Loire-Atlantique
La compagnie d'aviation d'affaires Valljet décolle grâce au Covid
Loire-Atlantique # Transport

La compagnie d'aviation d'affaires Valljet décolle grâce au Covid

S'abonner

Créée en 2006, la compagnie d’aviation d’affaires nantaise Valljet décolle grâce à la pandémie et aux besoins de mobilité des chefs d’entreprise. La plus importante compagnie aérienne française d’aviation d’affaires résiste bien sur un marché où l’équilibre financier reste une performance.

Jean Valli, fondateur et PDG de Valljet, une compagnie d’aviation de 120 salariés dont le chiffre d’affaires double tous les ans — Photo : Valljet

Jean Valli a peur en avion. Il n’a jamais aimé cela. Ce n’est donc pas le plaisir du vol qui l’a amené à créer sa propre compagnie aérienne mais une raison beaucoup plus pragmatique. À la tête de la société parisienne de négoce de papier Valpaco et de L’imprimerie Solidaire (65 M€ de CA en 2019, 120 salariés dont 60 travailleurs handicapés) en Mayenne, Jean Valli a besoin de rencontrer ses clients en France et en Europe. L’idée de disposer de son propre avion s’impose peu à peu et devient une réalité en 2006.

Sans le savoir, Jean Valli achète le même avion que le propriétaire du FC Nantes Waldemar Kita et l'entrepreneur Benoît Couturier. Les trois hommes, qui ne se connaissaient pas auparavant, décident de confier la gestion de leur appareil à une compagnie d’aviation privée. Mais le service n’est pas au rendez-vous et le prix jugé excessif.

Les trois chefs d’entreprise décident alors de créer une compagnie d’aviation d’affaires. À la différence d’une simple société de gestion qui s’occupe uniquement des avions des propriétaires, comme le nantais Aviators ou le vendéen SD Aviation (groupe Dubreuil), une compagnie peut, grâce à un certificat de transporteur aérien délivré par la DGAC, proposer aussi des opérations de transport commercial comme des vols charters grand public. L’avion a donc plus de chance de voler et de trouver une rentabilité.

Des débuts difficiles

L’un des jets de Valljet. La compagnie en exploite vingt-six — Photo : Valljet
C’est sur ce principe que Valljet est lancé officiellement en 2008. Au capital de la SAS basé à Ancenis : Jean Valli qui assure la direction générale, Benoît Couturier et Waldemar Kita. Jean Valli se relance dans une nouvelle aventure entrepreneuriale dans un secteur qu’il ne connaît pas vraiment. Les débuts sont difficiles. "Nous avions oublié le dicton : Quand tu es milliardaire et que tu veux redevenir simple millionnaire, crée ta compagnie aérienne ", ironise-t-il. " On a commencé par perdre 2 millions par an. On a mis cela sur le compte de la crise de 2008. Puis on a récupéré en cinq ans les 5 millions d’euros perdus ", poursuit le dirigeant. Il apprend que la clef de ce business, c’est la bonne gestion de la flotte qui coûte extrêmement cher en entretien. " J’ai surtout appris à acheter un avion (entre 3 et 5 M€, NDLR) ! Un avion vit entre 30 et 40 ans, il faut savoir de quel pays il vient, quel est son passé, etc. ", raconte le dirigeant.

Aujourd’hui, Valljet gère 26 avions, certains de 5 à 8 places, d’autres de 13 places, des petits jets pour les vols courts comme certains pour des trajets de 4 000 kilomètres et même des jets de 50 places affrétés principalement par des clubs de football. La compagnie opère à partir des aéroports de Lille, Lyon, Valence, Nice et le Bourget et envisage même une base en Normandie, à Deauville ou Caen. Elle est considérée, par son CA et le nombre d'avions gérés, comme la première compagnie d’aviation d’affaires en France. À l’échelle européenne, sur ce marché très morcelé, il existe près de 500 petites compagnies de moins de 10 avions et seule une vingtaine avec plus de 20 avions.

La moitié des avions appartient à Valljet, l’autre moitié à des clients dont la compagnie assume la gestion en propriété partagée. Un modèle courant dans le monde des compagnies aériennes. Il faut débourser entre 4 500 et 5 000 euros en moyenne pour un vol aller-retour dans la journée Paris-Nice avec un jet de 5 places, et 6 800 euros pour un vol aller-retour Lille-Limoges, avec cinq personnes à bord.

