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La coopérative JouéClub tire son épingle du jeu
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La coopérative JouéClub tire son épingle du jeu

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La coopérative de magasins de jouets JouéClub, basée à Bordeaux, affiche un chiffre d’affaires de 660 millions d’euros, en croissance de 4 % par rapport à 2018. Un succès discret qui rend compte de choix stratégiques au long cours. La proximité avec le client reste la pierre angulaire de l’édifice JouéClub, qui engage ses 300 magasins dans une cure de jouvence.

Les 230 adhérents de JouéClub, commerçants indépendants spécialisés en jeux et jouets, se retrouvent notamment à l'occasion de salons organisés par la coopérative, comme ici au Palais 2 l'Atlantique à Bordeaux — Photo : JDE

JouéClub va bien. Les autres acteurs du secteur moins, mais pas question pour autant de fanfaronner du côté du leader français. La discrétion est de rigueur. C’est aussi une des marques de fabrique de la coopérative Epse, l’Entente professionnelle et spécialiste pour l’enfant, créée en 1957 à Bordeaux, plus connu sous sa marque emblématique JouéClub.

Présidée par Jacques Baudoz depuis 2018 pour six ans, constituée de 230 adhérents, commerçants indépendants spécialisés en jeux et jouets, propriétaires de 300 magasins, la coopérative affiche un chiffre d’affaires de 660 millions d’euros, en croissance de 4 % par rapport à 2018. Le réseau compte 2 300 salariés, dont une centaine au siège à Bordeaux. Et en haute saison, ce sont près d’un millier de saisonniers qui viennent grossir les effectifs. « Nous avons toujours eu un développement raisonné et mesuré, toujours dans un esprit de proximité. Notre capacité d’adaptation au marché local est ainsi plus forte », se félicite le président, lui-même à la tête de deux magasins à Pontarlier dans le Doubs et d’un troisième à Champagnole dans le Jura.

327 magasins dans le monde

La France, ses outremers (Guadeloupe, Guyane Martinique, Nouvelle-Calédonie, la Réunion, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Tahiti), et la Belgique représentent 300 magasins JouéClub. Une trentaine d’autres ont été ouverts en Italie, au Maroc, au Liban et au Qatar. En Italie, une coopérative, Giocop, a également été créée : elle regroupe 26 magasins, principalement au nord de la péninsule. « Estimé à un milliard d’euros, le marché italien du jouet est trois fois moins important que le français (3,5 Md€), mais nous avons considéré en 2006 qu’il y avait de la place pour un réseau d’indépendants, aux côtés de gros faiseurs. En revanche, pour ce qui est du Liban et du Maroc, ce sont des gens qui nous ont approchés », explique Evelyne Nicolini-Luro, directrice générale. Le Maroc a ouvert 7 magasins depuis 2005, même nombre pour le Liban depuis 2009. La suite ? Des ouvertures à l’international « étape par étape, selon un développement mesuré, et à condition de trouver la bonne personne ». Des projets seraient en cours.

D'autres géants en difficulté

Au sujet de la concurrence qui ne se porte pas aussi bien, JouéClub reste sur la réserve. « On se connaît très bien, groupés ensemble au sein du GIE CSJ, Commerçants spécialistes des jouets. Nous avons créé cette entité pour collecter auprès des fournisseurs des offres différentes, qui ne soient pas sur Amazon, ni dans les supermarchés », précise le président. Ce GIE date d’à peine un an ; King Jouet, La Grande Récré et Picwic sont de la partie. Certains d’entre eux rencontrent des difficultés, à l’image de La Grande Récré ou d’un autre géant du secteur : Toys ‘R’Us, en redressement judiciaire. « On aurait préféré que le marché reste stable avec une saine concurrence. Sans quoi, la suspicion rejaillit. Alors, on préfère vous dire que l’on sait pourquoi nous allons bien, et non pourquoi les autres acteurs vont mal ».

Les pieds sur terre

L’histoire débute en 1952. À cette date trois commerçants se regroupent pour faire des achats en commun. Cinq ans plus tard, la coopérative est créée. Une clé indéniable de la réussite, selon Évelyne Nicolini-Luro, directrice générale : « Cette forme fait notre force sur le marché, nous constatons actuellement que nous sommes les mieux armés. Selon le principe très démocratique un homme une voix, les assemblées générales expriment les réalités du terrain de nos adhérents. Nous avons bien les pieds sur terre, nous ne sommes pas une structure centralisée ou dans le cloud. Nos administrateurs et notre président sont forcément des patrons de magasins ».

Le conseil d’administration détient toujours 100 % du capital. « Dans les années 1990 on pouvait reprocher à ce modèle de ne plus être adapté à la vitesse de développement réclamé par les entreprises. Pourtant, aujourd’hui on se rend compte que les commerces coopératifs – enseignes alimentaires, pharmacies, agences de voyages, immobilières, sport – représentent quand même plus d’un tiers du commerce de détail en France. Ce modèle vertueux apporte des résultats toujours supérieurs à ceux du commerce de détail traditionnel, franchisé ou intégré. Il redevient à la mode », précise le président.

Une marque phare et un site

Il a fallu attendre près de trente ans, en 1983, pour que la marque JouéClub voit le jour. « Jusqu’alors chaque magasin avait son enseigne. C’était l’époque des Lutin bleu, Coffre à jouets, Nain jaune… Pour créer un réseau et donner une image structurée, il est apparu qu’il fallait une enseigne commune. Les magasins étaient attachés à leur enseigne ; il a fallu les convaincre qu’on entrait dans une ère de communication, qu’il fallait une marque commune », rappelle la directrice générale.

