« Les dirigeants de PME déclarent davantage craindre le dépôt de bilan que le Covid »
Interview # Santé

Stéphanie Pauzat (CPME) et Lionel Fournier (Harmonie Mutuelle) Stéphanie Pauzat (CPME) et Lionel Fournier (Harmonie Mutuelle) « Les dirigeants de PME déclarent davantage craindre le dépôt de bilan que le Covid »

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Le contexte de crise sanitaire impacte la santé des dirigeants de PME, aggravant notamment les risques de burn-out. C’est ce que montre une récente étude réalisée par la CPME, Harmonie Mutuelles-Vyv et Amarok. Explications de Stéphanie Pauzat, vice-présidente déléguée à la CPME, et Lionel Fournier, directeur de la région Atlantique d’Harmonie Mutuelle.

Stéphanie Pauzat, vice-présidente déléguée à la CPME, et Lionel Fournier, directeur de la région Atlantique d’Harmonie Mutuelle — Photo : CPME / Harmonie Mutuelle

Pourquoi avoir mené deux études, avant et durant la crise sanitaire, sur la santé de près de 2 000 dirigeants de TPE et de PME ?

Stéphanie Pauzat : On s’intéresse beaucoup à la santé des salariés et des cadres, mais il existe peu d’études sur la santé des dirigeants d’entreprise. À la CPME, il nous semblait important de creuser ce sujet et de conforter des signaux qui remontent du terrain, tels que les arrêts cardiaques, les burn-out, les suicides, mais dont il n’existe pas de chiffrage concret. D’où l’intérêt de participer à une étude commune avec Harmonie Mutuelles-Vyv et Olivier Torrès, professeur à l’Université de Montpellier et président fondateur de l’Observatoire Amarok (dédié à la santé des dirigeants, NDLR). Un travail de longue haleine, entrepris depuis trois ans.

Lionel Fournier : La prise en charge des problèmes de santé est au cœur de notre activité. Mais il nous est apparu essentiel d’intervenir aussi en amont des problèmes de santé de nos adhérents, majoritairement chefs d’entreprise de TPE et PME. Ce qui impliquait de mieux connaître les « déterminants de santé », ces facteurs qui impactent la santé des dirigeants, tels que le stress, le niveau d’activité physique, les relations interpersonnelles, l’alimentation, l’exposition à des polluants…

Les dirigeants font-ils attention à leur santé ?

Stéphanie Pauzat : Le dirigeant de PME ne se donne pas le droit d’aller mal, il fonce ! Très investi dans l’entreprise, avec un rapport quasi existentiel à celle-ci, le ou la dirigeante se voit surtout comme un pilier, un fer de lance qui donne du punch, stimule la créativité, entraîne les équipes… Les dirigeants déclarent davantage craindre le dépôt de bilan que le Covid en lui-même ! Parler de ses problèmes de santé reste tabou, d’autant plus que l’on craint que les concurrents en profitent…

Lionel Fournier : Effectivement, lorsqu’on parle santé aux dirigeants, ils répondent invariablement qu’ils n’ont pas le droit d’être malades. Or, la santé du dirigeant reste un levier important pour la durabilité des entreprises. Ces chefs d’entreprise passent leur temps à trouver des points d’équilibre entre des choses contradictoires. Pour garder le recul nécessaire, il leur faut conserver une fraîcheur d’esprit et des capacités intellectuelles au top. Une mauvaise santé, physique ou mentale, malmène la capacité à diriger. Dans la marine, un capitaine en mauvaise santé ne peut pas prendre la mer ! Loin d’être des donneurs de leçons, nous avons souhaité travailler avec la CPME, pour être au plus près des difficultés rencontrées sur le terrain et envisager des solutions pertinentes.

L’étude pointe-t-elle un risque de burn-out chez les dirigeants ?

Stéphanie Pauzat : Deux tiers des dirigeants interrogés se sentent en bonne santé physique et psychologique. Néanmoins, la moitié d’entre eux se plaint de troubles du sommeil, 22,9 % présentent des risques de burn-out - dont 10 % sont exposés à un risque aigu de burn-out. Parmi les facteurs d’amplification du risque : être employeur de main d’œuvre. Notons qu’un dirigeant sur trois se sent isolé et qu’un sur deux estime sa journée de travail stressante, voire extrêmement stressante.

"Le sentiment d’impuissance, « de se sentir coincé », les difficultés à l’endormissement se sont exacerbées pendant le confinement avec une économie qui tourne au ralenti"

Lionel Fournier : Le stress n’est pas une mauvaise chose en soi… à condition qu’il ne s’installe pas. Évoquons le « technostress », premier facteur de stress déclaré chez les dirigeants : surcharge d’informations à traiter, évolution des technologies numériques… Les dirigeants se déclarent « envahis », « surchargés ».

