Le BTP veut se reconstruire un avenir
# BTP

Le BTP veut se reconstruire un avenir

S'abonner

Pour le bâtiment et les travaux publics, le coup d’arrêt lié à l’épidémie de Covid-19 a été d’une brutalité inédite : en quelques jours, partout en France, les chantiers ont été figés. Frappées par la crise sanitaire, stigmatisées par une communication gouvernementale maladroite, les entreprises du BTP ont pourtant retrouvé rapidement le chemin du travail. Et s’interrogent maintenant sur l’avenir.

Le dirigeant de l'entreprise de BTP CEP, Stéphane Wambst, a attendu que son entreprise soit capable de générer de l'activité tout en protégeant ses salariés, ses clients et les entreprises en coactivité sur les chantiers — Photo : © Jonathan Nenich

C’est une des images qui restera de la crise de la Covid-19 : la ministre du Travail, Muriel Penicaud, fustigeant au micro d’une chaîne de télévision le comportement des entreprises du BTP qui avaient décidé de cesser leur activité. « Les entreprises qui ne jouent pas le jeu, qui se disent l’État paiera, ce n’est pas du civisme », s’emportait la ministre.

Des déclarations qui laisseront des traces profondes pour une profession touchée de plein fouet par la crise sanitaire. Une crise si profonde que même l’appareil statistique de l’Insee peinait à la mesurer : en mai dernier, l’appréciation des entrepreneurs du BTP sur leur niveau d’activité se situait « à son plus bas niveau depuis que la série existe (1975) », notait l’Insee. Le coup de gueule de la ministre était motivé par des considérations pécuniaires : « l’État a compris qu’une bonne partie du bâtiment était en activité partielle et que ça allait coûter cher. Et que derrière, l’économie entière pourrait se bloquer », analysait alors le président de la Fédération des travaux publics de Lorraine, Patrice Haltebourg.

Chute de l’activité évaluée à 75 %

Avec plus de 2 millions de salariés et un poids dans le PIB national évalué à 11 %, le BTP a connu une chute d’activité de 75 % en raison de l’épidémie de Covid-19. Et ce n’est pas la publication du guide des préconisations sanitaires par l’OPPBTP qui a permis aux entreprises de retrouver le chemin du travail. Sur tout le territoire, les initiatives se sont multipliées pour tenter de comprendre comment il était possible de mener des chantiers dans le « monde d’après », un monde où s’approcher d’un collègue pour l’aider à porter une charge lourde peut valoir un séjour en réanimation.

« À chaque passage dans le vestiaire et les douches, en fin de journée, il faut tout désinfecter, pour que chacun puisse rentrer à tour de rôle, ce qui n’est pas simple à mettre en pratique. De même, pour les chantiers éloignés à plusieurs heures de route, comment les chauffeurs vont-ils se loger si tous les hôtels sont fermés ? », s’inquiétait alors Régis Binet, directeur général de l’entreprise de travaux publics Bernasconi, basée dans la Manche. Aux difficultés d’organiser le travail, s’ajoutent celles engendrées par la pénurie de masques. Aux premières heures de l’épidémie, certaines sociétés du BTP ont contribué à fournir les soignants en équipements de protection : un élan de générosité qui a rendu leur approvisionnement encore plus délicat. « Il me faut d’habitude 1 000 masques par mois, deux par jour par salarié », indique Olivier Morin, dirigeant de SR Concept et vice-président de la Fédération Française du Bâtiment de Vendée. « Le problème, c’est qu’on les a tous donnés aux soignants ». Petit à petit, les dirigeants du BTP ont trouvé les mots pour rassurer leurs équipes : ainsi, début avril, le promoteur nantais Réalités a redémarré plus d’un tiers de ses chantiers « en mode dégradé » et sur la base du volontariat. « Sur 400 salariés, seuls 150 environ sont en chômage partiel au lieu de 250 dans le cas où nous n’aurions pas relancé très progressivement nos chantiers », précise Yoann Choin-Joubert, le fondateur du groupe Réalités.

Pour le président de la Fédération du BTP de Meurthe-et-Moselle, Alban Vibrac, cette crise devra servir définitivement à tourner la page des conditions sanitaires désastreuses dans lesquelles travaillaient les salariés du BTP. « On parle de surcoûts liés à l’application des mesures sanitaires, mais ne serait-ce pas tout simplement le vrai prix d’un travail effectué dans des conditions correctes ? » Et le dirigeant de la menuiserie Vibrac de décrire les nouveaux réflexes acquis, comme la désinfection quotidienne des bases de vie, l’hygiène irréprochable dans les sanitaires ou encore l’attention portée à l’état de santé des ouvriers.

Des carnets de commandes pleins pour 2020

Reste que les mauvaises habitudes ont la vie dure : après la crise, si les prix du BTP ne sont pas descendus, ils ne sont pas repartis à la hausse. « On parle de surcoût allant de 5 à 15 % », précise Alban Vibrac. « Évidemment, il faudra se mettre d’accord pour que quelqu’un paye ». Déjà en 2019, la fédération nationale avait mis en garde sur la question des marges, qui ressortaient en moyenne à 2 % dans le BTP. Pour Alexandra Mathiolon, directrice générale du groupe Serfim, spécialisé dans les travaux publics, comme son groupe ne fait pas de fortes marges, c’est la « vigilance » qui s’impose : « Nos choix ne sont pas dictés par les coûts. Notre priorité est de protéger nos collaborateurs, en comptant sur la solidarité des clients ». Une solidarité qui reposera aussi sur le respect des engagements pris, notamment dans la sphère publique.

Les dernières données publiées montrent que la commande publique, tout secteur confondu, s’est effondrée de 4,5 milliards d’euros entre le 16 mars et le 11 mai : et le secteur de la construction va encaisser une baisse des commandes de 2 milliards d’euros sur la période. « Notre chiffre d’affaires s’élevait à 200 millions d’euros en 2019 et nous avions à peu près la même prévision pour cette année. Avec la crise sanitaire, nous envisageons une perte de 5 à 10 millions d’euros », précise ainsi Olivier Lesenne, le vice-président en charge de la construction du groupe de BTP Lhotellier, en Seine-Maritime, qui indique que si les carnets sont pleins pour 2020, la grande inconnue, c’est l’année 2021.

# BTP