Près de quinze ans plus tard, en 1997, un autre axe stratégique va faire l’objet d’âpres discussions au sein du réseau. Il s’agit de prendre le virage du e-commerce. L’âge d’or de la boutique de jouets de centre-ville s’éloigne davantage. Une des promesses du site : adresser des zones géographiques jusqu’alors hors d’atteinte, des territoires où faire connaître la marque. « À l’époque, les clients avaient encore beaucoup de réticences à payer en ligne. Les consommateurs se présentaient dans les magasins avec la page imprimée depuis le site du produit qu’ils souhaitaient voir », sourit le président. « On peut encore rendre hommage à nos prédécesseurs : il fallait quand même oser créer une filiale de vente par internet dans un réseau de commerçants indépendants ! »

Photo : JDE

Ont suivi d’autres innovations : la mise en place en 2011 du drive, devenu rapidement « click and collect », et plus récemment, en 2018, celle du site unifié à tous les magasins. « Précédemment, chaque adhérent avait son site, mais le point d’entrée était le site central bordelais qui redirigeait vers le site de proximité ». Une nouveauté qui doit porter la part des ventes en ligne à 10 % en 2021. Les derniers chiffres sont en ligne avec cet objectif : entre 2018 et 2019 cette part a progressé de 5 à 6,5 %. « Le site est construit et pensé pour apporter un appui aux magasins et générer du trafic en magasin, en web to store, c’est un outil au service des magasins et des consommateurs », martèle Jacques Baudoz. Reste que chaque magasin gère ses réseaux sociaux, principalement Facebook et Instagram, l’enseigne mettant à disposition de tous une bibliothèque d’images et de messages.

Si la digitalisation de la vente reste une préoccupation majeure du réseau, les magasins physiques font l’objet d’une cure de jouvence inédite, selon un maître-mot : le cocooning. Un premier magasin « nouvelle génération » a ouvert en juillet dernier à Pontarlier.

Une marque, des filiales

En soixante-trois ans, une seule opération de croissance externe a été réalisée : en 2009 avec le rachat de la société Pintel. Il s’agissait alors pour JouéClub de mettre le pied dans le marché des comités d’entreprise, « un métier différent du commerce de détail, bien en amont », précise le président. Basée à Paris-Nation, la filiale JP, pour JouéClub Prestige, compte parmi ses plus importants clients la RATP, la Mairie de Paris, Peugeot, Airbus… « Nos autres filiales ont été créées quand un métier se faisait jour. Par exemple, pour la vente par correspondance, nous avons la société JCE pour JouéClub Experts, que l’on appelle Joueclub.fr ». Les entrepôts de 7 000 mètres carrés de JCE sont à Bordeaux, à proximité du siège. La SIDJ, pour société internationale diffusion du jouet, est quant à elle une société plateforme sur laquelle sont référencés des produits, d’une douzaine de marques déposées telles que Cerise et Capucine, l’Atelier du bois, Cap loisirs… Sur cette société « de gros », les magasins du réseau viennent faire leurs achats. Ses entrepôts de 16 000 mètres carrés sont situés à Blanquefort. Plus confidentielle, JVB, du nom du fondateur Jean Vassel Boitel, un Bordelais qui avait un magasin rues de la Porte Dijeaux et Sainte-Catherine, dans les années cinquante, est la société d’accueil des nouveaux adhérents.

En 2019, dans le cadre d’un partenariat BtoB, JouéClub a initié un nouveau développement aux côtés du pétrolier Avia. Au sein de 15 stations essence, des « corners » JouéClub ont été installés en 2019, ils seront autant en 2020, puis en 2021, pour être présents dans 75 stations à terme. « Cette entreprise familiale nous ressemble, dans l’état d’esprit, et est composée d’indépendants », précise le président qui rappelle en outre qu’un autre pétrolier n’a pas été retenu sur cette même offre.

Un nouveau look

Si la digitalisation de la vente reste une préoccupation majeure du réseau, engagé notamment dans des cycles de formations au plus près de ses adhérents, les magasins physiques font l’objet d’une cure de jouvence inédite, selon un maître-mot : le cocooning. « Nous adaptons les magasins selon un concept tourné vers les enfants, les parents et l’animation. Des tables doivent permettre de jouer, chacun doit s’y sentir bien », décrit la directrice générale. Un premier magasin « nouvelle génération » a ouvert en juillet dernier à Pontarlier, un prototype à l’échelle 1 de 700 mètres carrés est par ailleurs à disposition des adhérents au siège. « Les nouveaux entrants, les nouveaux ouvrants seront sous ce concept », précise le président.

Prochain chantier : la RSE

Pour aller encore mieux et résister aux assauts des géants du net, quand celle de la grande distribution semble s’éroder (à 39 %, elle aurait perdu - 8 points fin 2019) le dossier RSE est dans tous les esprits. La chasse aux plastiques est en cours. Un état des lieux en matière d’achats Europe/Asie doit être affiné prochainement. Les marques françaises représentent 15 à 20 % des jouets du réseau, 30 % en prenant en compte l’intervention des designeurs et créatifs. « La Chine représente 60 %, mais on observe en 2019 que la part européenne progresse. On travaille beaucoup avec l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne. Notre volonté est de soutenir cette hausse. Pour cela, il va falloir que des savoirs faire, de l’intelligence, reviennent en Europe et en France. Que les régions réindustrialisent le jouet. En Europe, il n’y a plus de production de voiture électrique radiocommandée par exemple… ». Et le président d’insister : « cette parole est portée collectivement, par le GIE, le syndicat du jouet, l’association des créateurs et des fabricants du jouet français… » Discret et beau joueur.

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