L’épuisement a-t-il été accentué par la crise sanitaire ?

Stéphanie Pauzat : L’étude montre que, lors du premier confinement, la part de dirigeants de PME présentant des risques forts de burn-out a augmenté et le niveau global d’épuisement est passé de 2,89 à 3,38 points sur une échelle de 1 à 7. Le sentiment d’impuissance, « de se sentir coincé », les difficultés à l’endormissement se sont exacerbées pendant le confinement avec une économie qui tourne au ralenti. D’un coup, les dirigeants n’ont plus la main sur rien ! À la posture du combattant succède un épuisement d’attente et d’entrave.

Quelles solutions pour aider les dirigeants à préserver leur santé ?

Stéphanie Pauzat : En premier lieu, il faut capitaliser sur ce qui nous fait du bien : le sport pour certains, voyager ou passer du temps en famille pour d’autres, sortir de son entreprise, intégrer des réseaux pour rencontrer ses pairs et échanger vécu et pratiques… Le chef d’entreprise ne doit pas culpabiliser quand il prend du temps pour lui, c’est indispensable. Par ailleurs, la CPME et Régions de France ont créé les Groupements de Prévention Agréés (GPA) en 2019, qui détectent les difficultés des entreprises et les aident à trouver des solutions, avant le tribunal de commerce. Ces GPA, en déploiement sur le territoire, sont dénués d’enjeux commerciaux entre accompagnants et bénéficiaires. La CPME échange également avec le gouvernement pour faire évoluer le droit en vigueur sur les dépôts de bilan (le patrimoine personnel d’un chef d’entreprise peut être engagé pendant un an) : nous proposons de faire supporter ces dettes par la personne morale et non physique. Une protection d’autant plus urgente que la crise actuelle aggrave la situation des entrepreneurs.

Lionel Fournier : Harmonie Mutuelle a mis en place un plan de report de cotisations, ainsi qu’un kit d’outillage pour la reprise d’activité après confinement comprenant webinaires et motion design d’information, affichage, accès aux masques et dispositif de confinement, solutions d’accès au test Covid pour les collaborateurs.

Des structures de soutien psychologiques existent-elles ?

Lionel Fournier : Harmonie Mutuelle est partenaire de l’Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aigue (Apesa) qui, via un numéro vert (0 805 65 50 50), offre écoute et soutien psychologique aux chefs d’entreprise confrontés à un risque de suicide. Ce dispositif est porté avec le ministère de l’Économie. Nous proposons également de l’assistance par téléphone à nos adhérents.

Comment changer de regard sur l’échec entrepreneurial ?

Lionel Fournier : Les chefs d’entreprise ont tous été confrontés à l’échec ou au risque d’échouer. Si cela est mal vécu en France, ce n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons qui intègrent l’échec comme une expérience entrepreneuriale formative. Il n’y a pas de possibilité d’entreprendre s’il n’y a pas droit à l’échec ! Mais il ne faut pas sombrer pour autant. Le risque est maximisé quand l’identité de la personne se confond avec celle de l’entreprise. Des associations de soutien existent, telles que 60 000 Rebonds (soutien des entrepreneurs en liquidation, NDLR) ou Les Rebondisseurs français (communauté d’échange de 900 entrepreneurs qui agit pour que le rebond soit un succès, NDLR).

Un chef d’entreprise qui a déposé le bilan ne devrait pas être « marqué au fer rouge » par les structures financières, la Banque de France, l’État, les dispositifs de création d’entreprise…

Stéphanie Pauzat : Il est vrai que l’échec comme élément normalisé de trajectoire entrepreneuriale n’est pas intégré en France. Un chef d’entreprise qui a déposé le bilan ne devrait pas être « marqué au fer rouge » par les structures financières, la Banque de France, l’État, les dispositifs de création d’entreprise… Encore moins avec la crise liée au Covid. Ces gens-là ont des profils d’entrepreneurs qui restent nécessaires pour relancer des entreprises en France.

Entreprendre sans s’épuiser, est-ce possible au XXIe siècle ?

Stéphanie Pauzat : Oui, à condition de trouver un juste équilibre entre la gestion de son entreprise et un temps consacré à sa santé physique et mentale. Tout chef d’entreprise doit travailler ces deux aspects s’il veut tenir durablement.

Lionel Fournier : Possible mais pas simple. Cela demande de prendre conscience de l’importance de sa santé et de l’attention à y porter. Savoir s’entourer, programmer des moments où l’on prend soin de soi, avoir son quota de sommeil, demande un peu d’organisation et de volonté. Si ce n’est pas possible tout le temps avec un agenda chargé, ça doit l’être sur la durée.

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