Sortir de l’image bling-bling

À l’échelle européenne, il existe près de 500 petites compagnies de moins de 10 avions et seule une vingtaine avec plus de 20 avions. — Photo : Jerome Mundler
Près de la moitié des vols sont réservés via des plateformes, des courtiers en ligne (comme le brestois Openfly, Avico, PrivateFly, etc.), une autre partie par des clients qui ont pris un forfait via une carte club : le tarif commence à 100 000 euros par an pour un forfait de 50 heures de vol. " Il faut sortir de l’image bling-bling du jet privé, le dirigeant avec des Ray-Ban qui trinque au champagne. Ce n’est pas cela l’aviation d’affaires. On est dans le monde de la mobilité. La réalité ce sont des chefs d’entreprise de PME ou d’ETI qui ont compris que cela leur coûtait moins cher de faire un aller-retour en une journée en jet que de déplacer leur codir plusieurs jours en train, en comptant les nuits d’hôtels et les autres frais ", raconte le chef d’entreprise.

Depuis trois ans, la compagnie de 120 salariés enregistre une forte croissance. Elle double quasiment son chiffre d’affaires d’année en année. Elle présentait en 2018 un chiffre d’affaires de 12 millions, puis 20 M€ en 2019, et près de 40 M€ en 2020. Cette année, Valljet vise les 50 M€. " C’est un cercle vertueux : plus on a d’avions, plus on a de disponibilités pour les clients ", explique Jean Valli. Afin de mieux maîtriser ses coûts de maintenance, Valljet a investi en 2018 dans son propre centre de maintenance, l’atelier R & O (34 techniciens) basé au Bourget, le premier aéroport d’aviation d’affaires en Europe.

Des nouveaux clients depuis le covid

La crise du Covid qui a cloué au sol les avions des compagnies commerciales a boosté depuis quelques mois l’activité de Valljet. Le confinement a convaincu des nouveaux clients, une vingtaine, tous chefs d’entreprise. "On a rentré un nouvel avion par mois", observe Jean Valli.

Malgré cela, Valljet n’est pas à l’équilibre cette année. Il faut déjà rentabiliser les nombreux avions achetés ces derniers mois. Et puis, " les vols ont été très irréguliers en 2020. Dès le mois de mars, on a surtout fait beaucoup de rapatriements sanitaires ", raconte Jean Valli.

Le bilan serait aussi mitigé pour les autres compagnies. " Il y a eu un effet d’aubaine ", confirme Frédéric Aguettant, PDG d’Hélipass, qui gère une plateforme de réservation de vols en hélicoptères. " Les propriétaires ont utilisé leurs avions, il y a eu pas mal de nouveaux clients qui ont pris des cartes d’abonnement. Mais il y a eu finalement très peu de vols réguliers. À part cet été où les clients ont utilisé le jet pour leurs vacances, les clients nous le disent, ils ont préféré rester en télétravail ", constate le dirigeant.

Des structures lourdes en charges

La moitié de la flotte de Valljet lui appartient. L’autre moitié appartient à des clients dont la compagnie assume la gestion en propriété partagée — Photo : Valljet
Une irrégularité qui pèse sur les charges sociales. " On est dans des structures lourdes en charges ", explique Jean Valli. En France, nous sommes contraints d’embaucher des pilotes en CDI (Valljet en compte une cinquantaine), alors qu’en Europe, nos concurrents travaillent tous avec des pilotes en freelance ", rappelle le chef d’entreprise.

Le pavillon français représente donc un handicap sur ce marché dominé en Europe par le géant Netjets, du nom de la compagnie aérienne américaine installée en Europe depuis 1996, propriété du célèbre Warren Buffet (150 avions en France, 700 dans le monde). Le numéro 2 Luxaviation, est aussi un géant qui opère 260 jets privés et comptant plus de 1 700 employés. Reprise par des Français en 2010, compagnie Jetfly (n°3) a son siège social au Luxembourg (300 salariés, 100 M€ de CA).

Face à eux, Valljet ne se bat pas à armes égales. Mais la première compagnie française résiste bien par rapport à ses homologues français. Son jeune voisin rennais Voldirect (6 salariés, 1 M€ de CA) par exemple, est aujourd’hui en grande difficulté. " Nous n’allons bientôt plus disposer d’appareils. Plusieurs propriétaires (Voldirects gère la flotte des entreprises bretonnes Legendre, Le Duff, Kreizig) veulent reprendre ces avions pour leur propre usage. Sans avion, pas d’activité pour notre compagnie ", raconte Frédéric Caussarieu, son directeur. Pas sûr que toutes les petites compagnies de ce genre résistent à la pandémie.

Loire-Atlantique # Transport # Aérien