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Les écoles de production boostent le recrutement en Normandie
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Les écoles de production boostent le recrutement en Normandie

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Afin de faciliter le recrutement dans les entreprises industrielles, le territoire normand a vu naître une dizaine d’écoles de production, dans des secteurs aussi variés que la métallurgie, le bois ou les métiers du textile et de l’habillement. Certaines entreprises font elles, le choix d’ouvrir leur propre école de production et/ou de formation en interne afin de faire monter leurs salariés en compétences.

L’école de production Fil en Normandie à Condé-en-Normandie a été inaugurée par l’ancienne Première Ministre Elisabeth Borne, le 15 mars 2024 — Photo : Isabelle Evrard

Région fortement industrielle, la Normandie ne comptait pas ou peu d’écoles de production jusqu’à récemment. Si la première école de production normande dédiée aux métiers de la restauration a ouvert en 2014 à Petit-Quevilly (Seine-Maritime), elles sont aujourd’hui dix à émailler le territoire, dont trois ouvertes courant 2023. Dans l’Orne, l’École de production industrielle de Flers Agglo Epifa 61 qui prépare au CAP de conducteur d’installation de production a ouvert ses portes en septembre 2023 ainsi que la Metal Academy à Colombelles (Calvados) qui forme au métier de soudeur. Dernière en date à avoir été inaugurée, le 15 mars 2024, l’école de production Fil en Normandie basée à Condé-en-Normandie (Calvados) et dédiée aux métiers de couturier ou de mécanicien en confection. La Normandie compte également l’école de production Lemonnier "100 % Bosco" à Caen (métiers du bois), Usin’Eure à Évreux (métiers de la métallurgie), l’école des Semeurs à Mesnil-en-Ouche dans l’Eure (vente de fruits et légumes), ou encore l’école de production Garage mécanique auto à Argentan (Orne) préparant aux métiers de maintenance des véhicules.

Répondre à la pénurie de main-d’œuvre

Fil en Normandie prépare les élèves aux métiers de la couture et de l’habillement — Photo : Isabelle Evrard

Ouverte en octobre 2023, Fil en Normandie accueille déjà cinq élèves âgées de 15 à 18 ans qui se destinent aux métiers de la couture, dont une jeune fille inscrite au concours du Meilleur Apprenti de France. À terme, douze élèves pourront être formés par classe. "J’ai postulé pour cette école, car la formation est adaptée pour chaque élève. Nous sommes en petit comité, donc la formatrice peut nous aider au cas par cas", commente Prisca, élève de la première promotion, qui apprécie de "créer quelque chose avec ses mains". Toutes se félicitent de la solidarité existant entre les différents élèves : "c’est comme si on avait une deuxième famille. On s’entraide".


Initié en 2021 par des professionnels de la filière textile et habillement et des élus de l’Intercom de la Vire au Noireau, le projet Fil en Normandie a maturé deux ans avant d’être concrétisé. "Le projet répond à des pénuries de main-d’œuvre dans l’industrie. Rien qu’en Normandie, nous avons recensé 276 projets de recrutements potentiels dans la filière textile", a confirmé Hervé Morin, président de la Région Normandie lors de l’inauguration de l’école le 15 mars 2024. 
L’école de production Fil en Normandie repose sur trois principales sources de financement : la Région Normandie qui subventionne à hauteur de 5 000 euros par an chaque élève, l’État via la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités. Le dernier tiers repose sur les recettes de la production des élèves. "Notre objectif à cinq ans est d’arriver à 15 000 euros de frais de fonctionnement par élève" explique la directrice de l’école Gwénaëlle Gautier en quête de partenaires industriels potentiels pour les futures commandes à l’école. Parmi ceux déjà engagés, certains ont œuvré dès l’origine et investi financièrement dans la réussite du projet à l’instar de la société Filix, spécialisée dans le fil guipé (fils assemblés et combinés) à Condé-en-Normandie (110 salariés, 22 millions d’euros de CA) : "Le recrutement dans les métiers du textile est difficile et investir dans une école de production dédiée au secteur était capital. Nous vivons une époque où le textile est en train de se réveiller en France", confirme le directeur de l’entreprise Étienne Moreau qui mise autant sur la formation technique que sur la partie "savoir-être" des écoles de production. "Dans ce type d’école, les élèves fabriquent ce qu’ils vont vendre. La reconnaissance de leur travail est immédiate d’où une motivation accrue du côté des élèves", ajoute le directeur en précisant qu’il a d’ores et déjà commandé à l’école de production des sacoches pour ses techniciens.

