local attractif

À une échelle plus locale, la région des Pays de la Loire se distingue avec un appel à projets lié à l’économie circulaire depuis 2018. Environ 200 lauréats ont aujourd’hui bénéficié de ce dernier. "Nous avons un temps d’avance. Ce soutien permet de donner un premier coup de pouce sans lequel certains modèles économiques auraient eu du mal à voir le jour", témoigne Jean-Michel Buf. Ce financement a pu bénéficier à des entreprises comme Bout' à Bout', qui souhaite remettre sur pied le réemploi des contenants en verre, ou comme Redeem Medical, qui s’est donné pour objectif de reconditionner les attelles gardées au fond des placards.

Au sein de la région, la ville de Nantes veut également peser et se revendique elle-même "terre de réemploi". La Métropole souhaite d’ailleurs lancer un fonds d’un million d’euros destiné au secteur. Il ciblera quatre filières économiques : les matériaux composites carbone, la mode durable, le numérique, et les matériaux de construction. L’objectif est de financer cinq projets par an entre 2024 et 2026.

Une taille à prendre en compte

Dans la région les entreprises peaufinent peu à peu leurs modèles économiques. Exemple de la marche en avant du secteur, l’entreprise Largo, basée à Sainte-Luce-sur-Loire et qui reconditionne des smartphones, a vu son chiffre d’affaires passer de 9 millions à 21 millions d’euros entre 2019 et 2022. "Le marché du reconditionné a émergé à partir de 2015, car il n’y avait plus de rupture technologique dans les nouveaux modèles de téléphone", indique Christophe Brunot, fondateur et directeur général de Largo. De plus, le prix des produits s’est envolé. Fondée en 2016, Largo regardait outre-Atlantique à ses débuts pour s’approvisionner en smartphones d’occasion. "Au départ, il n’y avait pas de filière de collecte en Europe, à l’inverse des États-Unis, où les téléphones sont fournis en leasing avec des abonnements. Les utilisateurs ont donc l’habitude de changer souvent pour avoir le dernier modèle", précise le DG de Largo. Ce procédé engendre d’énormes gisements de smartphones, qui s’acquièrent ensuite via des courtiers internationaux.

Mais depuis 2022, Largo a changé son fusil d’épaule pour pivoter vers la collecte en circuit court, et ainsi aligner son modèle économique avec sa RSE. "Il y a aujourd’hui de plus en plus de programmes de reprise chez les opérateurs du territoire", se réjouit Christophe Brunot. Dorénavant, l’approvisionnement via les courtiers internationaux ne représente plus qu’entre 30 à 40 % des activités de Largo. "Nous avons gagné 10 points de pourcentage sur notre bilan carbone avec cette stratégie", poursuit Christophe Brunot.

Du côté d’Underdog, société nantaise qui a levé 3,8 millions d’euros début 2023, la problématique est tout autre. "Sur notre e-shop, nous avions commencé par proposer à nos clients des lave-linge, des sèche-linge et des lave-vaisselle reconditionnés. Puis, l'été dernier, nous avons proposé des réfrigérateurs, puis à l’automne des congélateurs", expose Claire Bretton, cofondatrice et présidente d’Underdog. Mais le transport de ces machines ne s’envisage pas comme celui d’un téléphone. "90 % de nos produits proviennent de distributeurs. Ce sont de gros volumes et nous pouvons viser un approvisionnement à l’échelle nationale. Mais les 10 % restants proviennent de particuliers. Pour ces retraits à l’unité, nous ne pouvons opérer qu’à Nantes et les proches alentours", commente Claire Bretton.

Du sur-mesure pour chaque business

D’ailleurs, pour des produits encore plus volumineux, l’équation économique du réemploi pourrait bien finir par coincer. En témoigne le groupe Gautier (120 M€ de CA l’année dernière), qui compte 750 salariés et 3 sites de production de meubles en Vendée. Le groupe s’est intéressé à la seconde main, mais n’a pas trouvé de business model viable. Transporter des meubles lourds et volumineux pour les réparer ou les revendre s’avère pour l’instant trop compliqué. L’entreprise a néanmoins trouvé un début de solution avec Izidore, une market place entre particuliers spécialisée dans les meubles et qui a la volonté de travailler avec les marques. Notamment en permettant de certifier qu’un meuble Gautier en est bien un, et non une contrefaçon. "Nous avons conclu un partenariat en 2022. Izidore se rémunère via une commission prélevée sur les transactions", précise Julien Gauducheau, responsable communication du groupe Gautier. "Cela ne représente pas une nouvelle source de revenus pour nous, mais permet de proposer un service supplémentaire à nos clients, et de faire la promotion de la durabilité des meubles Gautier", témoigne-t-il.

Réussir le passage à l’industrialisation

Si le textile ou la téléphonie font figure de proue sur ce marché du réemploi, d’autres filières avancent encore à tâtons. L’expérience du terrain s’avère alors nécessaire afin d’établir un business plan détaillé. C’est le cas de Redeem Medical. "Suite à une première expérimentation, nous avons pu voir que 87 % des Français avaient la volonté de se débarrasser des attelles qu’ils avaient, sans contrepartie financière", commente Clémence Cornet, fondatrice et dirigeante de Redeem Medical.

Si la barrière de l’accès au gisement est passée, reste celle du modèle économique. Le prix d’une attelle pouvant varier entre 15 et plus de 100 euros… "C’est le volume et le passage à une phase d’industrialisation qui assurera notre modèle économique. Sur certaines attelles, nous ferons peu de marges. Rapidement, nous saurons quels produits privilégiés en expérimentant. Le temps passé par produit sera déterminant", témoigne-t-elle. Car derrière le bon sens du réemploi, l’équation économique est intimement liée au temps humain nécessaire à la gestion d’un gisement disparate.

Pour Bout' à Bout', le recours à des innovations technologiques aura été nécessaire pour rendre leur première usine de lavage de contenants en verre viable économiquement. Des détecteurs permettent par exemple d’identifier automatiquement les bouteilles qui pourraient contenir des microfissures ou des bulles d’air.

Un modèle économique local et non délocalisable ?

La majorité des acteurs, notamment les collectivités, mettent en avant l’assurance d’emplois locaux et non délocalisables avec le réemploi de produits et matières déjà présents sur le territoire. "Le modèle économique ne fonctionne que dans une démarche locale", appuie d’ailleurs Yann Priou, directeur général de Bout' à Bout'. L’entreprise ambitionne ainsi de créer de nombreuses unités de lavage de bouteilles à travers la France, au lieu d’un seul et unique gros hub qui induirait des coûts de transport et une empreinte carbone trop importants. "Nous avons des projets ailleurs qui pourraient voir le jour d’ici un à deux ans. Il faudra pour cela intégrer des industriels et des acteurs locaux pour chaque territoire", poursuit Yann Priou.

Mais pour d’autres produits avec plus de valeur ajoutée, comme les téléphones, la question demeure plus ouverte. D’ailleurs Christophe Brunot fulmine d’être parfois noyé par des reconditionneurs étrangers sur des plateformes de vente, comme Back Market pour ne pas la citer : "Certains ne jouent pas vraiment le jeu, car le consommateur ne voit que peu la différence entre nos produits, reconditionnés en France avec un service après-vente fiable et une garantie solide, et ceux qui proviennent de l’autre bout du monde, sans garantie de pouvoir le renvoyer en cas de problème". Pour se distinguer de cette concurrence, Largo envisage en 2024 de miser sur son propre site, Largo.fr, et sur ses partenariats avec les opérateurs, comme celui noué avec Orange en juin 2023.

L’angle mort de la formation

Largo se démarque aussi avec une expertise qui lui permet de reconditionner un maximum de pièces des smartphones collectés. "Par exemple, nous avons un responsable capable de réparer les outils de reconnaissance faciale ou tactile. Pour le remplacement des optiques, nous avons deux autres experts. Nous avons également un pôle dédié aux soudures, afin de pouvoir remplacer une puce sur une carte mère. Ce sont des compétences rares en France, témoigne Christophe Brunot. Ces expertises sont notre force". Mais la formation se réalise pour l’instant en interne, au sein de l’entreprise. Et aucun cursus qualifiant ne permet de recruter des salariés avec ces compétences. "J’ai déjà eu des échanges avec la chambre des métiers de Nantes afin de créer des formations, mais cela reste pour l’instant très embryonnaire", poursuit le dirigeant.