Pallier les difficultés de recrutement

L’école d’usinage du Cotentin a été créée par trois entreprises spécialisées dans l’usinage : Chantreuil à Picauville, Leblanc SA et Hag’Tech à La Hague — Photo : DR

Autre territoire, autre modèle. Dans la Manche, ce sont trois entreprises spécialisées dans l’usinage qui sont à l’origine de l’école d’usinage du Cotentin, installée à Valognes depuis 2020 : Chantreuil à Picauville, Leblanc SA et Hag’Tech à La Hague. Une initiative saluée par Philippe Eudeline, président du réseau Normandie AeroEspace : "Nous nous félicitons que les entreprises prennent le problème des formations et de l’emploi à bras-le-corps. Notre secteur doit encore travailler pour rendre les métiers industriels plus attractifs auprès des jeunes et parvenir à combler la pénurie de profils adaptés aux besoins en recrutement qui sont bien réels et malheureusement pas assez pourvus, commente-t-il. Nous encourageons ce type d’initiatives, tout comme les entreprises qui ouvrent leurs propres sessions de formation. Elles complètent efficacement les dispositifs de formation classiques, ainsi que les formations labellisées que nous avons mises en place".


L’école, qui a reçu le soutien de la Région Normandie, de la CCI Normandie et de l’UIMM Manche, s’adresse aux jeunes de 15 à 18 ans qui peuvent y préparer le CAP CIP (Conducteur d’Installations de Production) en deux ans. Ils ont ensuite la possibilité de poursuivre en Bac professionnel Technicien en réalisation de produits mécaniques (deux ans supplémentaires). "Le travail en lien quotidien avec les entreprises du secteur, par les commandes en sous-traitance, permet à nos jeunes d’être connus des professionnels et de garantir leur insertion professionnelle" souligne Thomas Blin, directeur de l’école. L’école a scolarisé 56 élèves depuis 2020, soit en moyenne 11 élèves entrants chaque année, et enregistre un taux de réussite de 91,8 % aux examens sur trois ans.

Une alternative au parcours scolaire classique

L’école repose sur le principe de "Faire pour apprendre" : alternative à l’apprentissage, la formation comporte deux tiers du temps en conditions réelles au sein de l’école où les élèves travaillent en sous-traitance, sur des projets concrets, pour des industriels locaux, ce qui représente un nombre d’heures de pratique supérieur au parcours classique. Le tiers restant étant consacré à l’enseignement théorique. "Cette pédagogie singulière permet aux élèves d’évoluer en situation réelle et ainsi de faire face à des contraintes de temps et de délais, de coûts et de qualité qu’ils doivent respecter afin de garantir la pleine satisfaction des clients. Cela permet de les responsabiliser, de les motiver et de développer leur confiance en eux" ajoute Thomas Blin.

En termes de qualification, la valeur ajoutée d’une école de production réside dans son mode de fonctionnement : les élèves produisent des pièces qui ont été commandées par des industriels locaux, avec les mêmes impératifs qu’une entreprise : compréhension du besoin client, respect des contraintes de qualité et de délais, apprentissage d’un savoir-être en entreprise. En outre, les élèves travaillent sur des équipements semblables à ceux que l’on retrouve chez les sous-traitants locaux, ce qui permet une intégration plus rapide à leur sortie de l’école. L’école est ainsi équipée de trois tours numériques, d’un tour conventionnel, de trois centres d’usinage numérique et d’une fraiseuse conventionnelle.

Un fort taux de réussite

Pour autant, l’école d’usinage du Cotentin n’a pas vocation à se substituer aux lycées professionnels mais, selon Arnaud Buret, dirigeant de Leblanc SA, "de proposer à des élèves décrocheurs une alternative au parcours scolaire classique dans lequel ils ne se retrouvent plus". Au global, l’école a nécessité un investissement de plus d’un million d’euros financé notamment par la Fondation Total, la Fédération Nationale des Écoles de Production (FNEP) et la Région Normandie. Le fonctionnement de l’école nécessite un financement pérenne qui passe, d’une part, par la vente de sa production pour un tiers environ, et d’autre part par la taxe d’apprentissage et le mécénat. "Nous appelons les entreprises locales à s’impliquer dans notre projet d’intérêt général, soit par une aide financière soit en nous confiant la production de pièces simples" précise Rodolphe Chantreuil, dirigeant de Chantreuil Mécanique.

Autre atout de l’école de production manchoise : les enseignants sont des maîtres professionnels issus du monde de l’industrie qui ont pratiqué le métier durant des années : chef d’atelier, responsable de production…

Les résultats positifs des écoles de production parlent d’eux-mêmes. En 2023, 90 % des élèves des 67 écoles de production françaises ont obtenu leur CAP, et 88 % leur bac pro. Plus de la moitié poursuivent leurs études et l’insertion professionnelle en fin d’études atteint le taux enviable de 95 %.

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