Pour la réparation des machines à laver d’Underdog, le manque de main-d’œuvre qualifié se fait aussi sentir. "Nous comptons aujourd’hui 15 réparateurs à l’atelier, et prévoyons 25 recrutements en 2024", prévoit la dirigeante. Pour faire face au manque de techniciens sur le territoire, Underdog a mis en place une formation en interne qui leur permet de recruter des personnes en reconversion professionnelle. "On ne demande pas de diplôme, mais une appétence forte pour ce métier. Notre chef réparateur, un technicien très expérimenté, pilote cette formation qui dure trois mois, précise Claire Bretton. La réparation, le reconditionnement, la seconde main, sont des métiers de demain. C’est une nouvelle industrie qu’il faut soutenir".

Le son de cloche est similaire du côté de l’enseigne vendéenne Happy Cash. Elle compte 1 200 salariés, et réalise 126 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022 (+ 8 % par rapport à 2021). L’entreprise se revendique leader européen de produits d’occasion. Elle a développé Happy Troc, un service pour vider les maisons, trier les objets et ensuite les jeter, les réparer et exposer en magasin les produits bons pour la vente. "Nous avons notre propre centre de formation en interne certifié Qualiopi. Nous assurons un accompagnement complet pour l’ensemble des franchisés qui intègrent le réseau. Nous partageons ainsi notre expérience sur l’organisation des flux, le sourcing des produits, et les approvisionnements", témoigne Pascal Lebert, président du groupe Happy Cash.

Une garantie pour rassurer et se différencier

Grâce à ces pôles d’expertise technique, Largo garantit ses modèles 24 à 48 mois. De son côté, Underdog s’engage sur une garantie de deux ans pour son électroménager. Cette garantie semble aujourd’hui un passage obligé afin de rassurer les clients. Et pour que seconde main ne rime pas avec mauvaise surprise. D’ailleurs, le constat est le même du côté d’Happy Cash. "Le bémol de sites comme Le Bon Coin est qu’il n’y a pas de vérification de la qualité des produits, ou au niveau des paiements. Nos magasins sont tenus à un registre qui assure la traçabilité complète des produits. Nous avons, par ailleurs, l’obligation de garantir les produits un an et nous proposons une extension de garantie qui ira prochainement jusqu’à 10 ans. Ce sont des points très différenciants" commente Pascal Lebert.

Encore du chemin à parcourir

Ces dernières années, la filière a grandi. Le réemploi devient peu à peu une évidence. Mais il reste encore à faire avant que la seconde main ne devienne une véritable norme de consommation. "Aujourd’hui, un smartphone sur cinq est vendu en reconditionné. Je pense que nous pourrons à terme atteindre les 50 %", projette Christophe Brunot. En janvier 2025, de nouvelles familles de produits seront concernées par la loi AGEC, comme les aides techniques (fauteuils roulants, lunettes, attelles…). "Les patients sont prêts. Les professionnels de santé aussi. Nous discutons avec l’assurance maladie autour du remboursement des attelles reconditionnées. Mais nous restons dans l’attente de la parution d’un décret, afin d’obtenir l’homologation nécessaire pour le retraitement de ces dispositifs médicaux", regrette Clémence Cornet.

Trouver sa place aux côtés des associations

Pour développer davantage le réemploi, il faudra encore lever certaines barrières réglementaires. Mais aussi prévenir des effets pervers qui pourraient se manifester. Car les premiers conflits autour de l’usage des ressources ont pu être décelés, notamment entre des entreprises et des acteurs l’économie sociale et solidaire. Il faudra donc éviter le choc avec des associations, habituées au terrain de la seconde main depuis longtemps. "Nous sommes sur un marché libre et concurrentiel, et il va falloir rapidement mieux définir les règles du jeu", prédit Jean-Michel Buf.

Loire-Atlantique # Services # Industrie # Engagement sociétal # Transition écologique # Créations d'emplois